"Le système fait que le gouvernement espagnol renfloue les banques et que les banques renflouent le gouvernement", souligne le lauréat du prix Nobel d'économie.

Les ministres des Finances de la zone euro ont convenu samedi de prêter jusqu'à 100 milliards d'euros à l'Espagne afin de lui permettre de renflouer ses banques en difficulté, Madrid s'engageant à préciser le montant de ses besoins dès que seront connus les résultats d'audits indépendants en cours sur son système bancaire.

Si l'Espagne devait solliciter la totalité de la somme, cela accroîtrait encore de 10% son ratio dette-PIB, qui devrait déjà atteindre 80% fin 2012 alors qu'il était de 68,5% fin 2011. Et cela rendrait d'autant plus problématique et coûteux pour le gouvernement espagnol d'émettre des obligations souveraines sur les marchés internationaux.

Les banques espagnoles, dont la Banque d'Espagne, ayant été les principaux acheteurs de la dette du pays en 2011, selon un rapport de la banque centrale espagnole, le risque est donc grand de voir le gouvernement se résigner à solliciter l'aide des établissements qu'il est en train d'essayer de sauver.

"C'est de l'économie vaudoue", a estimé Joseph Stiglitz dans l'interview accordée vendredi à Reuters, avant que les détails du plan ne soient connus. "Ca ne marchera pas et ça ne marche déjà pas."

L'Union européenne aurait davantage intérêt à accélérer son projet d'union bancaire, poursuit l'ancien conseiller du président américain Bill Clinton.

"Il n'y a aucune chance, quand une économie entre ainsi en récession, qu'elle puisse mener une politique de relance de la croissance sans une forme de système européen", fait-il valoir.

"L'ALLEMAGNE SE TROMPE"

Joseph Stiglitz est un critique de longue date des mesures d'austérité et des politiques de rigueur imposées par le Fonds monétaire international (FMI) aux pays en voie de développement en contrepartie de plans de soutien.

L'Union européenne a jusqu'à présent fait fausse route dans son approche de la crise de la dette, insiste-t-il, l'austérité n'ayant mené qu'à un ralentissement de la croissance et donc à une aggravation de la dette.

"Ca ne sert à rien de mettre en place un pare-feu si on jette en même temps de l'huile sur le feu. Il faut s'attaquer aux racines du problème et pour ce faire, il faut promouvoir la croissance", argumente-t-il.

L'accélération de l'union bancaire est le seul moyen de sortir du cercle vicieux de la dette, de renforcer la monnaie unique et au final, de rendre service à l'Allemagne qui, en tant que pays le plus riche de la zone euro, aura à assumer le coût le plus lourd pour mutualiser la dette et soutenir les dépenses publiques.

"L'Allemagne ne cesse de répéter que le renforcement de la rigueur budgétaire est la solution, mais ce diagnostic est totalement erroné", juge Joseph Stiglitz.

Berlin pourrait proposer lors du prochain sommet de l'UE, fin juin, une feuille de route vers une union budgétaire, mais la chancelière Angela Merkel s'oppose à l'émission d'obligations communes tant que les autres pays n'auront pas réduit leur dette et leur déficit budgétaire grâce à des politiques d'austérité.

Or, la situation des pays les plus fragiles ne cesse de se détériorer et les élections législatives dimanche prochain en Grèce pourraient déboucher sur une sortie d'Athènes de la zone euro, au risque de faire exploser la monnaie unique. Le plan de sauvetage de l'Espagne n'aurait alors représenté qu'un bref et illusoire répit pour l'UE.

"L'Allemagne va devoir se poser la question: est-ce qu'elle veut payer le prix d'une implosion de l'euro, ou payer le prix d'un sauvetage de l'euro?", estime l'économiste américain. "Je croix que le prix à payer si l'euro s'effondre est bien plus élevé et j'espère qu'ils (les Allemands) vont en prendre conscience, mais ce n'est pas sûr."

Tangi Salaün pour le service français, édité Benoît Van Overstraeten

par Tiziana Barghini