"Quel regard portez-vous sur les conséquences du Brexit pour la dynamique économique de la Chine ?
Il y a lieu à mon sens de distinguer deux dimensions : la dimension économique et la dimension financière.
Sur un plan économique, les exportations de la Chine vers le Royaume-Uni représentent moins d’1% du PIB national, ce qui est peu significatif. La proportion des échanges vers l’Union européenne est plus conséquente. Cependant il est difficile pour l’heure de dire avec précision quelles seront les répercussions du Brexit sur l’économie européenne dans sa globalité.
En conséquence, il nous parait bien trop prématuré pour parler de l’incidence que pourrait avoir la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sur la croissance chinoise. D’un point de vue financier, le choc que constitue l’issue du référendum et l’importante incertitude politique qui en découle ne sont pas sans effets sur la plupart des marchés. En Asie, les répercussions sont particulièrement palpables à Hong Kong et à Singapour. Nous n’avons pas observé de phénomènes de second tour sur les fondamentaux de la Chine.

Comment expliquez-vous les diverses interventions rassurantes du premier ministre chinois Li Keqiang au sujet du rapport entre le Brexit et l’économie chinoise ?
Toutes les grandes puissances mondiales ont une responsabilité à assumer vis-à-vis des chocs financiers qui peuvent survenir, que ce soit le Japon, l’Inde ou la Chine… Personne n’a intérêt à laisser le monde se déstabiliser.

Selon vous la Chine tire davantage bénéfice du Brexit qu’elle n’en perd…

La Chine trouve un intérêt dans le Brexit en ce que cet évènement détourne le projecteur vers ce qui se passe au Royaume-Uni et en Europe. Avant le Brexit, l’attention était majoritairement sur la Chine, sa dette entreprise colossale, la gestion de sa transition économique et financière.
Par ailleurs le pays pourrait saisir l’occasion de la forte dépréciation de la livre sterling pour investir plus massivement sur le territoire britannique, notamment dans le segment de l’immobilier.

Ne peut-on pas considérer que le Brexit a rendu le marché bien plus sensible et que de ce fait la moindre mauvaise nouvelle provenant de la Chine pourrait prendre une grande ampleur et être source de déstabilisation supplémentaire pour les marchés financiers ? Des zones d’ombre pèsent clairement sur l’économie chinoise en rapport avec la valeur du yuan, l’importance de la dette privée, et les tensions politiques au sommet de l’Etat.

Nous avions prévu en 2015 une dépréciation du yuan pour 2016 pour de multiples raisons : la persistance des pressions déflationnistes, la perte de compétitivité prix, le différentiel des taux d’intérêt en faveur des Etats-Unis et une gestion des réserves de change plus parcimonieuse. Nous sommes d’avis que le yuan sera compris entre 6.6 et 6.8 jusqu’à la fin de l’année.
La question que nous pourrions nous poser est celle de savoir si la PBOC interviendra dans le cas où le dollar venait à s’apprécier encore. Là-dessus nous pensons qu’une augmentation de la valeur du billet vert face au yuan sera de nature à arranger la PBOC.

Que voulez-vous dire ?

Si le yuan est arrimé au dollar, cela veut dire que si le dollar s’apprécie contre toute devise, le yuan s’apprécie aussi. La Chine perd ainsi de la compétitivité prix par rapport à ses partenaires commerciaux et potentiellement elle peut perdre des parts de marches.
Or, depuis Décembre 2015, la PBOC fixe l’évolution du yuan au regard d’un panier de devises comprenant le dollar américain, l’euro, le yen et le sterling. Autrement dit, le dollar n’est plus la seule variable à considérer si l’on s’intéresse aux yuan . L’idée pour la banque centrale étant de gagner en flexibilité en termes de politique de change, et de mieux maitriser sa compétitivité.

Si on se réfère à ce panier de devises, le RMB s’est apprécié continuellement jusqu’à mi-2015 affectant négativement la compétitivité prix du pays : entre fin 2010 et Juillet 2015, le yuan s’est apprécié de 31% contre l’Euro, et de 61% contre le Yen. Aussi, la baisse observée les mois précédents peut s’interpréter comme une correction de cette évolution.

L’appréciation du dollar aide à cet objectif en ce sens où la Chine n’a pas besoin d’agir elle-même. La dépréciation se fait par des mécanismes de marché. Le rôle de la Chine se limite à lisser le mécanisme en autorisant une dépréciation graduelle en usant des réserves de change voire de contrôles de capitaux en cas de besoin. De ce fait, elle n’agit pas de manière unilatérale sur la valeur de la devise chinoise et n’est pas instigatrice d’un mouvement de panique sur les marchés. En témoigne d’ailleurs le fait que le taux de change effectif officiel s’est replié de 6% depuis le début de l’année sans que cela ne conduise à un désordre financier similaire à ce que l’on a connu au deuxième semestre 2015.

