* Kerry, Fabius et Steinmeier bouleversent leur agenda pour rester à Lausanne

* "Tout peut encore s'effondrer", avertit un diplomate

* Israël dénonce l'accord qui semble se dessiner

par Parisa Hafezi, John Irish et Louis Charbonneau

LAUSANNE, Suisse, 29 mars (Reuters) - L'Iran et les puissances impliquées dans les négociations sur son programme nucléaire continuent de chercher à débloquer la situation mais rien ne garantit qu'ils seront en mesure de boucler un accord d'ici mardi, l'échéance qu'ils se sont fixée, indiquait-on dimanche de sources proches des discussions en cours à Lausanne.

Tandis que les parties impliquées exploraient de possibles compromis, Israël, qui estime que le programme nucléaire iranien est une menace contre son existence même, s'est alarmé de ce qui pourrait émerger des discussions.

Les négociations vont entrer lundi matin dans une nouvelle phase avec la première réunion plénière entre les ministres des Affaires étrangères de l'Iran et des puissances du P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne + Allemagne).

"L'entrée en scène des six ministres, c'est la poussée politique pour convaincre l'Iran", décrypte un diplomate occidental.

"Il y a toutes les pièces d'un possible accord, il faut essayer de les mettre en place et qu'elles forment un tout cohérent", ajoute-t-il, indiquant que "chacun veut aller au fond de cette histoire".

Laurent Fabius et Frank-Walter Steinmeier, les ministres français et allemand des Affaires étrangères, ont annulé le déplacement conjoint qu'ils devaient effectuer lundi au Kazakhstan pour rester à Lausanne. Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a renoncé pour sa part à participer à Boston à une cérémonie à la mémoire d'Edward Kennedy.

POSSIBLE COMPROMIS SUR LES CENTRIFUGEUSES

"Il y a eu des progrès et des revers ces dernières heures", a déclaré dimanche en début de soirée Steinmeier à la presse. "Je ne peux pas exclure - et c'est pratiquement toujours le cas dans de telles négociations dont les enjeux sont élevés et que l'on mène en étant non seulement responsable de nous-mêmes mais aussi de tous ceux qui ne sont pas assis à la table des négociations - qu'il puisse y avoir de nouvelles crises."

De sources proches des discussions, on indique que de profonds désaccords demeurent mais que les deux parties progressent vers un accord préliminaire qui pourrait être résumé dans un bref document dont il n'est pas sûr qu'il serait, le cas échéant, rendu public.

Une source américaine note que cet accord préliminaire pourrait prendre la forme d'un simple "protocole d'entente" qui servirait de base à un règlement définitif fixé pour la fin juin.

La République islamique, rapportent plusieurs sources, serait prête à accepter de limiter le nombre de ses centrifugeuses à moins de 6.000 et de transférer la majeure partie de son uranium enrichi en Russie, ce qui serait une avancée majeure.

Abbas Araqchi, un des principaux membres de la délégation iranienne, a cependant tempéré les attentes en affirmant qu'un transfert à l'étranger d'une partie des stocks iraniens d'uranium enrichi "n'était pas à l'ordre du jour de l'Iran".

Les puissances occidentales envisageraient quant à elles de l'autoriser à poursuivre ses activités d'enrichissement à des fins médicales et dans un cadre strictement défini.

Téhéran, qui insistait pour conserver près de la moitié de ses 20.000 centrifugeuses, a fait savoir en novembre que Washington jugeait le chiffre de 6.000 acceptable. Les négociateurs iraniens cherchent depuis à le porter entre 6.500 et 7.000.

NETANYAHU ET "L'AXE IRAN-LAUSANNE-YÉMEN"

Selon les sources citées, tous les points de la discussion sont étroitement liés. "Tout peut encore s'effondrer", a déclaré un diplomate occidental interrogé par Reuters.

Entre autres divergences, l'Iran et les pays du P5+1 ne parviennent à s'entendre ni sur la recherche et développement dans le domaine des centrifugeuses, ni sur le calendrier de la levée des sanctions internationales.

"Nous sommes optimistes, mais il y a encore beaucoup de travail", a déclaré Laurent Fabius, qui s'est entretenu dans la journée avec ses homologues russe et chinois, Sergueï Lavrov et Wang Yi.

En Israël, qui ne croit pas au caractère purement civil du programme nucléaire iranien, la perspective d'un accord à Lausanne accentue l'inquiétude.

"Cet accord, tel qu'il semble se dessiner, confirme tout ce que nous redoutions et même au-delà", a déploré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui a fustigé la politique iranienne de Barack Obama au début du mois à la tribune du Congrès des Etats-Unis.

Netanyahu s'est appuyé sur le conflit en cours au Yémen, où l'Iran est accusé de soutenir les miliciens chiites Houthis, pour affirmer que Téhéran cherchait à "conquérir le Moyen-Orient tout entier". "L'axe Iran-Lausanne-Yémen est très dangereux pour l'humanité et doit être rompu", a-t-il insisté.

L'Etat hébreu, qui prône le démantèlement complet du programme nucléaire iranien, redoute que le texte négocié à Lausanne ne laisse à la République islamique les moyens de se doter à terme de l'arme atomique.

Le gouvernement israélien considère la France comme son plus proche allié sur ce dossier. Samedi, Laurent Fabius avait souhaité que les négociations de Lausanne aboutissent à un "accord robuste".

RENVOI

Pour retrouver un ENCADRE sur les paramètres de la négociation: (avec Dan Williams à Jérusalem; Henri-Pierre André, Eric Faye et Jean-Philippe Lefief pour le service français)