"Comment expliquez-vous le regain d’inquiétude sur le ralentissement de l’économie chinoise ce début d’année ?
Cette inquiétude est avant tout perceptible sur les marchés financiers. Elle s’explique en premier lieu par la publication d’indicateurs économiques défavorables, notamment les indices PMI du secteur manufacturier réalisés par Markit et Caixin. Nous avons par ailleurs assisté à beaucoup de maladresses de politique économique. Ainsi des mécanismes de coupes circuits mis en œuvre sur le marché boursier local ont été définis à des niveaux excessivement bas.

Quelle lecture faites-vous de la dégradation des indices PMI réalisés par Markit et Caixin ?

Nous avions prévu depuis longtemps que le ralentissement de l’économie chinoise ne serait pas simple et qu’il s’accompagnerait de défis. A présent, il est important de garder à l’esprit que les indices PMI de Markit et Caixin englobent relativement moins de sociétés du secteur public, moins de grosses entreprises que celles produites par les statistiques officielles.

La divergence entre les indices s’expliquerait donc davantage par la différence de leur champ d’investigation que par la différence du degré d’indépendance par rapport à Pékin des instituts qui en sont à l’origine ?

De manière générale, il est difficile d’évaluer le degré d’indépendance d’un organisme statistique publique par rapport au gouvernement. Ceci étant, il apparait incontestable que l’une des sources de divergence est à relier au fait que ces indices n’ont pas le même scope. Ce que l’on peut admettre, en conséquence, c’est que la filière privée et les petites sociétés du secteur manufacturier sont en souffrance alors que les plus grandes entreprises affichent une plus grande résilience sans doute en raison de leur plus grande sensibilité aux stimuli monétaires et budgétaires. Elles ont accès plus rapidement aux financements et aux aides de l’Etat.

A-t-on une idée de la contribution de la filière privée et des petites entreprises du secteur manufacturier au PIB de la Chine ?

Le secteur industriel représente 40.5% du PIB. Malheureusement nous n’avons pas la distribution par taille d’entreprise. Nous sommes simplement en mesure de palper sa vulnérabilité qui s’apprécie d’une part à travers l’analyse du PMI manufacturier officiel pour les petites entreprises qui est très bas en décembre (44.9), et par la tendance des défaillances d’entreprises. A ce sujet, nous anticipons une hausse de 20% des défaillances d’entreprises en 2016 contre 25% en 2015, ce qui est très élevé.

De quelle manière se situe ce taux de défaillance sur le plan historique ?

Nous devrions atterrir cette année sur 3920 défaillances. En 2009, nous avions comptabilisé 4448 défaillances. Si le nombre est moins élevé, le rythme de hausse est cependant fort.
Ce niveau de sinistralité est probablement déjà anticipé par les investisseurs.

Qu’en est-il de la fragilité des grandes entreprises manufacturières ?
Les statistiques officielles signalent une baisse de 2.3% des profits des grandes entreprises chinoises dans le secteur manufacturier en 2015. La croissance de la production industrielle a ralenti quant à elle à 6% en 2015, contre 8% en 2014.

Quels sont les segments d’activité les plus affaiblis ?
Les entreprises évoluant dans l’activité des matières premières industrielles (miniers et métaux), les entreprises de machinerie lourde en raison de surcapacités et de la faiblesse des débouchés notamment dans le secteur de la construction.

Ces segments ont-ils un poids conséquent dans l’économie chinoise ?

Le secteur le plus conséquent de l’économie est la partie service (50.5%) du PIB. Un secteur tel que la construction représente 7% du PIB. Autrement dit, les secteurs fragiles n’ont pas un poids déterminant même s’il est significatif.

