La Fed n'a pas d'influence directe sur la politique budgétaire et elle s'abstient par principe d'en discuter en détail. Entendre plusieurs de ses principaux responsables réclamer d'une même voix plus d'efforts à l'Etat pour relancer la croissance, la productivité et l'investissement constitue donc un message fort à l'adresse du prochain président et du Congrès issu du scrutin du 8 novembre.

La rencontre annuelle des banquiers centraux de Jackson Hole, dans le Wyoming, de jeudi à samedi, a pour thème le renforcement de la "boîte à outils" des banques centrales mais les responsables de l'institut d'émission américain pensent tous qu'il faut aller au-delà.

"La politique monétaire n'est pas bien équipée pour traiter des problèmes à long terme tels que le ralentissement de la croissance de la productivité", a déclaré dimanche Stanley Fischer, le vice-président de la Fed, estimant qu'il revenait à l'Etat d'investir plus dans les grands travaux et la formation.

De fait, l'investissement baisse aux Etats-Unis, les entreprises ne semblant pas désireuses de profiter de taux de financement ultra-bas.

En pourcentage du PIB, l'investissement des entreprises est depuis 2008 inférieur de près d'un point à sa moyenne de la décennie précédente, selon les statistiques officielles.

Des calculs de Reuters montrent que cela se traduit dans le PIB annuel par un déficit d'investissement d'un millier de milliards de dollars (886 millions d'euros) si l'on compare avec l'évolution qui aurait prévalu en cas de maintien de la tendance antérieure.

LES RACHATS D'ACTIONS PRÉFÉRÉS À L'INVESTISSEMENT

Et la situation ne semble pas en passe de s'améliorer: l'investissement en actifs immobilisés baisse depuis trois trimestres d'affilée en pourcentage du PIB.

Les entreprises rachètent des titres à tour de bras, pour un montant sans précédent de l'ordre de 500 milliards de dollars par an, et thésaurisent même si les conditions de financement sont a priori favorables à l'investissement sur le long terme.

Pour Steven A. Sharpe et Gustavo Suarez, deux économistes de la Fed, ce comportement peut s'expliquer par le fait que les chefs d'entreprise s'intéressent peu aux taux d'intérêt lorsqu'ils décident d'investir et qu'ils n'ajustent pas les taux de retour attendus à un nouveau monde de faible croissance.

Leur travail montre que le taux de retour interne nécessaire pour justifier l'investissement "tourne autour de 15% depuis des décennies" et n'a guère évolué même si les taux d'intérêt ont chuté de par le monde.

Un tel objectif se justifie en période de forte croissance mais il n'est peut-être plus pertinent lorsque la croissance est molle et que les taux sont très bas, comme c'est le cas actuellement, et il contribue à freiner l'investissement, arguent les deux économistes.

Cet état de fait remet en question une notion fondamentale de la politique monétaire voulant que des taux courts bas dopent l'investissement en rendant les rendements longs plus attrayants.

Le symposium de Jackson Hole sera sans doute l'occasion de faire le point sur plusieurs solutions non-conventionnelles avancées pour rompre le cycle de demande atone, d'investissement faible et de croissance basse qui a suivi la récession de 2007-2009.

Dans ce domaine, l'Europe et le Japon pratiquent déjà des taux négatifs, et certains débattent d'idées telles que la fixation d'objectifs de PIB ou l'émission de "monnaie hélicoptère" pour relancer la demande et l'inflation.

CONSENSUS CLINTON-TRUMP SUR LES DÉPENSES PUBLIQUES

Le Japon, qui accumule des déficits budgétaires énormes depuis 2009, a déjà annoncé un plan de relance tandis que la Grande-Bretagne s'interroge sur l'opportunité de nouvelles mesures budgétaires à la suite du vote favorable au Brexit.

Pour les Etats-Unis, la relance de l'investissement public dans les infrastructures est l'un des rares points sur lesquels s'entendent les deux grands candidats à la présidentielle: la démocrate Hillary Clinton propose d'y consacrer 275 milliards de dollars et le républicain Donald Trump se dit prêt à un effort deux fois supérieur. Pour autant, cette piste reste loin de faire l'unanimité.

"La politique économique doit encourager l'investissement privé; pourtant, il est frappant de constater que la plupart des universitaires et des responsables monétaires réclament un nouveau et important plan de dépenses publiques", observe l'ex-gouverneur de la Fed Kevin Marsh.

Mais l'idée générale du moment est que l'investissement privé restera en veilleuse tant qu'il ne sera pas évident que la croissance s'accélère.

Bill Lutz, directeur financier d'Advanced Technology Services, explique que la faiblesse du taux d'utilisation des capacités industrielles et les doutes entourant la croissance et la demande freinent l'investissement privé s'il n'est pas nécessaire au maintien de la production ou s'il ne garantit pas des économies.

"On trouve les moyens de le financer s'il est réel et stratégique", dit-il. "Le fait que le taux d'intérêt soit un point plus haut ou plus bas n'a qu'une importance mineure".

(Wilfrid Exbrayat pour le service français)

par Howard Schneider