par Jason Szep et Matt Spetalnick

WASHINGTON, 23 juin (Reuters)) - Le secrétaire d'Etat américain envisage de retirer l'Irak et la Birmanie de la liste des pays utilisant des enfants soldats en dépit des recommandations des experts et diplomates de son département, a-t-on appris vendredi de trois responsables.

Si elle est confirmée, cette décision de Rex Tillerson témoignerait d'une rupture inédite dans le processus de prise de décision au département d'Etat.

Signe de la realpolitik de l'administration Trump, elle est susceptible en outre de relancer les critiques des défenseurs des droits de l'homme, qui accusent Washington de privilégier la sécurité et les intérêts diplomatiques des Etats-Unis aux droits fondamentaux.

Rex Tillerson a rejeté les conclusions de ses équipes sur la présence d'enfants soldats dans les deux pays et balayé les recommandations de diplomates en Asie et au Moyen-Orient, qui souhaitaient les maintenir sur cette liste noire, ont précisé ces responsables au fait des discussions internes.

Le chef de la diplomatie américaine a rejeté en outre une proposition sur l'ajout de l'Afghanistan à la liste qui compte pour le moment dix pays : Irak, Birmanie, Nigeria, Soudan du Sud, Soudan, République démocratique du Congo, Rwanda, Somalie, Syrie et Yémen.

Selon l'un des responsables, la décision a été prise afin de ne pas compliquer la coopération avec les troupes irakiennes et afghanes, proches alliées des Etats-Unis dans la lutte contre l'organisation Etat islamique et les taliban.

Le placement sur la liste peut entraîner des sanctions, notamment l'interdiction de recevoir une aide militaire des Etats-Unis, des armes ou des conseillers militaires, sauf dérogation de la Maison blanche.

L'annonce officielle de ces deux retraits est attendue mardi à l'occasion de la publication d'un rapport annuel sur le trafic d'êtres humains, a-t-on précisé en outre. Bien que le rapport ait été finalisé, des changements de dernière minutes restent possibles.

En vertu du Child Soldiers Prevention Act de 2008, Washington doit s'assurer qu'"aucun enfant n'est recruté, enrôlé ou forcé de quelque manière de servir comme enfant soldat" avant de retirer un pays de la liste.

"TRAHISON"

La division chargée de la démocratie, des droits de l'homme et du travail au département d'Etat a conclu au cours de l'élaboration du rapport que les deux pays méritaient, au vu des faits, d'y rester.

Plusieurs ONG ont annoncé leur surprise quant à cette décision éventuelle.

Human Rights Watch a estimé qu'un retrait de la Birmanie représenterait "une action complètement prématurée et catastrophique, revenant à trahir des enfants et à les abandonner à une servitude constante et à des abus de leurs droits."

"Ce qui est particulièrement stupéfiant, c'est que cette décision passe outre les déclarations de l'Onu, qui dit continuer à recevoir de nouveaux cas de recrutements d'enfants", estimait Phil Robertson, vice-directeur de l'ONU pour l'Asie.

A la frontière entre la Chine et l'Inde, la Birmanie revêt une importance stratégique croissante aux yeux des Etats-Unis, sur fond de rééquilibrage des puissances régionales face à Pékin.

L'Irak, qui a reçu en trois ans des Etats-Unis plus de deux milliards de dollars en armes et en conseillers militaires, avait été ajouté à la liste en 2016. L'aide américaine n'a pour autant pas diminué, grâce à des dérogations régulières signées par Barack Obama, concédées également à la Birmanie, au Nigeria et au Soudan du Sud.

L'année dernière, le département d'Etat a estimé que certaines factions des Forces de mobilisation populaire, des milices chiites irakiennes soutenues par l'Iran, "recrutaient et utilisaient des enfants soldats". (Julie Carriat pour le service français)