Lundi, les actions du distributeur de jeux vidéo GameStop, en difficulté, ont grimpé en flèche : presque 145 % en deux heures. Des gains qui ont ensuite rapidement disparu. Le PDG de Tesla, Elon Musk, s’est même rallié à cette vague avec un tweet. Les actions de GameStop ont augmenté de plus de 60 % en dehors des heures d'ouverture mardi.

Le titre a encore gagné plus de 60 % dans les échanges avant l'ouverture de Wall Street mercredi, ce qui représente une hausse de près de 250 % en trois séances. Ces hausses de la semaine sont les derniers épisodes d'un rallye qui a vu le cours de l’action grimper au total de plus de 1500 % en janvier.

Une progression de l’action qui surprend d’autant plus que les analystes prévoient une perte de 465 millions de dollars pour 2020, en plus des 795 millions de dollars qu'elle a perdus en 2019. La société était donc une cible privilégiée des shorts-sellers comme Citron, qui estime que le groupe aux 5.000 magasins est surévalué, que son modèle est dépassé, et annonçait récemment un risque d’effondrement imminent de son cours.

Mais c’est le contraire qui s’est produit. Avec l'envolée des actions de GameStop, les vendeurs à découvert se sont retirés et ont provoqué un short squeeze en rachetant leurs positions dans l’urgence, ce qui a multiplié cette hausse. Le responsable de Citron, Andrew Left, a jeté l'éponge, en postant depuis un compte Twitter temporaire : "Nous ne commenterons plus sur GameStop, non pas parce que nous ne croyons pas à notre thèse d'investissement, mais plutôt à la foule en colère qui possède ces actions". Il a poursuivi en affirmant que sa famille avait été "terrorisée".

Trois des valeurs poussées par les traders récemment, avec GameStop en fer de lance
Trois des valeurs poussées par les traders récemment, avec GameStop en fer de lance

Alors, que s’est-il passé ? Pour contrer les vendeurs à découvert, qui ont parié sur sa baisse avec des positions à découvert, une légion d’investisseurs particuliers s’est ruée sur les options d'achat. Cette armée d'investisseurs à petits portefeuilles s’est constituée sur les réseau sociaux, sur des plateformes telles que Robinhood ou sur le forum WallStreetBets de Reddit, qui compte plus de deux millions d’abonnés. Leur but : faire sauter les vendeurs à découvert en lançant des milliers d’ordres d'achat sur des actions en péril telles que GameStop. On les appelles investisseurs Robinhood (Robin de bois) ou "Day traders".

"Il y a eu un short squeeze massif de la part des petits porteurs sur une entreprise qui était la plus vendue du marché à cause de son important endettement. Il a suffi d’une information du WSJ pour que de nombreux blogs commencent à s’intéresser à l’entreprise et lancent une attaque en bonne et due forme" explique John Plassard, spécialiste en investissement au sein du groupe bancaire privé genevois Mirabaud.

Une tendance renforcée par la crise sanitaire

Ce phénomène n’est pas nouveau, mais se serait intensifié avec la crise du Covid. "Durant le premier confinement, face à la pandémie de coronavirus et s'ennuyant chez eux, beaucoup de gens se sont tournés vers la bourse et s'adonnent au "trading de jour" pour se divertir et faire des bénéfices" ajoute M. Plassard.  

Le confinement et les mesures de relance ont permis à des millions d'Américains de recevoir des chèques d’aide, que certains ont décidé d’investir en bourse. Ainsi l’application de trading Robinhood a vu le nombre de ses abonnés exploser, avec + 3 millions pour le premier trimestre 2020. La raison de son succès tient dans le fait qu’elle permet de réaliser des opérations à commission zéro aux USA, avec une interface intuitive et un processus d'ouverture de compte facile.

On peut voir dans le tableau ci-dessous la manière dont ont été dépensés les chèques du gouvernement US, et les actions (Securities), sont grandement bénéficiaires. D’autres actions que GameStop ont vu leur action flamber sous l’action de ces activistes, notamment Hertz, Plug Power, AMD et Nio.

Source: CNBC

Cette nouvelle tendance pourrait avoir de nombreuses conséquences, notamment sur les vendeurs à découvert, en formant un nouveau contre-poids. Ceux-ci doivent tenir compte de cette nouvelle réalité dans leurs modèles .

Mais cette nouvelle génération d’investisseurs pourrait aussi booster les ETF thématiques, selon une analyse de Bloomberg. "Sur les 15 ETF thématiques lancés cette année, plusieurs se penchent sur les tendances de l'investissement à domicile, notamment l'ETF Roundhill Sports Betting & iGaming (BETZ) et l'ETF Direxion's Work From Home (WFH). Des tickers accrocheurs, une facilité de négociation et des frais peu élevés gagnent des adeptes".

