William Higgons, pourquoi la value fonctionne historiquement, mais pas depuis 5 ans ?

"La gestion value n’est certes pas à la mode depuis quelques années, mais je suis convaincu qu’elle continuera de surperformer sur longue période, tout simplement parce que l’être humain continuera à être présomptueux ! La présomption chez un investisseur consiste à croire qu’il peut prévoir l’avenir. Les gérants value sont plus modestes, et reconnaissent qu’ils n’ont pas cette faculté. Voilà pourquoi nous préférons acheter aujourd’hui Crit à 9 fois les résultats que, par exemple, VusionGroup, dont le PER 2023 retraité des profits sur les BSA, avoisine les 60, ce qui quelque part est un pari sur une multiplication par 6 des résultats d’ici 5 ans de façon à retrouver un PER attractif de 10 à cet horizon. Chez Indépendance AM, nous sélectionnons donc des titres sous-valorisés par rapport à leurs niveaux de cash-flow et de résultat historiques ou de l’année en cours, et les vendons quand leurs multiples (PER, P/CAF…) deviennent relativement élevé par rapport au marché. Nous ajoutons d’autres critères pour augmenter nos chances de surperformer : un retour sur capitaux employés (ROCE) élevé qui en principe appelle un faible endettement, et le momentum, qui consiste d’une part à profiter des excès d’humeur du marché pour ne pas vendre trop tôt ou ne pas rater une OPA, et d’autre part à vendre de temps en temps le titre qui a le plus sous-performé le marché sans raison identifiée, considérant qu’une mauvaise nouvelle a dû nous échapper. Enfin, nous évitons les sociétés en décroissance organique." 

Un processus de sélection de valeurs de qualité à prix attractif

Qu’est ce qui, au-delà de votre intuition, prouve la surperformance sur longue période du style value ?

" Notre conviction s’appuie sur des fondements théoriques. Dans l’ouvrage What Works on Wall Street, James P. O'Shaughnessy a montré que sur très longue période, en l’occurrence la seconde partie du 20e siècle, l’achat de titres décotés surperformait de très loin le marché. Auparavant, Benjamin Graham, le mentor de Warren Buffett et Charlie Munger, avait vanté les titres décotés tout en ajoutant déjà à l’époque la notion de retour sur capitaux investis. Au début des années 90 les tenants de la théorie moderne du portefeuille ont essayé de démontrer sans y parvenir que la surperformance de la value était liée à une prise de risque supplémentaire. Les sociétés décotées résistent plutôt mieux dans des marchés baissiers. Enfin, plus récemment, l’analyse comportementale a montré que les stratégies value étaient efficaces parce que les investisseurs ont des biais. Ils sont notamment attachés à leur repère et croient que les investissements et sociétés qui ont eu un beau parcours continueront a surperformer. L’absence de théorie de la croissance des entreprises fait qu’il est impossible de prévoir la croissance future du bénéfice par action avec un degré de confiance élevé. D’un point de vue marketing, la gestion value est moins facile à vendre, ce qui explique peut-être le peu de fonds positionnés sur ce créneau et probablement la surperformance !"

Comment expliquez-vous le succès du style de gestion « croissance de qualité » et des megacaps ces dernières années ?

"Je reconnais que les dernières années les valeurs les plus chères ont surperformé notamment aux Etats-unis. Cependant, selon moi, cette période constitue une anomalie statistique, une exception qui confirme la règle. Aujourd’hui, c’est LVMH, Air Liquide et l’Oréal. Hier, ce furent Sanofi, Carrefour et, dans l’univers des valeurs moyennes, Eurofins et Teleperformance. On n’observe pas de persistance des multiples de valorisation dans le temps : le rerating d’un secteur délaissé tient à peu de choses. Un jour, la roue tournera, ce qui n’empêchera pas quelques survivants de démontrer le contraire. Nos économies restent concurrentielles, les Etats finissent pas s’attaquer aux monopoles, et les ETF n’ont pas encore la totalité du marché …"

Pourquoi votre fonds France Small a-t-il privilégié de plus grosses capitalisations récemment ? Les petites valeurs ne sont-elles pas sur longue période un réservoir de surperformance ?

