"Que retenez-vous du discours de Janet Yellen, la présidente de la Fed, lors de la réunion de Jackson Hole (26 août) ?
Il y a depuis un certain temps au sein de la Fed une volonté de monter les taux. Pendant la réunion de Jackson Hole, Yellen a fait comprendre que la situation économique aux Etats Unis avance dans le bon sens, les indicateurs économiques pointent vers la poursuite d'un cycle de croissance molle aux Etats-Unis comme en Europe. La présidente n’a pas voulu s’engager sur une hausse de taux en septembre, mais après son discours, ceci est une possibilité. De cette façon, la Fed continuerait la "normalisation" de sa politique monétaire.

Les marchés n'anticipent pas de hausse des taux avant le mois de décembre. La Fed peut-elle prendre tout le monde de court ?
Les marchés pensent que le taux des Fed Funds sera aux alentours de 1% fin 2017, ce qui correspond à une normalisation plutôt qu'à un véritable resserrement monétaire. Or jusqu'à maintenant la Fed s'est pratiquement alignée sur ce que les marchés lui dictaient. Plus que le calendrier, c'est la tendance qui importe. Une hausse de 0,25% des taux en septembre ne doit pas nécessairement créer des tensions mais peut, au contraire, aussi bien être considérée comme un signal positif par les marchés. Et ce, d'autant que les fondamentaux de l'économie américaine sont bons. La confiance du consommateur américain est très bonne, son bilan s'est nettement amélioré ces dernières années. Non seulement il s'est désendetté mais ses revenus ont augmenté grâce notamment à la hausse des marchés actions et au rebond de l'immobilier. Ajouté à cela un marché de l'emploi dynamique, ce sont autant de bonnes raisons pour la Fed d'agir sans craindre de casser la dynamique.

La BCE semble avoir pris le contre-pied de la Fed en amenant ses taux en territoire négatif. Est-ce une bonne stratégie selon vous ?

La politique de la BCE vise clairement à faire baisser la valeur de l'euro face au dollar, afin de redonner de la compétitivité aux entreprises européennes. Mais la décision de fixer un taux de dépôt de -0,4% fait probablement beaucoup plus de mal que de bien. Elle entraîne une compression des marges des banques alors que celles-ci doivent respecter des contraintes de liquidités de plus en plus fortes. Le risque est celui d'une perte de confiance dans le système bancaire européen. Je pense que la BCE aurait intérêt à profiter de la prochaine hausse des taux de la Fed pour sortir de cette politique de taux négatifs. Même si cela risque d'être difficile à communiquer aux marchés.

Quel impact la hausse des taux directeurs américains aura-t-elle sur les marchés actions ?

Si les taux directeurs s’établissent à 1% à la fin du cycle de resserrement monétaire, comme l'anticipent actuellement les marchés, les taux obligataires américains n’iront pas beaucoup plus haut que leur niveau actuel. Autrement dit l'écart de rendement sera toujours très favorable aux actions. Je ne vois pas ce qui pourrait aujourd'hui pousser les rendements obligataires plus haut. Malgré la légère remontée des salaires, il n'y a pas de tensions inflationnistes. L'offre de matière premières couvre largement les besoins de l'économie mondiale et les banques centrales gardent un ton très accommodant. Le "super-cycle" des actions pourrait donc se prolonger encore au moins 2 ou 3 ans.

Beaucoup d'investisseurs considèrent pourtant que les actions, en particulier américaines, sont chères…

Si l'on raisonne en termes de ratio cours/bénéfices, les actions peuvent sembler chères (près de 20x les bénéfices à Wall Street, contre une moyenne historique de 16x). Mais un P/E de 20 signifie un rendement (en anglais earning yield) de 5%. Comparé aux 1,5% des bons du Trésor américain, c'est très élevé. Historiquement le rendement des actions doit être légèrement supérieur au taux à dix ans américain, c'est ce qu'Alan Greenspan appelait le "Fed Model". Aujourd'hui on voit que l'écart est important, ce qui signifie que les marchés actions sont en réalité bon marché.

Vous misez-donc fortement sur les actions ?

Nous restons prudents à court terme en raison des incertitudes qui entourent les banques de la zone euro et les matières premières. Mais nous pensons que la phase de correction entamée début 2015 touche à sa fin. Les marchés ont testé ces dernières semaines des résistances importantes qui pourraient être franchies sous réserve que les investisseurs retrouvent de l'appétit pour les valeurs bancaires. Ces résistances - 3050 points pour l'Eurostoxx 50, autour de 4450 points pour le CAC 40 – pourraient devenir des supports pour une nouvelle phase de hausse des marchés actions d'ici 6 mois – 1 an. En disant cela je ne suis pas un doux rêveur : je regarde les faits. Le cycle de croissance actuel est le plus long que nous ayons connu. Il a démarré en 2009 aux Etats-Unis et en 2012 en Europe. Ce cycle n'est certes pas aussi spectaculaire que les précédents (le PIB américain a rebondi de 15% depuis 2009 contre 20 à 25% historiquement) mais il a permis à l'offre de s'ajuster à la demande et d'éviter ainsi la surchauffe qui mène aux crises. Il est très difficile d'anticiper aujourd'hui la fin de ce cycle.
"