"Quel regard portez-vous sur le ralentissement de l’économie chinoise ?
Ce ralentissement est en œuvre depuis un moment. Entre 2000 et 2010, la croissance annuelle chinoise était supérieure à 10%. Cette longue période de croissance rapide a, depuis, laissé place à un essoufflement continu. En 2014, le PIB de la Chine s’élevait à 7,4% et devrait atteindre 7% en 2015 pour descendre probablement en-dessous de ce seuil dans les années à venir.
Cette tendance structurelle va au-delà des péripéties de réglage de politique économique ou des péripéties de marché.

Comment expliquez-vous cette tendance ?
Dans le développement économique d’un pays, il existe une relation étroite entre le niveau de richesse par habitant et le rythme de croissance. Ce même phénomène a été observé aux Etats-Unis au 19ème siècle, puis au Japon dans les années 1960, et plus récemment dans des pays comme la Corée et Taiwan.
Au niveau où se situe le PIB par habitant en Chine aujourd’hui, il est normal de perdre une croissance à deux chiffres, et de se diriger vers un ralentissement continu au fil du temps. Il n’est pas exclu que le PIB passe en-dessous de 5% dans cinq à dix ans.
Cette toile de fond doit absolument être conservée à l’esprit car elle explique mieux les perspectives susceptibles d’être dressées.

D’aucuns estiment que nous serions face à un ralentissement plus prononcé que prévu et que les 7% de hausse de PIB avancés par les autorités chinoises ne seront pas au rendez-vous du fait d’un changement de modèle de l’économie chinoise qui peine à porter ses fruits…
Les Etats-Unis, l’Europe mais aussi le Japon, qui représentent 50% du PIB mondial, peinent à connaitre une vive dynamique de leur économie. Il n’est pas étonnant qu’une incidence de ce contexte soit perçue au sein des pays émergents, Chine en tête. Ces pays émergents exportaient des marchandises achetées par les consommateurs américains, européens, japonais. Ces exportations avaient été permises par des sociétés occidentales installées en Chine par des transferts de capitaux et des transferts de technologies. Ces exportations représentaient le moteur de l’économie chinoise. L’essentiel des gains de productivité était alors largement concentré dans les secteurs exportateurs. Compte tenu de cette moindre puissance du moteur des exportations, la Chine s’est retrouvée contrainte de faire évoluer son modèle économique pour davantage l’axer sur la demande intérieure. Il lui faut donc réallouer du capital et du travail de certains secteurs massivement exportateurs vers certains secteurs peu ou pas exportateurs.
Cette transition n’est pas chose aisée car nous sommes face à une économie encore très centralisée.
Le ralentissement économique est ainsi la conséquence de deux résultantes : une tendance structurelle et le changement d’un modèle de développement.

Selon vous, le comité permanent du bureau politique du parti communiste chinois, l’organe de direction, a conscience de cela...

Absolument. Ce comité essaie ainsi de gérer l’économie chinoise avec deux fers au feu : d’un côté un processus de décentralisation, marquée par une logique de marché plus significative pour faire apparaitre une nouvelle offre de nature privée qui saura faire écho aux besoins (d’investissement, de consommation) ; et d’un autre côté le maintien d’un niveau de croissance suffisant par des mesures de soutien de politique monétaire (baisse des taux de refinancement et diminution du ratio de réserves obligatoires) et budgétaire (plans de relance de construction d’infrastructures) pour créer des emplois et ne pas faire naitre des tensions sociales trop élevées.
De cette gestion compliquée découle une volatilité exacerbée, des moments de passage à vide.

Dans l’optique d’une logique de marché plus importante, la Chine veut aller dans le sens d’une libéralisation financière plus poussée…

De manière à accroitre la qualité de son offre, la Chine a besoin d’investir hors de ses frontières par l’acquisition d’entreprises étrangères pour des raisons d'apprentissage de technologies ou de savoir-faire maîtrisés ailleurs et aussi pour financer en yuan des dépenses faites par des pays étrangers en produits chinois. Et cela suppose une plus grande internationalisation du yuan.
Pour régler un problème de dette considérable et avoir un lieu de détermination de la rentabilité du capital investi dans les entreprises afin d’optimiser l’allocation du capital, la Chine a également du se diriger vers le développement du marché des actions. C’est pour cela que des mesures ont été adoptées en vue de rendre plus attractif l’investissement sur ce marché.

Comment expliquez-vous l’emballement qui s’est matérialisé sur le marché boursier  et que les autorités n’ont pas su bien régir. L’indice composite de Shanghai est monté entre juin 2014 et juin 2015 de près de 150% et a perdu ensuite près de 30%?

Les mécanismes de marché ne sont pas suffisamment matures dans le pays. De plus, au cœur de la démarche de Pékin, se trouve une grande ambigüité. Il y a la nécessité d’accorder, dans le nouveau modèle de développement, plus de place au secteur privé par rapport au secteur public, de donner plus de poids aux signaux de marché par rapport à une administration plus centralisée. Cependant il demeure la volonté que la décision finale ne soit pas prise par le marché mais par le comité permanent du bureau politique. Un juste milieu stable n’est pas possible. Aller vers plus de marché suppose d’assumer les implications sous-jacentes du coté de la politique.

Est-il légitime de porter un regard inquiet sur la situation ?