"Ce qui est intéressant avec les petites sociétés, c’est qu’elles sont souvent plus intéressantes et plus faciles à suivre, et que leur management est plus directement accessible. Par ailleurs, leur caractère souvent familial est plutôt un atout en termes d’alignement des intérêts et de conservatisme dans la comptabilité et la communication. Mais la taille de capitalisation n’est pas un critère en soi et il s’est trouvé l’année dernière que quelques grosses valeurs moyennes, affichant une capitalisation de moins de 7Md€, étaient vraiment mal valorisées. Je pense notamment à Vallourec, Nexans, Coface ou TF1. Ces sociétés se traitaient autour de 7 fois leur résultat net, un multiple d’autant plus attrayant que la liquidité de leur titre est élevée. Or, le fonds a collecté récemment et nous sommes convaincus qu’il vaut mieux concentrer le portefeuille sur une quinzaine de convictions pour générer de l’alpha. Avec 13 valeurs concentrant la moitié de l’encours, nous sommes plus à l’aise si les valeurs sont liquides."

Principales positions du fonds Indépendance France Small et principales capitalisations à fin mars 2024

Vous êtes sceptiques quant à l’intérêt de rencontrer les managements, ce qui ne vous empêche pas de le faire, et même de visiter les entreprises sur le terrain. Comment mettez-vous à profit ce type d’opportunité ? Quelles sont les visites qui vous ont marqué ?

"Je rencontre beaucoup de dirigeants mais cela ne présente pas que des avantages. Si la société va mal, le dirigeant va toujours essayer et parfois réussir à vous convaincre que vous avez tort. Dans son ouvrage Behavioural Finance, James Montier consacre un petit chapitre sur la rencontre des dirigeants. Il y note que les dirigeants sont toujours optimistes, ils espèrent presque tous croitre plus vite que le PIB, que nous ne savons pas distinguer si un interlocuteur dit la vérité ou ment et que nous retenons que ce qui va dans notre sens. De plus, après la rencontre vous risquez de croire que vous connaissez la société mieux que le marché et de surestimer vos capacités à prévoir ses résultats futurs. 

Cela étant, certaines visites m’ont ouvert les yeux. Je pense à Groupe Guillin dont l’usine d’Ornans permet de se représenter l’importance de la fonction logistique dans le métier de l’emballage alimentaire. La qualité de la prestation logistique, livraison dans les 24H, explique leur niveau de marge sur des produits basiques. La visite du site LDC du Mans m’a également marquée : j’ai réalisé là aussi l’importance de la barrière à l’entrée que représentait l’outil logistique à proximité du site de découpe."

Nous sommes en période de publication des rapports annuels et vous faites partie des investisseurs qui les lisent attentivement. Quelles rubriques ou détails attirent particulièrement votre attention ?

"J’aime à dire que celui qui lit en entier le rapport annuel d’une société est un des meilleurs spécialistes de la société. Je m’attarde sur les facteurs de risque, les procès en cours, et le tableau de financement car le cash ne ment pas alors que les comptes de résultats peuvent être « bidouillés ». Une différence importante entre le résultat net et la génération de trésorerie doit poser question. Enfin, la rémunération des dirigeants ne doit pas être trop importante au regard du résultat d’exploitation. Actions gratuites comprises…"

Quels achats avez-vous réalisé récemment ?

"Nous avons acheté Esso à l’occasion de la publication des résultats 2023 qui faisait ressortir une sous-valorisation sensible. Nous ne prétendons pas savoir si les marges de raffinage vont s’effondrer ou pas. Il semble juste que la guerre en Ukraine et la raréfaction des raffineries en Europe sont des facteurs de soutien. J’apprécie également Mersen, qui investit très fortement sur des secteurs porteurs avec un ROCE avant IS annoncé de l’ordre de 15% sur les nouveaux investissements, le tout pour un PE d’environ 10 fois les résultats attendus cette année. TF1 reste mal valorisé en dépit de la hausse récente de son cours."