"Quel regard portez-vous à ce jour sur les valorisations des marchés financiers ?
La plupart des marchés financiers se caractérisent par des valorisations très tendues. Les raisons de cet état des lieux sont multiples. En premier lieu les perspectives de croissance ont été révisées à la hausse en particulier pour l’Europe, le Japon et la Chine. Parallèlement, les anticipations d’inflation ont été revues à la baisse. Par conséquent, les grandes banques centrales ont été amenées à maintenir des politiques monétaires très accommodantes.

Paradoxalement, par leur injection massive de liquidités moins les banques centrales obtiennent des résultats sur le front de l’inflation des prix des biens et des services et plus elles génèrent de l’inflation sur le prix des actifs financiers.

Cette dynamique a-t-elle vocation à être altérée l’année prochaine ?

De notre point de vue nous allons assister à une valse à trois temps de la part des banques centrales.

Que voulez-vous dire ?

Nous tablons sur un raffermissement de la croissance aux Etats-Unis sur l’appui de la consommation domestique. Il est probable que le marché assiste à une surprise positive dans les trois mois à venir.

Il y a par ailleurs un excès de pessimisme quant à la capacité du président Donald Trump à faire passer ses réformes. La probabilité pricée est excessivement faible.
L’administration en place semble vouloir accélérer les choses. Dès lors voir l’adoption d’une réforme fiscale avant la fin de l’année ne nous parait pas impossible.

Le marché du travail apparaît en plein emploi quel que soit la mesure utilisée. Compte tenu de cette réalité, la courbe de Philipps s’avère considérablement aplatie. Pour un taux de chômage autour de 4%, l’inflation salariale parvient difficilement à dépasser les 2%.
La normalisation des taux de sous-emploi est très avancée. Nous sommes revenus au niveau d’avant crise. Pour un taux d’offre d’emploi, on a un taux de chômage beaucoup plus faible. Une certaine efficience a été retrouvée.

L’impact sur les salaires devrait finir par se faire sentir…
L’indicateur du salaire médian qui reflète les intentions des petites et moyennes entreprises est bien orienté. Le salaire horaire moyen, qui traduit davantage l’évolution des emplois peu qualifiés devrait connaitre une petite accélération, autour de 3%. Cela devrait contribuer à une hausse de l’inflation cœur.

De quelle manière expliquez-vous la chute de l’inflation sous-jacente ?
Par trois éléments : les loyers, le cout des consultations médicales lié à une forme d’ubérisation, et les communications.
La guerre des prix qui a eu lieu dans le secteur des télécoms a été tellement violente qu’elle touche probablement à sa fin. L’amenuisement des couts des consultations devrait désormais se faire à un rythme moins élevé. La modération des loyers devrait perdurer autour de 3% mais ne devrait pas pour autant sous-entendre une baisse des loyers.

Ceci étant, nous devrions tendre progressivement vers une remontée de l’inflation sous-jacente à 2%.

La donne n’est pas la même s’agissant de l’inflation globale ?

Cette inflation qui se situe à 1,9% devait quelque peu descendre pour se rehausser vers septembre autour de 2%. Cependant par la suite, le potentiel de tassement est important quel soit les fluctuations à venir du prix du baril. Si le prix du pétrole venait à s’élever à 60 dollars, l’inflation globale atteindrait tout au plus 1,7%. Cette variable est importante à garder à l’esprit pour ce qui est du marché des obligations indexées sur l’inflation.
La pente de l’inflation globale devrait quelque peu s’accélérer en 2018.

Qu’escomptez-vous en conséquence de cette toile de fond du côté de la Fed ?
La Fed va poursuivre sa normalisation avec une cadence qui devrait surprendre le marché qui aujourd’hui n’attend pas grand-chose, soit 0.15% de hausse d’ici fin d’année et prés de 0.5% de hausse en 2018. Pour éviter d’avoir un aplatissement plus prononcé de la courbe des taux, la Fed doit soulager les maturités les plus longues. Pour ce faire, elle commencera par annoncer en septembre une réduction de son bilan puis procédera à un nouveau relèvement de ses taux directeurs en décembre si l’activité et la politique budgétaire le permettent.
Compte tenu des paliers que la Fed devrait s’imposer, elle devrait parvenir en 2018 à réinvestir la moitié des remboursements liés aux obligations arrivées à maturité. Or l’année prochaine, le double du volume des obligations de 2017 arriveront à échéance. Ainsi la Fed sera en mesure d’amoindrir son bilan de 250 milliards de dollars sans modifier de manière substantielle les achats effectifs sur le marché obligataire.

