Plusieurs responsables de l'institution de Francfort ont ouvertement évoqué la nécessité d'affaiblir l'euro pour redonner de l'élan à l'économie de la zone euro, qui a stagné au deuxième trimestre et flirte dangereusement avec la déflation.

Les banquiers centraux des grands pays industrialisés évitent habituellement ce genre de propos, de peur qu'une politique de dévaluation compétitive déclenche une surenchère et incite certains au protectionnisme.

Mais les mesures prises récemment par la BCE, qui ont contribué à faire tomber l'euro sous 1,30 dollar contre près de 1,40 en mai, n'ont guère suscité d'objections.

"Personne ne reproche à la BCE de déclencher une guerre des monnaies parce que tout le monde a peur de voir la zone euro s'enfoncer dans la déflation", explique un responsable japonais directement informé de la politique de taux de change. "Voir les Européens faire le nécessaire pour éviter la déflation est de l'intérêt de l'économie mondiale."

Le Japon avait bénéficié de la même mansuétude de la part de ses partenaires du G20 l'an dernier lors du lancement des "Abenomics", le plan du Premier ministre Shinzo Abe qui avait enclenché une forte baisse du yen.

Pour la BCE, la dépréciation de la monnaie unique est d'autant plus importante que ses autres décisions peinent à se répercuter sur le crédit aux ménages et aux entreprises, le contexte économique et réglementaire incitant les banques à la prudence tandis que les tensions géopolitiques pèsent sur la demande de prêts.

"Au moment où la zone euro, économiquement, fait pire que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, la baisse de l'euro face au dollar et à la livre est le remède idéal", estime Barry Eichengreen, professeur d'économie à l'Université de Californie et considéré comme l'un des meilleurs experts mondiaux des devises.

LOIN DE LA LIGNE ROUGE

"Cela pourrait mettre fin à la litanie de chocs financiers venus d'Europe qui ont perturbé les marchés financiers américains ces quatre dernières années."

Lorsque les responsables de la BCE parlent de l'euro, ils soulignent que le taux de change ne fait pas partie des objectifs de la politique monétaire. Mais l'inflation, elle, est le premier de ces objectifs, et le taux de change l'influence directement.

En mars, le président de la BCE, Mario Draghi, avait ainsi déclaré que la hausse de 8% de la monnaie unique depuis la mi-2012 avait réduit l'inflation de 40 à 50 points de base.

La semaine dernière, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a estimé que la dépréciation d'environ 4% de la monnaie unique enregistrée ces dernières semaines prouvait que la BCE avait "parfaitement réussi" à la faire baisser, ajoutant: ""On avait besoin de faire baisser l’euro, on a toujours besoin de faire baisser l’euro."

Les dernières prévisions de la BCE prédisent de fait une hausse des prix à l'importation favorisée par la dépréciation de l'euro, ce qui devrait nourrir l'inflation. Mais la banque centrale se dit prête à faire plus si le risque déflationniste persiste, y compris en augmentant ses achats d'actifs sur les marchés.

Une intervention directe sur le marché des changes ne fait cependant pas partie des mesures envisagées et tant que la BCE n'y a pas recours, elle peut compter sur la tolérance de ses partenaires, sauf si l'euro devait chuter brutalement.

"L'adoption de nouvelles mesures visant à faire encore baisser le taux de change alors que l'euro aurait chuté, disons, de 30%, serait suffisante pour alimenter les critiques à l'étranger", juge Barry Eichengreen.

"Mais l'euro n'a baissé que de 5% jusqu'à présent en données pondérées des échanges. On est donc encore loin de la ligne rouge."

(Marc Angrand pour le service français, édité par Véronique Tison)

par Eva Taylor et Leika Kihara et Howard Schneider