"Quel regard portez-vous sur la thématique des fusions acquisitions actuellement ?
A partir de 2006, nous nous attendions à une vague importante d’opérations de fusions acquisitions sous l’impulsion d’un nouvel aspect de notre économie, à savoir la globalisation. La crise financière puis la crise économique ont retardé ce phénomène. Depuis près d’un an aux Etats-Unis et depuis quelques mois en Europe il semble que cette vague de fusions ait repris de la vigueur.
Le dynamisme observé s’explique par plusieurs considérations fondamentales. Les entreprises très prudentes après les premiers tourments de 2008 ont accumulé une énorme masse de liquidités. Les conditions de financement sont par ailleurs attractives. Les croissances organiques sont relativement faibles et poussent de nombreuses sociétés à opter pour le rachat de concurrents plutôt que pour le développement en interne.
Ce qui manquait jusqu’ici était surtout la confiance des décideurs dans l’évolution de leur activité. La croissance ayant refait son apparition de manière ferme aux Etats-Unis avec quelques prémices en Europe, ce sentiment de confiance s’est renforcé. Il y a une certaine inclination à prendre plus de risque pour se lancer dans des opérations de croissance externe.

Vous êtes plutôt optimiste quant à la poursuite de la tendance ?
Un des plus grands freins à la réalisation de ces opérations capitalistiques réside dans le durcissement des conditions de financement. Ces conditions ont vocation à demeurer souples encore un certain temps du fait de l’action des grandes banques centrales.
Qui plus est, l’environnement se veut plus pro business notamment aux Etats-Unis où le Congrès à dominante républicaine est moins regardant sur le plan concurrentiel.
De plus, une reprise de la croissance atténue la menace de réflexes protectionnistes que l’on a pu constater en 2012.
Un dernier élément qui nous pousse à tabler sur une persistance de la tendance réside dans les performances boursières actuelles. Les actions étant mieux valorisées, il est plus facile pour les sociétés acheteuses et vendeuses de trouver un prix d’équilibre et de déterminer une prime à l’annonce adéquate. Il est plus confortable pour l’acheteur de faire le choix d’un paiement de la transaction par le biais de ses titres ce qui lui permet d’utiliser le levier de son cours boursier et de limiter le recours à son cash.

Vous vous attendez à un maintien des opérations supérieures à 5 milliards de dollars ?
Nous devrions avoir une dimension significative des opérations tant dans leur nombre que dans leur volume dans l’alignement de l’année 2014 qui a été une année record (une croissance de +50% des opérations par rapport à 2013).
Même si la « tax inversion » aux Etats-Unis qui avait motivé certaines offres en 2014 pour des raisons fiscales, comme Abbvie sur Shire, devrait avoir moins d’impact, le cash reste phénoménal au sein des bilans des sociétés. En témoigne le fait qu’après avoir regardé le dossier AstraZeneca pour des motifs fiscaux et l’abandonné par la suite, Pfizer a lancé une offre sur Hospira pour 15 milliards de dollars tout en étant à la recherche d’autres cibles stratégiques.
De grandes opérations pourraient notamment survenir dans le secteur technologique; les valorisations des sociétés cotées sur le Nasdaq ayant énormément augmenté.

Pensez-vous que nous devrions observer une multiplication des opérations transatlantiques ?
Avec la vive appréciation du dollar le contexte est très propice pour que les acteurs américains s’intéressent à des actifs à l’étranger et notamment en Europe.
Si c’est un facteur de soutien non négligeable, le passé nous a montré qu’il n’était pas systématique. En premier lieu, les sociétés américaines devront d’abord être rassurées par l’évolution de la conjoncture économique en Europe. En cela le quantitative easing de la BCE peut aider en conservant les taux à des niveaux bas. En second lieu, les mouvements auront lieu davantage dans une logique industrielle que dans une logique purement financière.
Que voyez-vous du coté des primes et des décotes de fusion ?
Dans l’univers que l’on suit la moyenne des primes à l’annonce est d’environ 26%. En 2009, elle se situait au-dessus de 50%. Il fallait dépenser plus pour convaincre. En 2007, la prime était comprise entre 10% et 15%.
De manière mécanique, plus les marchés monteront moins il y aura une prime à l’annonce importante. L’évolution de la prime sera donc avant tout fonction de la variation des marchés actions.
S’agissant des décotes, nous sommes sur une tendance favorable. Alors que nous traitons historiquement des niveaux de 6%-10% brut annualisés, nous travaillons actuellement dans un univers qui délivre entre 12% et 15% brut annualisés.

Qu’en est-il de votre allocation géographique ?

Depuis le lancement de notre fonds en 2007, nous sommes investis à plus de 70% sur les Etats-Unis et le reste en Europe. En 2014, un rééquilibrage a été opéré au profit de la zone euro qui représente aujourd’hui 45%.

Avez-vous des biais sectoriels ?
Nous n’avons pas de biais sectoriels en particulier puisque c’est le terrain qui commande. Ceci étant deux secteurs sont particulièrement dynamiques. En premier lieu, le secteur pharmaceutique. En second lieu, le secteur des valeurs technologiques.

Quid du secteur de l’énergie ?

Le secteur de l’énergie a été particulièrement dynamique sur la période 2010-2012 sous l’impulsion des acheteurs asiatiques. Après un arrêt consécutif au ralentissement de la croissance en Chine, il semble que le secteur connaisse de nouveaux remous sur fond d’un fort repli du cours du pétrole. Nous avons vu quelques transactions dans le secteur pétrolier et des services pétroliers. Ainsi Repsol a lancé une offre sur Talisman Energy profitant d’une valorisation basse.
Une agitation pourrait de nouveau être observée sur le segment du mining en fonction du cours des matières premières et de l’appétit des opérateurs émergents pour ce type d’actifs.

