* Sapin a "bon espoir" de convaincre Bruxelles

* La France trop importante pour être poussée à la récession ?

* Vers une guérilla intérieure contre les économies

par Emmanuel Jarry

PARIS, 1er octobre (Reuters) - La France, incapable de tenir ses promesses de réduction des déficits publics, parie une fois encore sur l'indulgence de ses partenaires de l'Union européenne mais elle a plus à craindre d'une guérilla interne contre son programme d'économies.

Le projet de loi de finances 2015 confirme sans surprise que ses déficits ne seront pas ramenés à 3% du PIB avant 2017 malgré 50 milliards d'euros d'économies en trois ans, dont 21 milliards l'an prochain. et

La nouvelle Commission européenne doit se prononcer mi-novembre sur la conformité des choix budgétaires français aux règles de stabilité budgétaire de l'Union.

En théorie, elle peut juger que la France n'en a pas assez fait pour réduire ses déficits et proposer au Conseil européen d'adopter une recommandation en ce sens ou accorder un nouveau délai en invoquant des événements économiques "inattendus".

Lors de la présentation de ce projet de budget à la presse, mercredi, le ministre des Finances, Michel Sapin, a dit avoir "tout à fait bon espoir" quant à l'issue de ce processus.

Le Premier ministre, Manuel Valls, s'est efforcé de déminer le terrain le 22 septembre, lors d'une visite à Berlin, où il a reçu un soutien prudent de la chancelière Angela Merkel.

Elle a salué un programme "ambitieux" de relance de la compétitivité des entreprises françaises et estimé que le pacte de stabilité financière européen devait être appliqué avec "flexibilité", mais sans donner son blanc-seing à une politique budgétaire jugée laxiste par les Allemands.

Elle a au contraire réaffirmé la nécessité de réformes structurelles et estimé qu'il n'était pas nécessaire d'injecter "plus d'argent dans le système" pour créer de la croissance.

NE PAS POUSSER LA FRANCE À LA RÉCESSION

"Il en va de la crédibilité de l'Union européenne", a insisté Angela Merkel mercredi lors d'une conférence de la Fédération allemande des exportateurs (BGA). Elle s'en remet cependant à la Commission pour juger le budget français.

Le président de la BGA, Anton Börner, n'a pas pris ce type de précautions pour dire que la France mettrait l'Europe et l'euro en péril si elle ne respectait pas ses engagements et lancer un appel à "ne pas céder aux demandes françaises d'assouplissement des critères de stabilité de l'euro".

D'autres Etats membres de l'UE, particulièrement de petits pays qui ont dû faire des réformes douloureuses pour rétablir leurs finances, comme le Portugal, prennent également assez mal que la France s'exonère des rigueurs de la règle commune.

"Les Allemands, les Néerlandais, les Finlandais et les Baltes ne sont pas les seuls à considérer sévèrement le budget de la France", soulignait récemment le nouveau commissaire européen au Numérique, Günther Oettinger.

Mais le gouvernement français peut miser sur un sentiment croissant en Europe que l'heure n'est plus tant à l'austérité forcée qu'à une politique résolue de relance de l'activité et de l'emploi dans la zone euro.

Il peut aussi jouer du statut de deuxième économie de l'UE qui fait de la France un partenaire trop important pour que ses voisins prennent le risque de le pousser vers la récession.

Personne n'y a intérêt, pas même l'Allemagne, estime le député socialiste Philippe Cordery, chargé de l'Europe au PS : "Si nous tombons en récession en réduisant trop vite nos déficits, la France sera un fardeau pour toute l'Europe."

"Ce n'est pas parce que des erreurs ont été faites dans le passé, qu'il faut les répéter aujourd'hui", ajoute-t-il. "Si on applique à la France et à l'Italie les mêmes recettes qu'à la Grèce ou au Portugal, on aura la moitié du pays dans la rue et il sera impossible de faire des réformes."

DOUTES ET CONTESTATION

Les partenaires de la France savent que les efforts prévus sont très importants et qu'il n'est pas souhaitable d'augmenter la pression fiscale, a renchéri Michel Sapin mercredi.

Dans une présentation du budget, qui prévoit un déficit public de 4,3% en 2015 contre 4,4% en 2014, Bercy juge le rythme de réduction des déficits "adapté à la situation".

Encore faut-il que le gouvernement puisse tenir la nouvelle trajectoire d'économies et de réduction des déficits.

Le Haut conseil des finances publiques a émis des doutes sur le scénario macroéconomique retenu, qui continue, selon lui, "de reposer sur des hypothèses trop favorables sur l'environnement international et l'investissement".

Le gouvernement va aussi être soumis à une forte pression de tous ceux qui contestent la philosophie même des économies envisagées, des catégories socio-professionnelles concernées à la gauche de la gauche en passant par les syndicats, les collectivités territoriales et une partie de la majorité.

En prévision de la bataille parlementaire qui s'annonce, notamment sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) censé contribuer de 9,6 milliards d'euros aux économies prévues pour 2015, le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, a commencé à faire le ménage.

Il a ainsi écarté de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée cinq des députés PS "frondeurs" qui se sont abstenus à plusieurs reprises ces derniers mois lors de votes. (Avec Jean-Baptiste Vey, Paul Taylor et Mark John, édité par Sophie Louet)