"Quels principaux enseignements tirez-vous des résultats semestriels des foncières françaises ?
Un premier enseignement est celui d’une poursuite de l’alignement des patrimoines. Nous pouvons notamment le relever dans les résultats de Gecina et de Klépierre. La volonté est affichée de donner de la cohérence aux portefeuilles constitués par une ligne directrice, et de procéder à des restructurations en vue d’extraire la valeur maximale des actifs. Unibail avait été précurseur en la matière.

Comment expliquez-vous ce mouvement ?

Par l’environnement de plus en plus concurrentiel. Pour avoir le meilleur taux d’occupation, le meilleur taux de rotation et optimiser la valeur du patrimoine, il n’est pas très bon d’avoir un portefeuille éclaté sur différentes fonctions immobilières. Il vaut mieux être performant sur deux ou trois produits immobiliers, et développer des savoir-faire pointus en la matière.
Le fait de se concentrer sur un nombre limité de types d’actifs permet une plus grande lisibilité et une plus grande efficacité en termes de stratégie de location et de développement.

Il y a une autre foncière qui est assez remarquable dans cette approche, c’est la Société foncière lyonnaise (SFL). Le managment a su se poser les bonnes questions, a cherché le dénominateur commun de son patrimoine-les grands immeubles dans les quartiers d’affaires- et a défini les éléments de langage adéquats pour présenter sa stratégie à sa clientèle cible et les faire venir sur leurs immeubles.

Y a-t-il des sociétés qui n’ont pas encore réalisé ce processus de concentration et qui sont affaiblies de par leur diversification ?
A chaque foncière sa stratégie et à chaque taille de foncière et de patrimoine une stratégie de développement. Tout le monde n’est pas SFL ou Unibail.
Nous attendons beaucoup du nouveau positionnement d’Icade-Silic. Le mariage a été célébré de deux patrimoines très différents bien qu’ils aient le point commun de pouvoir développer des immeubles sur un foncier maîtrisé. La suite des événements est encore un peu floue. Le patrimoine est aujourd’hui énorme, et très diversifié.

La nouvelle société va-t-elle rentrer dans un programme d’arbitrage ? Ou déploiera-t-elle une stratégie en contre-pied de ce que font les autres foncières, en devenant le touche-à-tout, le multicarte de l’immobilier. Ce serait surprenant.

Y a-t-il d’autres observations à faire ?

On remarque que lorsque les entreprises bougent, elles portent essentiellement leurs choix sur des immeubles neufs, ou dans le meilleur état possible, le plus au gout du jour,. Elles sont en général à la recherche de la qualité.

Les stocks encore présents sont-ils à Paris intra muros ou plutôt dans la périphérie ?
Ils sont massivement en dehors de Paris. Les taux de vacance en Ile de France vont de 4% à Paris intra muros à près de 15% dans l’ouest parisien. Sur le segment des grands immeubles et des grandes surfaces, il y a une bascule, puisqu’aujourd’hui il y a plus d’immeubles de seconde main que d’immeubles neufs. De cela découle une interrogation qui est celle pour les propriétaires de savoir comment attirer les clients vers leur portefeuille d’immeubles neufs au lieu d’opter pour le reste de l’offre existante, c'est-à-dire ces immeubles de seconde main qui sont inévitablement moins chers.

Comment expliquez-vous que du neuf immédiatement disponible soit de plus en plus rare ?
Il y a de moins en moins de construction « en blanc », c'est-à-dire sans connaître l’identité de l’acheteur. De plus en plus est suivie une logique d’opération clé en mains. Certaines sociétés comme Foncière des régions parviennent sans heurts à de tels mises en chantier mais d’autres sont confrontées à plus de difficultés et doivent démontrer au préalable la valeur ajouté de l’immobilier proposé.

Cet enjeu a d’autant plus d’acuité qu’il y a eu récemment autant de prise à bail sur les immeubles neufs que les immeubles de seconde main ?
C’est ce que nous remarquons à l’issue du premier semestre. Ce n’était plus arrivé depuis longtemps. Il y a deux interprétations à cela. Soit c’est un accident de conjoncture, ce qui n’est pas très grave, soit c’est une tendance de fond, et dans ce cas il va falloir repenser un argumentaire sur les avantages de la prise à bail d’un immeuble neuf, en terme de densification, et in fine d’économie ou de meilleure adéquation au schéma d’organisation des entreprises.

