"Qu’avez-vous pensé de la dernière conférence de presse de Mario Draghi de ce jour à la suite de la traditionnelle réunion du Conseil des gouverneurs ?
Mario Draghi vient de mettre à exécution ce qu’il a annoncé lors du sommet de Jackson Hole fin août. Il avait alors expliqué que les taux d’intérêt réels étaient trop élevés pour redresser le niveau de l’emploi et le niveau de l’activité économique. Le changement de discours avait alors été majeur.
Il avait par ailleurs signalé que les anticipations des intervenants de marché étaient en train de s’éloigner de l’objectif de moyen long terme de la BCE, à savoir un niveau en dessous mais proche de 2%. En particulier les anticipations de l’inflation à cinq ans dans cinq ans, qui servent comme point de référence à la BCE, étaient passées en dessous de 2%.

Avez-vous été surpris par certaines de ses déclarations ?
La surprise tient probablement à trois points. Tout d’abord, la baisse additionnelle du taux de rémunération des dépôts qui devrait continuer à peser sur le cours de l’euro en rendant les classes d’actifs en euro moins attractives que celles en dollar. Ensuite, le lancement plus rapide que prévu du programme de rachat d’ABS. Enfin, la réouverture du programme d’achat des obligations sécurisées.

En quoi consiste le programme d’achat d’obligations sécurisées ?
Ce programme avait été initialement défini et lancé en 2009 en vue de favoriser la diffusion du crédit. Il n’avait pas cependant été couronné de succès. Il avait rendu les porteurs d’obligations sécurisées plus riches mais n’avait pas entrainé de production de crédit supplémentaire car à l’époque les banques étaient inscrites dans une démarche de diminution de la taille de leur bilan.
A présent les bilans bancaires ont l’air de se stabiliser et devrait favoriser des retombées plus positives de ce programme d’achat sur la distribution de crédit.
Je ne pense pas que ce programme sur les obligations sécurisées soit susceptible d’avoir des retombées majeures. Tel ne devrait pas être le cas du programme sur les ABS.

Pourquoi ?
Nous devrions avoir plus d’informations sur le sujet en octobre. Un des problèmes des banques de la zone euro est que la taille de leur bilan est limitée en raison des règles de Bâle III. Elles ont donc une marge de manœuvre plus réduite en termes de prise de risques. La réactivation du marché des ABS devrait leur permettre de libérer une partie de leurs bilan afin de prêter aux petites et moyennes entreprises.

N’est-il pas étonnant que Mario Draghi évoque le lancement de ce programme de rachat d’ABS alors que jusque là il mettait en évidence l’existence d’un obstacle réglementaire ?

Aujourd’hui les banques, lorsqu’elles structurent des ABS sont contraintes de retenir la tranche équity. Cela leur coute donc assez cher en termes de capital. Il y a lieu d’opérer une modification sur ce point.

Le lancement du programme début octobre supposerait-elle une modification de la réglementation dans le courant du mois de septembre ou bien sous entendrait-elle la définition d’un programme par BlackRrock qui permettrait de contourner cet obstacle réglementaire ?
Mon intuition est que comme Mario Draghi est à la fois le président de la BCE et de la Commission de Bâle, il a donc les pouvoirs pour faire évoluer la réglementation.

La taille réduite du marché des petites et moyennes entreprises aujourd’hui n’est-elle pas un frein à l’efficacité du programme ?
Il est vrai que le marché des petites et moyennes entreprises est très petit sur le marché des ABS, 10 à 12 milliards d’euros avec un volume primaire de 1,5 milliard. Le programme de rachat d’ABS pourrait avoir des conséquences bien plus significatives si l’on passait à 100 milliards.

Ces nouvelles mesures adoptées vous inspirent quel sentiment au sujet de la gravité de la situation dans la zone euro sur le plan de la croissance économique et au niveau de l’inflation ?
Entre juin et septembre, l’inflation n’a fait que baisser. Le niveau est dorénavant de 0,3%.
Alors que l’euro se déprécie, que les taux des pays périphériques poursuivent leur fléchissement, quasiment aucun mouvement n’est observé sur le taux à dix ans allemand. Je pense que cela signifie que le marché a intégré que la zone euro était déjà tombé dans un scénario à la japonaise s’agissant de sa croissance et de son inflation.

Selon vous, l’objectif premier de Mario Draghi est celui d’obtenir une diminution plus importante du cours de l’euro ?
Il y a un lien direct mis en avant par Mario Draghi entre la hausse de l’euro ces dernières années et le repli de l’inflation. Le président de la BCE chercher clairement à décroitre la valeur de la monnaie unique pour à la fois relancer l’activité et retrouver un peu d’inflation.

La parité euro dollar est en recul de plus de 1% après la conférence de presse donnée par Mario Draghi, à 1,30. Jusqu’où la baisse pourrait-aller ?

Depuis mai, l’euro a reculé de 6% contre le dollar. Il est probable que la parité recherchée soit de 1,20. Nous aurions alors une dévaluation de 15%.
La variation à venir cela dépendra également beaucoup de ce que les autres grandes banques centrales feront, notamment la Réserve fédérale américaine. Si celle-ci était amenée à adopter un ton plus agressif, le mouvement baissier de l’euro pourrait s’accélérer.

Nous serions donc dans une ferme tendance baissière ?
Il ne serait pas du tout surprenant d’avoir une parité située entre 1,20 et 1,25 fin décembre.

A la suite de ces annonces, vous attendez-vous à de nouvelles mesures de la BCE d’ici la fin de l’année ?
Je pense qu’à partir d’aujourd’hui l’institution monétaire sera sur du micro management. Elle va considérer quels sont les effets concrets de toutes les mesures adoptées avant d’envisager des mesures supplémentaires. Le recours à la dernière arme ultime, le quantitative easing à l’américaine, n’est pas selon moi à escompter cette année.
Dans le cas contraire, cela ne serait pas du tout signe de bonne nouvelle.

De quelle manière avez-vous réorienté votre allocation d’actifs ?

Nous avions déjà préempté à partir des propos émis par Mario Draghi à Jackson Hole. Nous avons orienté notre allocation vers une longue duration sur le segment du High yield. A la date d’aujourd’hui c’est quasiment l’unique classe d’actifs qui offre encore des rendements suffisamment importants avec des risques contenus pour attirer les intervenants de marché.
Il n’est quasiment plus possible de préserver des commissions de gestion dans les fonds monétaires, ou dans les fonds en euro. Avec un bund à 0,9% et une OAT à 1,30, il devient presque impossible de prélever des commissions de gestions.
Il nous semble que le marché du leverage loan, la dette subordonnée et les actions bancaires et aux actions à rendement offrent des perspectives intéressantes

Un dernier commentaire ?

Nous sommes dans un environnement un incroyable inconnu où les taux sont à 0 ou négatifs. L’eonia flirte entre le négatif et le 0. Sur la courbe allemande il y a trois années de courbe négative. Le parallèle entre le Japon et la zone euro n’est pas parfait mais sur certains critères on peut dire qu’on y est : la croissance, l’inflation, les taux.
Cela favorise les stratégies de rendement.
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