"Lundi 28 septembre, l’OFCE a organisé une conférence en vue de présenter sa nouvelle Revue, intitulée « Le Ralentissement de la croissance : du côté de l’offre ? ». Pourquoi un tel titre ?
Il y a depuis longtemps un débat important qui existe autour de la trajectoire à donner à la politique économique en France. D’aucuns s’évertuent à réclamer le déploiement d’une politique d’offre consistant à aider les entreprises qui son mal en point, quitte à relever l’impôt pour les ménages et à diminuer en cela la consommation. D’autres se trouvent plutôt dans une optique de politique de demande pour stimuler les dépenses des ménages.
Nous avons souhaité prendre du recul par rapport à ce débat et analyser ce que pourrait être l’évolution du tissu productif français sur court, moyen, et long terme.

De quelle manière ont été déterminés les intervenants à cet évènement ?

Les intervenants sont essentiellement des membres de l’équipe de l’OFCE. Trois types d’interlocuteurs ont été mobilisés : des conjoncturistes pour comprendre la dynamique d’investissement ; des analystes pour saisir les conclusions extraites de l’étude des données disponibles sur les entreprises françaises ; et des économistes pour réfléchir sur la dynamique de l’investissement à 5 à 10 ans en tenant compte de la démographie, et des enjeux écologiques.

De quelle manière comprenez-vous l’érosion du tissu productif français ? Celle-ci est elle selon vous transitoire ou permanente ?

Cette question est fondamentale pour présager de ce que pourrait être l’évolution du déficit des finances publics, ou encore de la variation du taux de chômage.
Il est important de noter que nous n’avons pas assisté en France à un effondrement brutal, injustifié, de l’investissement depuis la crise. Le ralentissement de l’activité, la réduction du niveau des marges expliquent légitimement l’amoindrissement continu de l’investissement dans l’Hexagone.
Cependant le rendement de l’investissement réalisé, autrement dit l’effet positif que cet investissement a sur le progrès technique et sur la croissance a diminué depuis la crise. En cela l’investissement est devenu moins efficace.

Comment l’expliquez-vous ?

Selon les données fournies par les entreprises, il apparait que l’investissement réalisé ces dernières années en France ait surtout été motivé lieu par un souci de maintenir l’existant et d’acquérir des biens immobiliers. Ainsi les dépenses effectuées par les entreprises n’ont pas tellement servi à innover et à monter en gamme dans les produits proposés. Nous n’avons pas vu de large diffusion des machines numériques ou des nouveaux processus de production.
Par ailleurs l’investissement s’est plutôt déplacé vers les entreprises et les territoires les moins productifs. Les nouvelles entreprises en forte expansion ont bien davantage souffert des difficultés d’investissement que les entreprises plus anciennes.

Ces différents facteurs laissent place à un relatif optimisme pour la suite des évènements ?

SI l’investissement repart en France, les considérations négatives précitées pourront effectivement évoluer dans la bonne direction. En d’autres termes, un processus de réversibilité pourrait s’enclencher.
Pour notre part, nous anticipons à ce stade une hausse relativement substantielle de l’investissement en 2016 de l’ordre de 4% (contre une estimation de 4,9% pour Bercy). A comparer avec des ordres de grandeurs de 6% à 7% à la suite des précédentes sorties de crise, à la fin des années 1980 ou 1990.
Ce redémarrage de l’investissement devrait se traduire par une modernisation progressive du tissu productif français qui devrait permettre une relance de l’innovation technique en France. En cela, il ne faut pas désespérer du tissu productif français même si celui-ci a été considérablement érodé et qu’il faudra du temps pour le reconstituer.

Quels sont les données disponibles qui vous amènent à tabler sur une hausse de l’investissement de 4% en 2016 ?