Hormis le secteur manufacturier, d’autres secteurs sont affectés, en particulier ceux qui sont de moins en moins compétitifs et qui sont liés à la demande extérieure ?
La mise à mal est fonction du positionnement dans la chaine de valeur. Ainsi les entreprises chinoises spécialisées dans des secteurs bas de gamme et à faible valeur ajoutée (textile et électronique bas de gamme) sont davantage tourmentées car elles sont en proie à la compétition des entreprises des pays à bas cout (tels que le Vietnam). L’appréciation du yuan dans les années précédentes ainsi que la hausse des couts salariaux ont réduit la compétitivité prix des entreprises chinoises face à ces pays.

Quelles sont, a contrario les entreprises qui parviennent à tirer leur épingle du jeu ?
Les entreprises qui évoluent dans l’électronique haut de gamme, celles qui ont tiré avantage du recul des prix des matières premières comme les entreprises de la chimie, et les entreprises qui jouissent d’aides gouvernementales comme l’automobile.

Les politiques économiques de la Chine semblent en prise avec beaucoup d’objectifs contradictoires… C’est le non alignement des différents engagements qui abouti à des anticipations mal calibrées et qui entraine beaucoup de volatilité...
Nous avons identifié trois trilemmes dans l’économie chinoise. Sur le front du change, la Chine ne peut pas promettre un compte de capital plus ouvert, avoir un taux de change stable, et une politique monétaire totalement indépendante. Or la Chine entend poursuivre les trois objectifs à la fois. Cela créé de l’incertitude et du désarroi auprès des investisseurs. Sur le terrain de la croissance, la Chine ne peut pas libéraliser son économie, réduire la dette des entreprises, et avoir une cible de croissance élevée et totalement fixe. La volonté affichée de concilier les trois finalités a pour résultat un effet disproportionné des nouvelles économiques chinoises sur les variables financières chinoises.

En quoi consiste le dernier trilemme ?
La Chine ne peut pas communiquer sur une solidité financière (de par l’immensité de ses réserves et sa capacité de dépenses publiques), et injecter de l’argent dans des projets non profitables que ce soit en interne ou à l’international. Il faut que les stimuli décidés soient plus sélectifs afin d’apporter les fruits attendus.

Que répondez-vous aux observateurs qui estiment que la croissance chinoise est bien moindre que les 6,9% annoncés, entre 3% et 4% ?
Je ne pense pas que l’on soit en mesure de calculer les statistiques chinoises mieux que les autorités elles même. De prime abord, les autorités chinoises n’ont pas d’intérêt à manipuler les chiffres de croissance. Celles-ci ont démontré à maintes reprises qu’elles avaient pleine conscience des problèmes existants. Des lacunes ont été reconnues dans la mobilisation de leurs données statistiques. Une volonté a été exprimée de les résorber. Des améliorations ont d’ailleurs été apportées durant ces dernières années notamment une publication des chiffres relatifs à l’activité trimestrielle en plus des chiffres cumulés, et une réconciliation entre les chiffres de croissance trimestrielles et annuelles.

Escomptez-vous des mesures supplémentaires cette année pour tenter de renouer avec une certaine accalmie ?
Nous attendons de la PBOC des baisses additionnelles de son taux de réserves obligatoires. Nous pressentons également des mesures significatives de la part des autorités budgétaires. En 2015, le déficit se situait entre 2,3% et 2,5%. Il pourrait croitre entre 3% et 3,5%. Pourraient être décidées des diminutions de taxes pour les entreprises et des augmentations de dépenses d’infrastructures.

A quel horizon pourrait-on avoir des premières mesures d’envergure d’ordre budgétaire ?
Nous devrions avoir des déclarations dans ce sens à partir de mars dans le cadre de leur Congrès annuel.

Quel niveau de croissance pourrait-on obtenir en fin d’année ?

Je pense que les autorités profiteront de leur Congrès pour donner plus de flexibilité à leur objectif économique en donnant une fourchette de fluctuation du taux de croissance et un non un chiffre fixe. Nous anticipons un taux de croissance à 6,5%.

Voyez-vous une dépréciation supplémentaire du change ?

