MOSCOU, 15 mars (Reuters) - Dans un documentaire sur l'annexion de la Crimée par la Russie dont l'agence Interfax publie dimanche des extraits, Vladimir Poutine explique que Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien renversé début 2014, était en danger et que la Russie lui a sauvé la vie.

"Pour nous, il était devenu évident et nous avions reçu des informations selon lesquelles des plans étaient prêts non seulement pour sa capture mais aussi, et c'est ce que préféraient les auteurs de ce coup d'Etat, pour son élimination physique", dit Poutine dans cet extrait repris par Interfax.

"Comme l'a dit une grande figure historique: pas d'homme, pas de problème", poursuit-il, reprenant une citation attribuée à Joseph Staline.

La contestation à Kiev contre la décision prise en novembre 2013 par Viktor Ianoukovitch, alors président ukrainien, de renoncer à signer un accord d'association à l'Union européenne a dégénéré en violents affrontements au début de l'année dernière.

Entre le 18 et le 20 février 2014, Kiev bascule dans la violence. On dénombre quelque 80 morts. Une médiation européenne conduite par la France, l'Allemagne et la Pologne aboutit à la signature d'un accord de sortie de crise avec élection présidentielle anticipée, révision de la Constitution et formation d'un gouvernement d'union nationale.

Mais le 22 février, les événements connaissent une brutale accélération. Ianoukovitch fuit Kiev pour se réfugier en Russie et un nouveau pouvoir se met en place.

Sauver la vie du dirigeant ukrainien et de sa famille a été "une bonne action", continue Vladimir Poutine, toujours selon Interfax.

"NOUS DEVONS COMMENCER LE TRAVAIL SUR LA CRIMÉE"

Dans un autre extrait, diffusé le week-end dernier par la chaîne de télévision publique Rossiya-1, le président russe revient sur les circonstances qui ont conduit à l'annexion de la Crimée.

Alors que le Kremlin maintenait jusqu'alors que cette décision avait résulté du référendum d'autodétermination organisé le 16 mars 2014 dans la péninsule, Poutine dit avoir ordonné à des responsables russes de commencer à travailler sur une prise de contrôle de la Crimée quelques semaines avant le vote.

Il évoque une réunion d'urgence avec des commandants des forces spéciales et des responsables du ministère de la Défense qui s'est tenue au Kremlin dans les heures ayant suivi le renversement de Ianoukovitch. Elle portait sur les moyens d'exfiltrer l'ex-président ukrainien, réfugié à Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, non loin de la frontière russe.

"C'était dans la nuit du 22 au 23 février. Nous avons fini vers 07h00 du matin. Et, alors que nous nous quittions, j'ai dit à tout le monde: 'Nous devons commencer le travail sur le retour de la Crimée en Russie'", confie Poutine.

L'annexion de la Crimée, qui avait été cédée à l'Ukraine en 1954, a précédé de quelques semaines les premiers affrontements dans l'est de l'Ukraine, où le conflit entre l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses a fait environ 6.000 morts. Un fragile cessez-le-feu, négocié à Minsk, tient depuis un peu moins d'un mois.

A mesure que le temps s'écoule, Poutine a modifié le récit russe des événements survenus en Crimée.

Après avoir initialement démenti que des soldats russes aient assuré la sécurité du référendum du 16 mars 2014, le président russe a fini par reconnaître que des unités des forces spéciales avaient été déployées.

Des soldats russes qui y ont pris part ont du reste reçu des décorations avec la citation "Pour le retour de la Crimée", qui date le début de l'opération au 20 février, soit avant l'éviction de Ianoukovitch.

Le mois dernier, le quotidien d'opposition Novaïa Gazeta a exposé en détail ce qu'il présente comme un projet d'annexion de la Crimée et de l'est de l'Ukraine qui aurait été porté à la connaissance de l'administration présidentielle entre les 4 et 12 février 2014.

A en croire le journal, le document remis au Kremlin anticipait la chute de Ianoukovitch et un risque de guerre civile. Estimant que l'Union européenne et les Etats-Unis ne s'opposeraient pas à un démantèlement de l'Ukraine, il proposait de créer les conditions pour la tenue de référendums d'autodétermination en Crimée et dans la région du Donbass.

Le Kremlin avait réagi à cette publication en dénonçant les "absurdités habituelles de ce journal". (voir ) (Thomas Grove; Henri-Pierre André pour le service français)