(Actualisé § 6-7 avec Syrie et Onu)

par Dominic Evans et Khaled Yacoub Oweis

BEYROUTH/AMMAN, 31 janvier (Reuters) - La Syrie a brandi jeudi la menace d'une riposte "surprenante" face à Israël après une mystérieuse attaque de l'Etat hébreu en territoire syrien que la Russie a qualifiée de violation flagrante de la charte des Nations unies.

Selon des diplomates, des insurgés syriens et des sources sécuritaires régionales, l'aviation israélienne a bombardé mercredi un convoi circulant en Syrie non loin de la frontière libanaise, visant apparemment une cargaison d'armes destinées au Hezbollah libanais.

Tandis que le gouvernement israélien se cantonne dans le plus grand mutisme, Damas a réfuté cette version des événements en affirmant que la cible visée était un centre de recherche militaire situé au nord-ouest de Damas.

La Syrie pourrait "prendre une décision surprenante pour riposter à l'agression de l'aviation israélienne", a fait savoir l'ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdoul-Karim Ali. "La Syrie est engagée dans un processus de défense de sa souveraineté et de son territoire", a ajouté le diplomate sur un site internet du mouvement chiite Hezbollah.

Damas a convoqué jeudi le chef de la Force de l'Onu chargée d'observer le désengagement (Fnuod, qui est déployée au Golan), le général indien Iqbal Singha, pour élever une protestation officielle.

Aux Nations unies, un porte-parole du secrétaire général Ban Ki-moon a déclaré que la Fnuod n'avait observé aucun survol suspect du Golan, comme s'en est plaint Damas, invoquant de mauvaises conditions atmosphériques.

Dans une lettre à l'Onu citée par la télévision officielle, le ministère syrien des Affaires étrangères a déclaré: "La Syrie tient Israël et ceux qui le protègent au Conseil de sécurité pour responsables des conséquences de l'attaque et confirme son droit à défendre son territoire et sa souveraineté".

En 2007, l'aviation israélienne avait bombardé un site nucléaire présumé syrien sans que Damas ne déclenche de représailles.

Le Hezbollah, qui soutient le régime du président syrien Bachar al Assad et a brièvement combattu Tsahal en 2006, a pour sa part exprimé jeudi "(...) sa solidarité totale envers les dirigeants, l'armée et le peuple syrien".

Pour le Hezbollah, le raid montre que le conflit syrien s'inscrit dans le cadre d'un plan "visant à détruire la Syrie et son armée et à mettre en échec son rôle-pivot dans le front de résistance (à Israël)".

CONVOI D'ARMES OU CENTRE DE RECHERCHE ?

Deux alliés indéfectibles de Damas sur la scène diplomatique, la Russie et l'Iran, se sont aussi empressés de condamner le raid israélien.

"Si cette information est confirmée, il s'agirait alors d'une attaque non provoquée contre des cibles situées sur le territoire d'un Etat souverain, ce qui bafoue de manière flagrante la charte des Nations unies et est inacceptable quels que soient les motifs de justification", a fait savoir le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué.

A Téhéran, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdullahian, a déclaré que le raid "apporte la preuve que les terroristes et le régime sioniste partagent des objectifs communs", rapporte l'agence de presse Fars.

"Il est nécessaire que ceux qui ont pris des positions fermes sur la Syrie prennent aujourd'hui des mesures fermes et décisives contre cette agression par le régime de Tel Aviv et fassent respecter le principe de sécurité dans la région", a ajouté le ministre iranien.

Les circonstances de l'attaque demeurent vagues et, en partie, contradictoires.

D'après la version de Damas, les appareils israéliens, volant à basse altitude pour échapper aux radars, ont pénétré l'espace syrien en provenance du Liban et frappé à l'aube le centre de recherche scientifique de Jamraya.

Diplomates et rebelles syriens présentent une version différente des événements, évoquant l'attaque d'un convoi d'armes destinées apparemment au Hezbollah et se rendant de Syrie au Liban. Les insurgés disent avoir tiré des obus de mortier sur Jamraya, et non les Israéliens.

ARMES CHIMIQUES ?

Quant à la presse israélienne, soumise à la censure officielle préalable pour tout ce qui touche aux questions militaires ou de sécurité, elle a dû jeudi publier des informations émanant de médias étrangers pour relater l'attaque de la veille.

Selon la télévision nationale syrienne, deux personnes ont été tuées lors du raid contre Jamraya, une localité située à une quinzaine de km de la frontière libanaise, dans une région accidentée.

D'après les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL), Jamraya est "l'un des plus importants bastions de 'chabiha' (miliciens proAssad)" où des experts iraniens et russes aideraient à la fabrication d'armes chimiques notamment.

Des sources diplomatiques émanant de trois pays ont déclaré à Reuters que Jamraya renfermait des armes chimiques. Le convoi visé se trouvait peut-être à proximité du centre lorsqu'il a été touché mais rien n'indique, d'après ces sources, que des armes chimiques se trouvaient à bord des véhicules.

"La cible était un camion transportant des armes et se rendant de Syrie au Liban", a dit un diplomate occidental, faisant écho à d'autres assurant que le convoi transportait peut-être des missiles sol-air ou des fusées à longue portée.

Israël a récemment prévenu qu'il était prêt à agir pour empêcher que le soulèvement populaire en Syrie n'aboutisse à ce que l'arsenal chimique et balistique du régime de Damas tombe entre les mains du Hezbollah ou de ses ennemis islamistes. (Avec Mariam Karouny et Oliver Holmes à Beyrouth, Gabriela Baczynska à Moscou et Marcus George à Dubaï,; Bertrand Boucey et Jean-Loup Fiévet pour le service français, édité par Gilles Trequesser)