Les plateformes de trading estiment que cette nouvelle génération d’investisseurs est en train de se diriger vers ces fonds, qui reflètent souvent les intérêts des jeunes adultes, comme le sport, les jeux vidéo, mais aussi les thématiques liées au réchauffement climatique.

Source : © Bloomberg Trending Up

Selon l’AMF, près de 1,4 million de particuliers en France ont passé un ordre d’achat ou de vente sur des actions en 2020. Parmi ceux-ci, un peu plus de 410.000 n’avaient jamais passé d’ordre de Bourse jusqu’ici ou étaient inactifs depuis janvier 2018.

Le nombre d’investisseurs particuliers actifs sur les ETF a augmenté de 33 % l’an dernier par rapport à 2019 à 233.000 et de 63 % en deux ans.

"On a connu une croissance exceptionnelle des petits porteurs en 2020. Le fait que des centaines personnes aient du temps devant eux durant les confinements a certainement pu ramener certains investisseurs. C’est une tendance claire, avec 450 000 comptes ouverts entre janvier et décembre 2020 pour atteindre 1.25 million, avec 75 millions de transactions exécutées sur l’ensemble du groupe flatexDEGIRO", explique Julien Vallet, porte-parole de DEGIRO France. Il remarque également que la moyenne d’âge des nouveaux clients tend à rajeunir, autour de la vingtaine pour près de la moitié des nouveaux clients, contre 35 ans environ lors des années précédentes. "C’est notamment en raison de l’application mobile que l’on propose et de nos tarifs, qui facilitent l’investissement, notamment à l’international". Cette tendance se ressent sur les comportements d’investissement. "Les moins de 40 ans vont choisir des valeurs plutôt internationales, comme Virgin Galactic ou Tesla. Les plus de 40 ans ont tendance à choisir des valeurs nationales, les poids lourds de la cote comme Airbus, Total ou Renault".

Des situations différentes aux USA et en Europe

Mais la tendance des investisseurs Robin des bois pourrait ne pas perdurer, du moins en Europe. Une première inconnue est la manière dont les régulateurs vont réagir face à ces nouvelles "manipulations". Contactée, l’AMF n’a pas donné suite à notre demande d’interview. 

De plus, les régulations existantes ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis et en Europe, et certains freins sur le vieux continent empêchent l’application Robinhood de progresser. Celle-ci a annoncé en août dernier qu'une entrée sur le marché européen serait reportée "indéfiniment", "ce qui confirme les inquiétudes selon lesquelles son modèle opérationnel n'est pas adapté à l'Europe", explique Martin Comtesse, analyste chez Jefferies. Un porte-parole de l'entreprise a déclaré qu'elle se concentrerait sur le renforcement de son activité principale aux États-Unis. "La principale source de revenus de Robinhood n'existe pas en Europe. En l'absence de revenus provenant des commissions sur son marché national, elle dépend fortement de la génération de revenus provenant du paiement du flux d'ordres, une pratique controversée qui consiste à vendre les ordres des clients à des teneurs de marché comme Citadel Securities. Étant donné que ce flux de revenus est largement interdit par réglementations européennes, le modèle opérationnel actuel de Robinhood s'avère beaucoup moins compétitif", note-t-il.

Maxime Mathon, du bureau d’analyse indépendant Alphavalue, note toutefois qu’il y a une dimension affective dans la montée de ces traders Robinhood. "Ce sont pour la plupart des millenials qui ne veulent pas que certaines valeurs disparaissent, par nostalgie, comme Nokia. C’est une dimension affective sectorielle". Le Bureau estime que certaines valeurs "consumer brands" shortées comme Evotec, CD Projekt, Pearson, Hugo Boss ou Bic pourraient être la cible des Robinhoods.

Mais M. Mathon estime que l’on arrivera pas à une situation comme les Etats-Unis, notamment en raisons des contraintes réglementaires, mais aussi car il n’ y a pas de vendeurs à découvert en Europe, et qu’il y a donc moins de velléités de ces acteurs sur le vieux continent, mis à part quelques actions ciblées comme Casino. "Ici, on est moins sensibilisés à cette problématique, donc une fronde contre les VAD paraît moins susceptible de se produire".

Certaines voix estiment aussi que l’amateurisme de ces nouveaux investisseurs sera leur perte. S'exprimant sur la chaine d’information U.S. CNBC, Leon Cooperman, investisseur milliardaire et PDG d'Omega Advisors, a déclaré que les traders Robin des Bois "font des choses stupides", et que cette tendance n’est que le résultat "des casinos de jeux qui sont fermés" et du fait que "la Fed promette de l'argent gratuit pour les deux prochaines années". Il conclut : "laissez-les spéculer. Laissez-les acheter et négocier. D'après mon expérience, ce genre de choses finira en larmes". Affaire à suivre…