Outre les facteurs purement conjoncturels, un autre élément qui vous pousse à tabler sur une normalisation plus soutenue de la Fed réside dans le changement de composition de celle-ci ?
Il y a déjà trois sièges vacants. Deux personnes pressenties pour être nommées par Donald Trump sont connus pour juger la politique de la Fed trop accommodante. Janet Yellen termine son mandat en février 2018. Il y a peu de chance qu’elle fasse un second mandat. Ainsi nous devrions structurellement nous retrouver avec une Fed ayant un biais plus « hawkish ».
Le taux réel se situe à peine à 0.6%. Trop peu de croissance est pricé par le marché obligataire américain.

Que suppose ce décalage de perception ?

Les taux devraient remonter ce qui devrait peser sur le marché obligataire. Le dollar devrait se renforcer. Pendant un temps, cela devrait soutenir le marché actions sur fond d’une croissance économique plus solide et donc plus durable.

Qu’en est de votre scénario s’agissant de la BCE ?

La BCE n’est pas du tout pressée. La dynamique d’activité au sein de la zone euro est très nette. L’investissement connait une forte relance.
Toutefois l’inflation reste très faible. La tendance de la revalorisation salariale est quasi nulle même en Allemagne.

Mario Draghi fait selon vous face à un mandat difficile...

La courbe de Taylor dicte des taux toujours négatifs pour l’Italie, l’Espagne et la France-entre -0,5% et -1%- mais des taux positifs pour l’Allemagne autour de 4%.
Cette difficulté n’est pas nouvelle. Elle date de 2012.

En tout état de cause, la BCE devrait rester accommodante…

Mario Draghi est en poste jusqu’en octobre 2019.
Il demeure des risques non négligeables dans la zone euro. La croissance reste atone en Italie. Le secteur bancaire italien est encore fragile. Des élections doivent avoir lieu dans le pays d’ici mai 2018. A ce jour, le mouvement populiste cinq étoiles apparait en tête dans les enquêtes d’opinion. Il y a fort à penser que Mario Draghi voudra que la BCE soit un intervenant important sur les marchés au moment du déroulement de ces élections pour tempérer un mouvement de crainte significatif à l’instar de ce qui s’est passé en France au moment des élections présidentielles.
La BCE devrait annoncer une extinction progressive de son programme d’achat en septembre 2017, diminuer ses achats à 40 milliards par mois au premier semestre 2018 puis à 20 milliards au second semestre. Une telle démarche permettrait à la Banque centrale d’éviter un problème d’approvisionnement sur le marché primaire.

Ce tapering devrait permettre de déverrouiller le taux à dix ans allemand et les spreads périphériques à la lumière des fondamentaux économiques. C’est pourquoi à long terme, nous sommes sous pondérés sur les obligations souveraines de la zone euro.

Vous ne prévoyez donc pas d’intervention de la BCE sur les taux d’ici fin 2018 ? 

Absolument. La BCE ne devrait pas toucher à ses taux directeurs avant que son programme n’arrive à terme, autrement dit avant janvier 2019.

La Banque centrale du Japon constitue le troisième temps de la valse ?

De plus en plus l’idée de la normalisation suit son chemin s’agissant de la BoJ sur la base de plusieurs considérations.
Tout d’abord, le premier ministre japonais Shinzo Abe va devoir faire face à des élections en décembre 2018. Il pourrait clamer victoire sur la première flèche de l’Abenomix, attester qu’il a réussi à surmonter la déflation. Ce d’autant plus que le mandat de l’actuel gouverneur de la BoJ, Kuroda, arrive à expiration en mars 2018. Par ailleurs, la BoJ est une très importante intervenante sur les marchés financiers. Elle achète quasiment 1% du marché actions japonais par an, via des ETF. Elle détient présentement 40% du marché obligataire. Ainsi, un gros travail a déjà été effectué.

