"Vous présidez le groupe de travail de l’ORSE sur le reporting intégré. Quelle place le framework de l’IIRC (International integrated reporting committee) donne-t-il au capital humain et comment le capital humain est-il en synergie avec les autres actifs immatériels pour générer de la valeur?

« Je n’aime pas vraiment l’expression mais la définition du capital humain par l’IIRC est correcte : « les compétences, les capacités et l’expérience du personnel et sa motivation à innover. »

Le capital humain fait partie des six capitaux identifiés comme tels ; l’IIRC ne dit pas comment il est en synergie avec les autres mais demande aux entreprises d’expliquer quelles sont les relations qui existent entre ces capitaux et comment sont faits les arbitrages entre eux (entre l’emploi et la protection de l’environnement par exemple). »

Selon vous, quel est l’état d’avancement de ce reporting intégré en France et dans le monde ? Comment les champions du reporting intégré communiquent-ils sur leurs actifs immatériels et plus particulièrement le capital humain ?

« En France, la réponse se situe dans le récent rapport de l’AMF (Autorité des marchés financiers) sur l’information publiée par les sociétés cotées en matière de RSE (Responsabilité sociale des entreprises). Il n’y a pas encore de rapport intégré disponible. C’est également le constat de l’IIRC qui donne cependant sur son site des exemples allant dans ce sens. Cela dit certains groupes commencent à se targuer de présenter des rapports intégrés (cf. SAP en Allemagne par exemple).
S’agissant du capital humain, pour le moment, on trouve essentiellement des narratifs sur les activités « Ressources humaines » assortis de données quantitatives (KPIs : Key performance indicators). »

Comment mesurer l’investissement sur capital humain et son ROI ? Quels sont les indicateurs-clés qui seraient pertinents?

« Pour le moment, cette question n’a pas de réponse globale ; les entreprises publient la mesure de KPIs jugés représentatifs de l’activité RH (Ressources humaines) dans certains domaines : sécurité, diversité, égalité H/F… »

Quelle communication sur la stratégie et les actions relatives au capital humain, pour une reconnaissance et une valorisation par les marchés et les parties prenantes ?

« Aujourd’hui le recours à la notion des six capitaux procède davantage d’un cadrage théorique que d’une application pratique ; personne à ma connaissance ne passe des écritures illustrant l’augmentation/diminution d’un capital humain figurant à l’actif du bilan. »

Quels supports et quelles cibles de cette communication ? Faut-il aller vers une communication financière et extra financière plus intégrée?

« C’est bien ce que recommande l’IIRC. Il reste à voir s’il sera suivi par les émetteurs et les autorités de contrôle. »

Quel contrôle de ces informations extra financières ?

« Le système mis en place en France porte sur une série d’indicateurs et non sur la mesure directe des 6 capitaux. Passer d’une vérification ponctuelle à une appréciation générale par un tiers de l’information globale (financière et extra-financière) prendra du temps. »

Selon vous, qu’apporte à cet égard le projet de Directive européenne sur le « non financial and diversity disclosure » ?

« Il faut attendre la version définitivement adoptée pour porter un regard définitif. On peut d’ores et déjà retenir que les 28 pays de l’Union vont devoir investir sur ce sujet, ce qui n’est aujourd’hui le cas que de quelques Etats membres. On voit également que progressivement le contenu des rapports va s’harmoniser au plan européen, ce qui est une bonne chose. »

Selon votre perception, quelle importance accordent les acteurs des marchés financiers (analystes financiers, investisseurs financiers, fonds…) aux actifs immatériels et plus particulièrement au capital humain de l’entreprise?

« Je pense que les investisseurs ISR (Investissement socialement responsable) accordent une réelle importance à ces aspects. Les autres acteurs s’y intéressent d’autant plus qu’ils investissement de manière significative dans une entreprise. Les analystes financiers sont encore assez loin de ces sujets me semble-t-il ; la SFAF (Société française des analystes financiers) en France fait un effort tout particulier pour sensibiliser ses membres. »

Avez-vous le sentiment qu’il existerait-il un « value gap » entre la valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Que ce « value gap » pourrait être réduit par une meilleure prise en compte de la valeur des actifs immatériels comme le capital humain et par une communication spécifique sur cet aspect de la valeur ?

« Je ne sais pas faire la différence entre les deux termes ; la valeur d’une entreprise de manière générale est au moins pour partie celle perçue par les marchés.
Je suis d’accord sur le fait qu’une meilleure information sur les aspects « ressources humaines » peut modifier l’appréciation que les marchés font d’une entreprise. Encore faut-il que cette information soit fiable, raisonnablement quantifiée (les seuls descriptifs « littéraires » ne suffisent pas) et stable dans le temps. Nous n’y sommes pas encore ! »

Quelles propositions (de nature sociale, juridique, économique, financière…) ou quelles mesures attendriez-vous des pouvoirs publics pour un environnement favorable à ces bonnes pratiques permettant de valoriser le capital humain ?

« Je ne demande rien de plus des pouvoirs publics qu’une application raisonnable de la future directive. Elle donnera le coup de pouce réglementaire qui aidera le reporting intégré à se développer. »


Dominique LEDOUBLE, 64 ans, est HEC, docteur en droit, expert-comptable & commissaire aux comptes. Il est devenu Directeur du Développement chez KMG Fiduciaire de France en 1982, puis associé dirigeant de Salustro Reydel en 1986. En 1993, il crée le cabinet qui porte son nom, spécialisé dans l’expertise financière et comptable. Dominique LEDOUBLE a été élu au Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts comptables en 1992 et en a été le Président de 1998 à 2001. Il a fondé en 2009, l’Association Professionnelle des Experts Indépendants (APEI), reconnue par l’AMF, et est actuellement Président de la Fédération Française des Experts en Evaluation (FFEE).


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