C’est donc le prix du loyer qui guiderait les entreprises ?
En général, les entreprises qui se déplacent sont celles qui doivent compenser avec une pression financière, et qui ont besoin de réaliser des économies. Dans ce cas le choix est un choix fait en fonction du simple prix.
Il arrive cependant que l’option de bouger soit prise par conviction, en considération d’autres éléments que le prix. Dans ce cas, cela remettrait en cause le présupposé selon lequel 80% des transactions se feraient dans le neuf.

Un tel retournement de tendance s’il est avéré pourrait conduire à des ajustements de valeur des biens neufs et le cas échéant à des pertes sèches.

Parallèlement au facteur prix, vous pensez donc que la qualité des services peut impacter sur la décision des entreprises ?
Toutes les entreprises n’ont pas la même capacité budgétaire, et ne recherchent pas la même valeur dans leur immobilier. C’est donc un investissement comme un autre, et les entreprises veulent savoir pour quoi elles payent, ce d’autant plus qu’elles payent cher leur immeuble de bureau.

Ce qui veut dire ?
Pour une entreprise le sujet n’est pas tant de savoir que la location du bien vaudra 500 ou 550, mais il est de savoir si pour 550, elle aura plus que de l’immobilier, à savoir de meilleures conditions de travail des salariés qui garantissent une meilleure productivité, une meilleure aptitude à recruter du personnel compétent, un taux d’absentéisme moindre qu’ailleurs.
Les foncières se doivent ainsi de sortir du langage loyer, charges, coûts, pour basculer vers des éléments plus immatériels.

C’est là-dessus qu’Unibail a bâti sa différence et SFL en prend le chemin.

Vous exprimez des points forts et des points faibles dans les sociétés, pouvez-vous faire des distinctions entre celles-ci ?
Foncière des régions, Icade, Gecina font partie des foncières qui ont décidé de dédier une partie de leur capacité d’investissement dans de l’hôtellerie ou de l’immobilier de santé, ce qui est très intéressant car ce sont des marchés qui arrivent à une certaine maturité. Pendant longtemps, le business modèle de développement a été d’acheter un patrimoine externalisé dans une démarche partenariale avec des opérateurs, et aujourd’hui, les précurseurs dans cette voie sont bien positionnés pour profiter de la seconde vague, consistant à avoir un schéma de cession d’actifs entre investisseurs. Elles ont donc un vrai avantage sur les autres. Certaines ont aussi compris que la prochaine phase suivante était de développer un portefeuille pan européen pour accompagner le développement des opérateurs partenaires et capitaliser sur leur savoir faire.

Selon vous, quelles pourraient être les fusions ou absorptions à venir ?
Il y a une consolidation du secteur ces derniers temps, qui était attendue depuis longtemps. Les foncières doivent avoir une taille critique pour une gestion la plus optimale possible. Ce qui est encore plus vrai dans le commerce, où les enseignes étrangères qui sont déjà en France peuvent faire confiance à une foncière pour les accompagner dans leur développement à l’étranger. Il faut alors avoir la même qualité de centres commerciaux dans les autres zones géographiques d’implantation.

Les foncières et les marques sont désormais dans une logique de partenariat de business. Ces nouvelles enseignes sont attirées plutôt par Londres ou Paris à l’échelle européenne, mais très vite la question de l’expansion en Europe se pose pour elles. Si les foncières ont la capacité de les suivre et des les implanter, c’est tout bénéfice pour ces dernières, puisqu’elles peuvent remplir leurs immeubles, elles accélèrent le taux de rotation, elles créent l’évènement avec l’arrivée de nouvelles enseignes dans leur centre et, in fine, la valorisation de l’actif n’en n’est que meilleure.

Il y a un certain nombre de foncières qui ont, dans leur ADN, des choses en commun, ou bien qui sont complémentaires. Il serait donc logique de voir des fusions prochaines.
Je vois plutôt des alliances stratégiques pour avoir une taille critique ou une offre complémentaire. Nous pourrions assister à l’acquisition d’un spécialiste qui in fine apporterait de la valeur ajoutée à la foncière absorbante.

Quels sont les sociétés pourraient être des « cibles », et quelles seraient les « prédatrices » ?
Il s’agirait, pour les cibles, de foncières avec un patrimoine faible, une forte rentabilité, et qui sont une sorte de « niche player », comme Foncière 6&7. La Tour Eiffel pourrait également absorber Foncière Inea. Les deux foncières sont assez jeunes dans leur activité et la constitution de leur patrimoine. Elles sont toutes deux en région et dans le neuf.

A lire également le dossier : "Unibail, Klepierre, Mercialys, Icade, Foncière des régions, Gecina, Tour Eiffel, faut-il encore miser sur les foncières ?"

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