Même si la vigilance est de mise, je ne pense pas que la croissance chinoise soit en péril et qu’il y a lieu de faire preuve d’un pessimisme trop obscur. Il est difficile de présenter par des chiffres un reflet exact de la réalité du fait de la complexité du pays.
Cependant il est intéressant de relever que les observateurs de la Chine qui tablent sur un ralentissement de la croissance bien plus prononcé que les autorités ne veulent l’admettre font leur analyse à partir d’indicateurs statistiques mis en place il y a une dizaine d’années comme le ciment, la production électrique, le transport par train autrement dit des indicateurs qui n’ont plus toute leur pertinence face au changement de modèle de la Chine.

Toujours est-il que les autorités ont indéniablement les moyens d’insuffler à l’économie davantage de croissance dans la mesure où les réserves sont colossales et la dette de l’Etat n’est pas exagérément élevée. Ce d’autant plus que les choix de politique économique se font davantage au niveau de Pékin qu’au niveau des collectivités locales. Un plan de relance de 1 000 milliards de yuans a été annoncé la semaine dernière. Ce sont les banques de développement qui sont à la manœuvre du financement, des outils étroitement contrôlés par Pékin.
Dans cette économie hybride, il y aura forcément de la perte en ligne et l’efficacité des dépenses sera réduite. Toute difficulté économique dans une zone où les ceintures de sécurité sociale et politique, sont fragiles si ce n’est inexistantes, suggère une propension à l’instabilité plus grande.

Mais plus qu’une question de quantité, se posera davantage une question de qualité de croissance chinoise. Les autorités chinoises parviendront à générer les 7% de hausse du PIB escomptés. Cependant, il est à croire que le processus de modernisation et de libéralisation de l’économie chinoise sera mis en suspend pendant un temps.

Ce raisonnement biaisé vaut-il également au regard de la consommation des matières premières ou du niveau des échanges commerciaux ?

Il y a un lien entre le krach boursier chinois et le fort repli du cours des matières premières, à mon avis à tort.
De nombreux opérateurs de marché ont eu un raisonnement à l’américaine. Le krach du marché boursier reflète des problèmes sur l’économie réelle et les amplifie. Il y aura alors moins de demande. Comme la Chine est traditionnellement une grande consommatrice de matières premières, ces dernières ont vu leur cours drastiquement baisser. Toutefois le marché actions chinois ne joue pas du tout le même rôle que le marché actions américain.
De plus, la deuxième puissance mondiale connait encore une fois un changement de son modèle de développement, moins centré sur les industries lourdes et plus axé sur les industries légères. La relation entre la Chine et la consommation de matières premières est sans doute plus faible qu’auparavant.

Alors qu’il y a cinq ans le commerce mondial croissait deux fois plus vite que la croissance économique mondiale, tel n’est plus le cas. Le rythme de progression de la croissance est plus fort que celui du commerce mondial. L’amenuisement des échanges entre les pays s’explique en partie par le fait qu’il y a moins de croissance. En outre, on a assisté à la remise en cause du rôle central et dominant des Etats-Unis sur la planète du fait de la guerre en Irak, de la grande récession de 2008. Le modèle américain économique et politique est devenu plus contestable. Une nouvelle phase de la mondialisation s’est ouverte, moins naïve, caractérisée par une vive compétition entre les modèles économiques. Produire plus près de chez soi s’est présenté comme une option plus admissible pour beaucoup de grands pays occidentaux, surtout que dans le même temps les coûts salariaux en Chine ont augmenté et que des efforts de compétitivité ont été réalisés par ailleurs.

La Chine constitue-t-elle à ce jour un risque pour la poursuite du rallye sur certains segments de marchés occidentaux, comme celui des actions de la zone euro ?

A mon sens non, tout du moins pas à ce stade. Le krach du marché boursier chinois n’est pas un driver pour le marché boursier américain ou européen.

Etes-vous d’avis que l’objectif affiché par la Chine d’intégrer le yuan dans le panier des monnaies qui définissent les DTS du FMI en novembre 2015 soit compromis ?

Selon le FMI l’intégration du yuan ne devrait pas se faire dans le panier du DTS avant septembre 2016. Nous pourrions cependant avoir une décision avant la fin de cette année. Le yuan est clairement une monnaie de facturation dans les échanges internationaux. Son utilisation dans les marchés de capitaux reste encore limitée. Plus d’efforts devra être fourni par les autorités chinoises pour rassurer sur le fait que malgré les derniers soubresauts, ces dernières ne seront pas tentées de revenir en arrière dans leur processus d’avancée en dévaluant par exemple fortement la monnaie. Si cette garantie était donnée, les Américains devraient accepter que le yuan entre dans le panier du FMI. Pour ma part, je pense que compte tenu de la vision de long terme qu’ont les autorités chinoises dans leur plan de réformes, le poids du structurel l’emportera sur le poids du conjoncturel, et elles ne céderont pas à la tentation de réduire massivement la valeur de leur devise.

Quels sont les paramètres fondamentaux à suivre pour jauger de la suite des évènements pour la Chine ?

Les principaux indicateurs à suivre sont de nature politique. Il ne faut pas que l’on ait trop de perturbations sociales dans les provinces, que la réélection des dirigeants actuels soit mise en cause. Il faut que l’on continue de voir de la création du pouvoir d’achat, la persistance d’efforts pour établir un système de sécurité sociale.
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