Nous présageons un taux de change entre 6,8 et 7 en fin d’année. En cela, les autorités devraient admettre qu’il est inefficace de chercher à stabiliser la valeur du change par l’utilisation des réserves et laisser davantage la monnaie fluctuer pour soutenir les exportateurs chinois. Cette dépréciation devrait s’accompagner d’une meilleure communication et devrait être graduelle.

Concernant le change, il y a lieu selon vous de nuancer le problème des fuites de capitaux…

Des flux sont intentionnels et d’autres non. Certaines sorties s’inscrivent dans une logique d’arbitrage en raison de la dépréciation de la valeur du yuan. Il y a également une volonté des entreprises chinoises d’investir à l’étranger qui est encouragée par les autorités. Ce sont donc des sorties de capitaux mais pas nécessairement des fuites de capitaux.
Les fuites de capitaux deviennent une réelle préoccupation lorsque l’on perçoit un assèchement du crédit dans le pays, ce qui n’est pas le cas pour le moment.

De quelle manière devrait évoluer le marché des actions chinoises dans les mois à venir ?
L’effondrement de la bourse chinoise est selon moi, un symptôme des mauvaises nouvelles économiques et d’un manque d’expérience des acteurs privés.
Il me semble que nous aurons encore beaucoup de volatilité. Il y a une courbe d’apprentissage à faire. Elle prend du temps, peut être deux ans, et ne peut pas être pleinement pilotée par les autorités.

Peut-on craindre un dérapage en liaison avec la détérioration de certaines économies très sensibles à l’essoufflement de la Chine ?

Je ne pense pas que cela entrainera une crise sur l’ensemble du monde. Pour le moment les effets sur l’économie réelle sont localisée L’essoufflement de la Chine a une incidence néfaste sur les pays massivement producteurs de matières premières industrielles comme l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Indonésie, la Malaisie, l’Arabie Saoudite, le Brésil et les pays extrêmement dépendants, comme Taiwan, Singapour, Hong Kong, et dans une moindre mesure la Corée du sud. Taiwan a enregistré une croissance de 0.9% en 2015, Singapour de +2.1%. Ceci est considérablement en deça de leurs croissances moyennes entre 2004 et 2014 respectivement de +4% et +6% l’an.

Les pays massivement producteurs de matières premières industrielles sont affectés à différents égards…

Ils sont impactés négativement par la diminution de la demande chinoise, la chute des prix, la dépréciation de leur devises, et la déroute de leur marché boursier.
Certains de ces pays ont les outils nécessaires pour résister comme l’Australie (politique monétaire accommodante) et la Corée du Sud (politique monétaire et budgétaire).D’autres en ont moins comme la Malaisie et l’Indonésie.

En Asie tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne ?

Les Philippines (+5.8% de croissance en 2015) et le Vietnam (+6.7%) ont réussi à tirer leur épingle du jeu en 2015 et devraient encore pouvoir le faire cette année.

Quand peut-on espérer avoir une accalmie ?
Nous pourrions avoir une accalmie en fin d’année. En dépit de ce moment de stabilisation de court terme, l’inquiétude liée au changement de modèle économique chinois demeurera tant que le gouvernement chinois n’aura pas clarifié ce qu’il entend.
Il y a comme une sorte d’incompréhension de ce que veulent faire les autorités publiques par les acteurs privés. Le problème est que la Chine est prise entre deux feux. Elle veut avoir une économie de marché sans ses défauts. Autrement dit, elle veut poursuivre la libéralisation de son marché financier et éviter de trop fortes perturbations découlant de cette libéralisation.

Un dernier mot…
Le processus de rééquilibrage est déséquilibré. Il s’accompagne d’une hausse des défaillances d’entreprise (+20% en 2016), de contrecoups pour le secteur financier, et suppose une volatilité élevée du marché boursier et du change. Ce rééquilibrage est compliqué mais pas encore catastrophique. Le cas de la Chine ne s’apparente pas à celui du Brésil ou de la Russie.
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