La Commission européenne a adressé une communication des griefs à Gazprom, estimant que certaines de ses pratiques commerciales sur le segment de l'approvisionnement gazier en Europe centrale et orientale constituaient un abus de position dominante contraire aux règles de l'UE en matière d'ententes et d'abus de position dominante.

Gazprom occupe une position dominante sur les marchés de l'approvisionnement gazier dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale. Sa part de marché y est nettement supérieure à 50 %, voire égale à 100 % dans certains cas. À la lumière de son enquête, la Commission estime à titre préliminaire que Gazprom entrave la concurrence sur les marchés de l'approvisionnement gazier dans huit États membres d'Europe centrale et orientale (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie).

Conclusions préliminaires formulées par la Commission dans sa communication des griefs

L'enquête qu'elle a menée conduit la Commission à conclure à titre préliminaire que Gazprom enfreint les règles de l'UE en matière d'ententes et d'abus de position dominante en poursuivant une stratégie globale de cloisonnement des marchés gaziers en Europe centrale et orientale dans le but de maintenir une politique de prix déloyale dans plusieurs États membres de cette région. Gazprom met en œuvre cette stratégie: i) en entravant les ventes transfrontières de gaz, ii) en pratiquant des prix inéquitables et iii) en subordonnant ses livraisons de gaz à l'obtention d'engagements distincts de la part des grossistes en ce qui concerne les infrastructures de transport gazier.

1. Gazprom pourrait avoir entravé les ventes transfrontières de gaz

Gazprom a inséré plusieurs restrictions territoriales dans les contrats d'approvisionnement conclus avec des grossistes afin d'empêcher l'exportation de gaz dans huit États membres de l'UE (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie). Il s'agit notamment de:

  • clauses interdisant les exportations, qui interdisent explicitement l'exportation de gaz;
  • clauses ayant trait à la destination, en vertu desquelles le client (grossiste ou client industriel) est tenu d'utiliser le gaz qu'il achète dans son propre pays ou ne peut revendre ce gaz qu'à des clients spécifiques dans son pays; et
  • d'autres mesures entravant les flux gaziers transfrontières, telles que l'obligation pour les grossistes d'obtenir de Gazprom l'autorisation de procéder à des exportations ou l'interdiction de modifier le lieu de livraison du gaz dans certaines circonstances.

La Commission estime à titre préliminaire que Gazprom utilise ces restrictions territoriales pour entraver la libre circulation du gaz entre et vers ces huit pays d'Europe centrale et orientale, lesquels n'ont par conséquent pas accès au gaz importé, dont les prix sont susceptibles d'être plus compétitifs.

Les restrictions territoriales ont une incidence négative sur les prix du gaz en ce qu'elles entravent les flux gaziers transfrontières et conduisent à un cloisonnement du marché. Elles empêchent notamment l'acheminement du gaz vers les endroits où il est particulièrement nécessaire et où les prix sont les plus attrayants d'un point de vue commercial.

En Europe centrale et orientale, les prix de gros du gaz peuvent varier sensiblement d'un État membre à l'autre. Si le gaz est plus onéreux dans un pays que dans un autre, un grossiste établi dans ce second pays devrait être à même d'écouler le gaz excédentaire dont il n'a pas besoin pour sa consommation domestique sur un marché où les prix sont plus élevés. Les restrictions territoriales rendent un tel arbitrage sur les prix impossible. Elles empêchent les grossistes de concurrencer Gazprom, ce qui signifie que le gaz russe ne peut concurrencer le gaz russe. Cela se traduit par des prix plus élevés et par un cloisonnement des marchés gaziers en fonction des frontières nationales.

La Commission a déjà indiqué clairement dans des décisions antérieures que les restrictions territoriales et les mesures visant à cloisonner le marché ont un caractère anticoncurrentiel:

  • en 2004, elle a adopté deux décisions ayant trait à des contrats conclus par GDF (Gaz de France) avec les compagnies italiennes ENI et ENEL, confirmant que les clauses de restriction territoriale dans le secteur gazier entravent la concurrence. Ces clauses interdisaient à ENI et à ENEL de vendre en France le gaz naturel que GDF transportait pour leur compte, empêchant de ce fait les consommateurs français de s'approvisionner auprès des deux opérateurs italiens et entravant la concurrence sur le marché;
  • en 2009, la Commission a infligé des amendes à EDF et à E.ON en application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) pour n'avoir pas vendu le gaz acheminé par le gazoduc MEGAL sur le marché national de l'autre partie.

Une procédure pour abus de position dominante est également en cours dans le secteur de l'électricité bulgare, où Bulgarian Energy Holding (BEH) a appliqué des restrictions territoriales. BEH a restreint la liberté qu'ont ses clients de choisir le lieu de revente de l'électricité qu'ils lui achètent. La Commission a adressé une communication des griefs à BEH en août 2014.