L’investissement en France est porté par trois éléments principalement : l’activité économique (qui conditionne la consommation des ménages), le niveau des marges, le cout d’accès au capital. Ces trois éléments sont favorables aujourd’hui.
Nous connaissons certes un retour de la croissance en France chaotique et heurté. Toutefois, le repli du cours du baril de pétrole et la vive dépréciation de l’euro devraient aider à soutenir la reprise. Selon les dernières études publiées, le moral des ménages et des entreprises s’inscrit dans une bonne tendance.

Qu’escomptez-vous sur le plan de la croissance en France ?

A court terme, les études réalisées au sein de l’OFCE montrent que l’on assiste à un ralentissement de la croissance potentielle. Celle-ci est passé de 1,8% sur une longue période à 1,4%.
La croissance avérée devrait ainsi se maintenir en dessous de 2% cette année et l’année prochaine. Elle devrait néanmoins être suffisante pour inciter les entreprises à de nouveau investir.

Au-delà de la composante liée à l’investissement, est ce que les deux autres grands moteurs de la croissance que sont la consommation intérieure et les exportations ont été évoqués lors de votre conférence ?

La question des exportations a été abordée sous l’angle d’une comparaison France-Allemagne pour appréhender l’origine de la divergence entre les deux pays. Depuis 30 ans, la balance commerciale de la France est très similaire de celle de l’Allemagne. Toutefois, depuis le début des années 2000, l’Allemagne est devenu le pays le plus exportateur du monde, bien devant la Chine, alors que la France s’est enfoncée dans une balance commerciale déficitaire.
Cette divergence est assez inédite.

Comment la justifiez-vous ?

La France et l’Allemagne ont des composantes industrielles assez semblables, avec de l’automobile, de la chimie, de la santé, de la machine outil, du chemin de fer…
Trois points peuvent aider à comprendre la divergence : la montée en gamme des produits allemands, le transfert du tissu productif vers l’Allemagne de l’est, et la modération salariale.
Cette modération salariale qui a débuté au milieu des années 1990 explique la moitié de l’écart de la balance commerciale entre la France et l’Allemagne, et près de 2% du taux de chômage en France en raison de pertes des parts de marché à l’étranger. Le niveau des salaires Outre-Rhin, indépendamment de toutes charges sociales, n’a pas grandement augmenté depuis 1995 ce qui a conféré à la première puissance de la zone euro un gain de compétitivité substantiel.

Certains affirment pourtant que les salaires dans l’industrie française équivalent les salaires dans l’industrie allemande…

Tel n’est pas tout à fait le cas.
Par ailleurs, l’industrie allemande fait beaucoup appel aux services allemands qui sont moins couteux que les services français et qui de ce fait accentue le rapport de force en faveur de l’Allemagne.

Êtes-vous confiants sur l’aptitude de la France à rectifier le tir ?

La France est actuellement coincée entre l’Espagne qui a abaissé drastiquement ses salaires et est parvenue à se faire plus grande place dans le low cost et l’Allemagne qui tend à maintenir ses salaires, si ce n’est à les accroitre quelque peu, et qui se distingue dans le haut de gamme.
Il y a clairement une prise de conscience des autorités nationales qu’un effort est à faire dans le domaine. En témoigne le rapport Gallois et le CICE.
Il y a lieu que la France reste en étroite collaboration avec ses partenaires européens, singulièrement l’Espagne et l’Allemagne, pour avoir une stratégie concertée.

Nous pouvons dénoter des signaux d’encouragement…

Réalisant pleinement qu’il ne lui est pas possible de se permettre de perdurer dans une posture de dévaluation compétitivité par rapport à ses partenaires et d’entrainer ainsi une instabilité grandissante dans la région, l’Allemagne a accepté d’introduire le SMIC.
De plus, dans le rapport rédigé par les cinq présidents européens est prévue la mise en place d’agences de compétitivité dans chaque pays pour justement éviter une trop grande divergence des salaires en Europe afin empêcher la survenance d’une déflation et d’une dépression économique.
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