(Actualisé avec Ban Ki-moon §4)

par Hamid Shalizi et Andrew MacAskill

KABOUL, 3 octobre (Reuters) - L'armée américaine a reconnu samedi avoir mené des frappes aériennes contre des taliban "à proximité" de l'hôpital de Médecins sans frontières (MSF) où 19 personnes ont été tuées à Kunduz, dans le nord de l'Afghanistan, selon le dernier bilan fourni par l'organisation humanitaire.

L'US Army précise dans un communiqué que les avions américains visaient des insurgés islamistes qui avaient ouvert le feu sur des soldats américains déployés en appui de l'armée afghane pour reconquérir la ville brièvement prise en début de semaine par les taliban.

Elle ajoute qu'une enquête a été ouverte pour établir les responsabilités de ce raid, qualifié auparavant de "criminel" par le commissaire des Nations unies aux droits de l'homme.

Le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, a par la suite vivement condamné ce bombardement et exigé dans un communiqué "une enquête complète et impartiale pour que justice soit rendue".

Douze membres du personnel de l'organisation et au moins sept patients, dont trois enfants, ont péri dans cette attaque qui constitue "une violation grave du droit humanitaire international", a déclaré Meinie Nicolai, présidente de MSF.

"Nous demandons une totale transparence aux forces de la coalition", poursuit-elle dans un communiqué. "Nous ne pouvons pas accepter que cette horrible perte de vies puisse simplement être résumée à un 'dommage collatéral'".

L'armée américaine avait dans un premier évoqué de possibles "dégâts collatéraux" lors d'une opération menée dans la nuit de vendredi à samedi à Kunduz.

MSF a indiqué avoir signalé à toutes les parties la position de l'hôpital, le seul de la région disposant des équipements nécessaires pour traiter des blessures graves. Environ 200 patients et employés se trouvaient dans l'hôpital au moment des frappes.

TIRS PENDANT PLUS D'UNE HEURE

"MSF souhaite clarifier que toutes les parties au conflit, dont Kaboul et Washington, ont été clairement informées de la localisation précise (coordonnées GPS) de ses installations (...)", poursuit-elle, soulignant que le bombardement s'est poursuivi plus de 30 minutes après que des responsables américains et afghans en aient été informés.

Le communiqué de l'organisation humanitaire précise que l'hôpital a été pris pour cible pendant plus d'une heure entre 2h08 et 3h15 du matin avec des frappes menées à intervalles de 15 minutes.

Chaque raid visait de manière précise le bâtiment principal de l'hôpital qui abrite le service des soins intensifs, le service des urgences et celui de physiothérapie. Les autres bâtiments ont été laissés quasiment intacts, ajoute le communiqué.

Selon Khodaidad, un habitant de Kunduz interrogé par Reuters, des combattants taliban s'étaient abrités dans l'hôpital pendant les combats de vendredi.

Le Haut Commissaire de l'Onu aux droits de l'homme, le prince jordanien Zeid Ra'ad al Hussein, a qualifié ce bombardement "d'événement profondément choquant qui doit rapidement faire l'objet d'une enquête approfondie et indépendante dont les résultats doivent être rendus publics".

"La gravité de l'incident souligne le fait, s'il est établi par la justice qu'il s'agit d'un acte délibéré, qu'une frappe aérienne contre un hôpital constitue un crime de guerre", a-t-il estimé.

Le ministère français des Affaires étrangères a exprimé "sa solidarité aux familles des victimes ainsi qu'aux blessés" et a appelé dans un communiqué à ce qu'une "enquête soit conduite dans les meilleurs délais sur les circonstances de ce drame".

VIOLENTS COMBATS

Le chef des forces armées alliées en Afghanistan a présenté ses condoléances au président afghan Ashraf Ghani et l'a informé des éléments en sa possession, ont indiqué les services de la présidence.

De son côté, le secrétaire américain à la Défense Ash Carter a indiqué que les environs de l'hôpital avaient été le théâtre de violents affrontements au cours des derniers jours. Dans un communiqué, l'ambassade des Etats-Unis à Kaboul a dit partager le "deuil des personnes et des familles touchées par ce tragique accident".

Tombée lundi aux mains des taliban, Kunduz a été reprise jeudi par les forces gouvernementales avec l'appui aérien de l'armée américaine, mais la milice islamiste reste présente dans le secteur.

Selon le colonel Brian Tribus, porte-parole de l'Otan, l'US Air force y est à nouveau intervenue samedi à 02h15 du matin (21h45 GMT vendredi).

Au moment du raid aérien, 105 patients se trouvaient dans l'hôpital avec leurs accompagnants, ainsi que plus de 80 membres du personnel afghan et étranger de MSF, selon l'ONG.

D'après Zabihullah Mujahid, porte-parole des taliban, aucun membre du mouvement n'y était soigné.

Un mur du bâtiment principal s'est effondré et un incendie s'est déclaré dans trois pièces, a rapporté Saad Mukhtar, directeur des services de santé publique à Kunduz, qui s'est rendu sur place. "Les combats se poursuivent, nous avons donc dû partir", a-t-il ajouté.

L'hôpital, qui compte 150 lits, a reçu près de 394 patients, essentiellement pour des blessures par balles, depuis le début des combats, selon MSF. L'affluence était telle que des lits de fortune ont été installés dans les bureaux et les couloirs. (Andrew MacAskill, Nicolas Delame, Jean-Philippe Lefief, Pierre Sérisier et Tangi Salaün pour le service français)