Pourriez-vous nous décrire votre processus d’investissement ?

Nous ne prenons en compte que les opérations supérieures à 500 millions de dollars ou d’euros sur les zones américaine et européenne. Une fois ce filtre fait, nous obtenons un univers de 50 à 90 opérations. Cela fait 6 mois que nous sommes dans le haut de cette fourchette avec plus de 80 opérations. A titre de comparaison en 2009 et mi 2012, nous n’avions qu’une trentaine d’opérations dans l’univers.
Nous passons en revue les différents risques liés au financement, à la concurrence, au régulateur et aux actionnaires. Nous étudions également les clauses spécifiques de chaque opération mentionnées dans le document de fusion.
Si le couple rendement risque de l’opération nous semble insuffisant nous écartons l’opération.
Une base de données dans laquelle nous avons plus de 3000 opérations passées nous indique la décote théorique en fonction de la probabilité d’échec de l’opération et de son coût éventuel. Cet outil d’aide à la décision nous donne une vision objective des décotes par rapport à ce qui est coté dans le marché. Nous allouons par la suite le portefeuille par optimisation du couple rendement/risque de chacune des positions, ce qui nous amène à diversifier le portefeuille entre 30 à 40 dossiers en moyenne.

Pourquoi ne considérer que les opérations au dessus de 500 millions de dollars ou d’euros ?

Peu d’informations circulent dans le cas d’opérations plus petites ce qui amène souvent le gérant à suivre les opérations à l’aveugle. En outre, dans le cas d’un échec de l’opération, le titre de la société cible peut être plus affecté en raison du manque de liquidité du titre. Cela peut poser un décalage entre les positions et la liquidité du fonds.

Le taux d’échec sur votre univers est-il important ?

Le taux d’échec sur notre univers est habituellement de 12%-13% et d’environ 8% actuellement. Il devrait rester bas cette année. Les trois plus grands risques sont un problème de concurrence, une panne au niveau du financement des opérations, ou des décisions politiques défavorables. Au regard de ces trois points, la configuration actuelle est plutôt propice.
Par ailleurs un marché haussier limite les pertes en cas d’échec d’une opération. La hausse du marché remonte mécaniquement le prix auquel devrait coter un titre après l’échec éventuel d’une offre.

La prolifération des OPE a-t-elle induit des changements dans votre stratégie d’investissement ?
A l’exception technique de vendre à découvert le titre de l’acheteur pour arbitrer une OPE, la stratégie d’investissement diffère peu par rapport à une OPA. Néanmoins une OPE suppose souvent le vote des actionnaires de la société acheteuse. Cela peut impliquer un risque lié à l’actionnariat; les actionnaires de la société acheteuse ne souhaitant pas être dilués.

Combien d’opérations avez-vous en portefeuille ?

Nous avons environ 50 positions dans le portefeuille contre une trentaine historiquement. Ce niveau élevé permet d’accroitre la diversification et de réduire le risque en cas d’échec d’une opération spécifique.

Qu’en est-il du taux de rotation ?

Ce taux dépend de la rotation naturelle des opérations qui durent en moyenne 3 à 4 mois. Une opération réglée est remplacée par une nouvelle opération. Cette rotation peut être doublée par un trading actif des décotes. Nous n’hésitons pas à ouvrir et fermer plusieurs fois une position en fonction des informations qui surviennent sur le dossier.

Pourriez-vous nous citer une opération que vous avez jouée et qui a bien fonctionné ?
Club Méditerranée. La bataille boursière a nettement amélioré la marge d’arbitrage. A noter qu’il est souvent stratégique de ne pas investir dans certains dossiers. Ainsi, nous étions l’année dernière à l’écart des dossiers de « tax inversion » à cause du risque politique et fiscal qu’ils portaient. Cette bonne décision de gestion nous a évité des pertes.

Un dossier qui a n’a pas connu un dénouement positif ?

Nous avions l’été dernier une positon sur le producteur de bananes Fyffes cible d’une OPE de la part de Chiquita. La société brésilienne Cutrale, producteur d’oranges, a décidé de se diversifier sur le marché de la banane et a lancé une offre avec une prime de 30% sur Chiquita, titre dont nous étions techniquement vendeurs à découvert.

Pourriez-vous nous citer deux dossiers que vous jugez présentement intéressants ?

Nous avons attendu que Pfizer lance son offre sur Hospira pour nous positionner sur l’opération Actavis / Allergan. En effet, la menace de voir Pfizer lancer une offre sur Actavis, dont nous devions techniquement être vendeurs à découvert, devenait plus faible. L’opération devrait être réglée d’ici un mois et demi et offre un rendement de 15% annualisé.
Un autre dossier intéressant est Eurodisney. Walt Disney Co, actionnaire principal d’Eurodisney, a incité Eurodisney à faire une augmentation de capital qui s’est finalement transformée en offre simplifiée de rachat obligatoire de Walt Disney Co sur Eurodisney suite à un franchissement de seuil.

Vous êtes peu engagés sur deux dossiers français très médiatisés...

Le premier dossier est l’offre de rachat lancé par Orange sur Jazztel, troisième compagnie de câble en Espagne. Ce dossier est sujet à un risque anti trust important. La Commission Européenne s’est saisie du dossier qui est passé en phase d’analyse approfondie.
La deuxième opération sur laquelle la probabilité d’échec n’est pas négligeable est l’offre lancée par Lafarge sur Holcim. Certains actionnaires de Holcim demandent à revoir la parité d’échange ou la distribution d’un dividende exceptionnel étant donné les meilleurs résultats du titre Holcim par rapport à Lafarge ainsi que l’effet de la parité CHF/Eur depuis l’annonce de la transaction.
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