2. Politique tarifaire présumée déloyale de la part de Gazprom

L'enquête de la Commission concerne les prix payés par les clients industriels et grossistes en gaz de Gazprom. Ces prix de gros jouent un rôle important dans la détermination des prix du gaz facturés aux ménages et aux entreprises sur le marché de détail. Ils peuvent également influer sur les prix de certains produits industriels pour lesquels les coûts de l'énergie constituent une composante importante des coûts de production.

Globalement, Gazprom lie le prix du gaz naturel qu'elle vend à un certain nombre de produits pétroliers (pratique dite de l'«indexation sur le prix du pétrole»). L'enquête de la Commission vise à déterminer si, et dans quelle mesure, les niveaux de prix pratiqués dans un pays sont inéquitables, et à établir de quelle manière les formules tarifaires spécifiques appliquées par Gazprom sur la base de cette indexation sur le prix du pétrole ont contribué au caractère inéquitable de ces prix. La Commission ne considère pas que l'indexation du prix d'un produit sur celui des produits pétroliers ou de tout autre produit constitue une pratique illégale en soi. Par ailleurs, elle ne conteste pas que le prix du gaz naturel soit différent dans différents pays. Les conditions de concurrence peuvent différer d'un État membre à un autre, en fonction de l'importance du gaz comme source d'énergie dans le «bouquet énergétique» des pays, notamment.

Pour déterminer si les niveaux de prix constatés dans un pays sont inéquitables, les prix appliqués dans différents États membres ont été comparés avec un certain nombre de critères de référence, comme les coûts de Gazprom, les prix pratiqués sur des marchés géographiques différents ou les prix du marché. Sur la base de cette analyse, dans sa communication des griefs, la Commission est parvenue à la conclusion préliminaire que les formules tarifaires spécifiques prévues dans les contrats passés par Gazprom avec ses clients ont contribué au caractère inéquitable des prix pratiqués par Gazprom: les formules tarifaires spécifiques de Gazprom qui lient le prix du gaz au prix des produits pétroliers semblent lui avoir conféré un avantage considérable sur ses clients.

La conclusion préliminaire de la Commission, telle qu'elle est exposée dans la communication des griefs, est que Gazprom a pratiqué des prix inéquitables dans cinq pays d'Europe centrale et orientale (la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne).

3. Préoccupations en ce qui concerne les infrastructures de transport du gaz

La Commission craint que Gazprom ait exploité sa position dominante sur les marchés bulgare et polonais en conditionnant l'approvisionnement en gaz à l'obtention de certains engagements en matière d'infrastructures de la part des grossistes.

En ce qui concerne le marché bulgare, la Commission estime à titre préliminaire que Gazprom a subordonné la fourniture de gaz en gros à la participation du fournisseur historique bulgare de gaz en gros à un projet d'infrastructures à grande échelle de Gazprom (le projet de gazoduc South Stream) en dépit de coûts élevés et de perspectives économiques incertaines.

Pour ce qui est du marché polonais, la Commission estime à titre préliminaire que Gazprom a subordonné la fourniture de gaz au maintien de son contrôle sur les décisions d'investissement concernant un des principaux gazoducs de transit de Pologne (Yamal). Ce gazoduc est une des principales infrastructures par lesquelles le gaz de fournisseurs autres que Gazprom pourrait pénétrer sur le marché polonais.



Informations concernant la procédure dans les enquêtes en matière de pratiques anticoncurrentielles

L'article 102 du TFUE interdit les abus de position dominante susceptibles d'affecter le commerce et d'empêcher ou de restreindre la concurrence. Les modalités de mise en œuvre de ces dispositions sont définies dans le règlement sur les ententes et abus de position dominante [règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil], qui peut être appliqué par la Commission et par les autorités nationales de concurrence des États membres de l'UE.

La communication des griefs est une étape formelle des enquêtes menées par la Commission sur les infractions présumées aux règles de l'UE en matière d'ententes et d'abus de position dominante. La Commission informe par écrit les parties concernées des griefs soulevés à leur encontre. Les entreprises concernées peuvent examiner les documents versés au dossier de la Commission, répondre par écrit et demander à être entendues afin de faire part de leurs observations sur l'affaire à des représentants de la Commission et des autorités nationales de concurrence. La Commission ne prend une décision finale qu'après que les parties ont exercé leur droit de la défense.

La Commission n'est tenue par aucun délai légal pour conclure ses enquêtes relatives à des comportements anticoncurrentiels. La durée d'une enquête dépend de divers éléments, dont la complexité de l'affaire, le degré de coopération de l'entreprise en cause avec la Commission et l'exercice des droits de la défense.

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