Que pensez-vous de cette idée ?

A notre sens, même sans Haruhiko Kuroda à sa tête, la BoJ devrait conserver une politique monétaire très accommodante.
La toile de fond macroéconomique au Japon s’est quelque peu amélioré. Le taux de croissance est stabilisé autour de 1%. L’inflation globale s’est rehaussée, à 0,8%.
L’inflation sous-jacente est encore négative, à -0,3%. Nous sommes encore loin de l’objectif affiché par la Banque centrale, de 2%.
La Banque centrale ne prendra pas le risque de compromettre le peu de résultat qu’elle a obtenu.
Le taux à dix ans du Japon devrait continuer à être ancré autour de 0. Nous sommes neutres sur les obligations souveraines japonaises.

A défaut d’aller vers un tapering, pensez-vous que la BoJ pourrait mettre le pied sur la pédale d’accélération ?

Je ne le pense pas. Le 29 janvier 2016, elle a tenté les taux négatifs à l’instar de la BCE. Le 27 juillet, la courbe est devenue très négative. Voyant que les retombées n’étaient pas productives, la BoJ a remonté ses taux en septembre et a préféré contrôler la courbe des taux à 0 entre 0 et 10 ans et autour de 0,80% entre 10 et 30 ans.

Une principale conclusion tirée de vos grandes lignes directrices concernant la Fed, la BCE et la BoJ est celle d’un dollar qui devrait rester fort contre l’euro et contre le yen ?

Tout à fait. Aussi bien la paire euro dollar que la paire dollar yen continueront à être dictées par le différentiel de taux long entre l’Allemagne et le Japon d’une part et les Etats-Unis d’autre part. Nous voyons l’euro dollar évoluer autour de 1,07 et dollar yen à 115.

Quels principaux risques pourraient venir compromettre ces lignes directrices ?

Nous pouvons mentionner deux principales menaces. Une déception du côté de la vigueur de l’activité américaine parce que le consommateur américain ne se réveille pas ou parce que l’administration Trump n’aboutit à aucune réforme. Dans ce cas, le marché pourrait entériner le postulat d’un plus grand ralentissement de la croissance américaine. La Fed pourrait être contrainte au statu quo. Les taux longs américains pourraient descendre plus bas.
Ce même scénario pourrait être provoquée par une chute substantielle du baril de pétrole. Il semble qu’un équilibre un peu instable ait été trouvé. L’Arabie Saoudite a tout intérêt à maintenir cet équilibre pour procéder à une IPO correcte d’Aramco.

Nous pourrions également voir des tensions plus aigües se dessiner en Italie.

Au-delà de la Fed, de la BCE et de la BoJ, avez-vous une vision de ce que pourraient faire la BoE et la PBoC ? Celles-ci auront-elles une influence quelconque sur les marchés financiers ?

La BoE n’a plus l’air de savoir quoi faire du fait de l’absence de visibilité sur les conséquences à venir induites par le Brexit.
Nous sommes clairement négatifs sur le marché des actions britanniques. Nous sommes d’avis que l’incidence sur la macroéconomie du Royaume-Uni sera fort.
En dépit de sa vive dépréciation, nous n’avons pas voulu prendre de position à la hausse sur la livre sterling compte tenu du degré d’incertitude sur le ratio rendement/risque.
Nous sommes également absents du marché obligataire britannique car l’inflation n’a pas un caractère autoentretenu. Il y a davantage une hausse des prix qui est préjudiciable pour le pouvoir de consommation des britanniques.

La PBoC est confrontée à un problème devenu coutumier, une surchauffe immobilière dans une configuration de relance monétaire et un ralentissement de la dynamique économique dans un comportement de durcissement. Dans la perspective du 19ème Congrès du parti communiste chinois, la PBoC devrait naviguer à vue sans faire trop de vague.
Le yuan a été beaucoup dévalué. A présent, il devrait être quelque peu soutenu.

Je ne pense pas en clair que la BoE et la PBoC auront un grand impact sur les marchés financiers dans les mois à venir.



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