Quelle analyse faites-vous de la crainte perceptible à l’égard de la dette colossale qui s’est constituée dans le pays et qui pourrait provoquer une multiplication de défauts d’entreprises chinoises ?

Nous avons déjà pu assister à une multiplication des défauts d’entreprises chinoises du fait d’une dette colossale, de surcapacités dans des secteurs tels que celui du métal, d’une croissance de la demande insuffisante et de la persistance de pressions déflationnistes dans l’industrie. Après une hausse de 24% en 2015, nous anticipons une hausse des défaillances de 20% cette année.
La problématique à considérer est la suivante : comment ces défauts se déroulent-ils (cas isole ou non ?), et quels impacts ont-ils sur l’économie du pays (en considérant l’implémentation des politiques accommodantes), dès lors que la dette des entreprises en Chine a fortement gonflé, au point d’atteindre désormais 168,5% du PIB ?.
Il est évident que si les autorités chinoises ne communiquent pas de manière claire et cohérente sur le sujet, cela aura vocation à faire naitre des frictions intra et extra muros.

A ce stade, nous n’escomptons pas une phase de stress intense en rapport avec ces défaillances, mais seulement des soubresauts propres au difficile processus de transition de l’économie chinoise, à savoir une volatilité financière très sujette aux données économiques, et aux décisions économiques.

Vous ne voyez donc pas de turbulences sur les marchés émaner de cette problématique de la dette d’ici la fin de l’année, à l’instar de ce que l’on a eu à l’été 2015 ou en début d’année ?
Je ne pense pas que les défauts des entreprises chinoises soient à même de provoquer des turbulences. Ce seront plutôt les variations violentes des bulles chinoises ou la communication des autorités chinoises en termes de politique économique qui pourraient en être l’origine.

Qu’entendez-vous ?

Les prix de l’immobilier ont bondi entre 20 et 30 % dans certaines régions chinoises en Mai. Une brusque retombée des prix sera de nature à déstabiliser les marchés. Par ailleurs, un nouveau canal de marché doit s’ouvrir entre Hong Kong et Shenzhen d’ici la fin de l’année. Si celui-ci induit une surchauffe qui refroidit soudainement, nous aurons là aussi un facteur de perturbation pour les marchés.
Concernant le risque lie à la communication des politiques économiques, celui-ci reste très important. Par exemple , ce qui a provoqué les turbulences sur les marchés l’an dernier, c’est un changement de méthodologie de fixation du change et un ajustement auquel les acteurs économiques n’étaient pas suffisamment préparés. Plus de préparation en amont pourrait aider à créer davantage de stabilité.

Est-il plausible que ces variations violentes de bulles soient à l’origine d’un nouveau vent de panique d’ici la fin de l’année ?

Nous ne pouvons pas l’exclure.

Un dernier point qui inquiète quelque peu certains observateurs de la Chine en ce moment : les tensions qui existent au sommet de l’Etat. L’idée défendue étant que l’actuel président Xi Jinping pourrait pousser vers la sortie un certain nombre de ministres importants et susciter ainsi un vif mécontentement de la population ?
Je n’ai pas d’éléments tangibles à communiquer sur ce point. L’existence de dissensions politiques est certainement réelle comme dans beaucoup de pays dans le monde. De là, je ne saurais avancer qu’elles soulèvent un risque de révolte sociale dans le pays.

Est-ce que ces dissensions sont un aspect que vous surveillez plus étroitement pour autant ?

Non, pas particulièrement. Cependant nous suivons de près l’état de la transmission de politique économique entre l’Etat central et les Etats locaux. Jusqu’ici cette transmission se fait difficilement en raison de diverses strates, mais cela ne constitue pas un handicap insurmontable pour les entreprises.

Pourriez-vous nous rappeler votre scénario central pour la croissance chinoise cette année ?
Nous tablons sur une croissance de 6,5%, ce qui constitue la limite basse fixée par le gouvernement. Nous jugeons ce faisant que le pays fait face à un rééquilibrage déséquilibré. Le stimulus fiscal et monétaire est très élevé. La consommation des ménages est soutenue. Néanmoins, parallèlement à cela, nous remarquons un fort ralentissement des investissements privés et une poursuite de l’essoufflement des exportations.

Pressentez-vous d’autres éléments de soutien arriver sur le plan budgétaire ou monétaire ?

Les grandes lignes du budget ont été définies au premier trimestre. Nous devrions en ressentir les premiers effets au deuxième trimestre. Un surplus de stimulus fiscal pourrait survenir si la croissance entre avril et juin s’établissait en dessous de 6,5%.
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