par Gwénaëlle Barzic

PARIS, 26 février (Reuters) - Les start-up françaises s'inquiètent du projet du gouvernement d'élargir à de nouveaux secteurs le champ du "décret Montebourg", craignant qu'il ne se transforme en repoussoir pour les investisseurs étrangers alors qu'ils sont de plus en plus nombreux à parier sur les pépites de l'Hexagone.

Plusieurs représentants de la tech française ont été reçus ce lundi au ministère de l'Economie pour faire part de leurs inquiétudes sur les projets dévoilés il y a dix jours par l'exécutif pour protéger le capital d'entreprises sensibles.

Le Premier ministre Edouard Philippe a notamment annoncé que la France comptait étendre à l'intelligence artificielle, au spatial, au stockage des données et aux semi-conducteurs le décret dit "Montebourg" imposant aux investisseurs étrangers d'obtenir son aval pour prendre une participation.

Si les acteurs de la FrenchTech ne sont pas opposés par principe à un tel dispositif, ils craignent que le texte en projet ne casse l'élan de la French Tech dont le décollage a été permis par le retour des investisseurs internationaux depuis fin 2013 et l'introduction en bourse sur le Nasdaq du spécialiste de la publicité en ligne Criteo.

"Tous les pays ont une politique peu ou prou de protection d'un certain nombre d'actifs stratégiques et nous ne sommes pas contre que la France se dote d'un tel dispositif", a expliqué à Reuters Jean-David Chamboredon, co-président de l'association France Digitale et président du fonds d'entrepreneur Isai.

"Nous avons réagi parce que les annonces faites par le Premier ministre étaient de portée très larges (...). Autant on peut comprendre qu'il y ait une volonté de protéger un certain nombre d'actifs, autant on ne peut pas dire 'toutes les start-up qui utilisent l'intelligence artificielle ou qui gèrent des data sont dans ce champ-là'", a expliqué celui qui fût le porte-voix du mouvement de contestation des "Pigeons" en 2013 contre un dispositif de taxation des plus-values de cession.

Avec des représentants du syndicat Syntec Numérique et du lobby "Tech in France", il a plaidé auprès du ministre de l'Economie Bruno Le Maire et du secrétaire d'Etat chargé du numérique Mounir Mahjoubi pour que le champ d'application du décret soit plus clairement défini.

CONCILIER SOUVERAINETÉ ET OUVERTURE

Ils ont aussi demandé à ce que le processus prévu soit adapté à la vie de start-up, dont la survie peut dépendre de leur capacité à lever des fonds dans un délai court.

Le gouvernement affirme pour sa part que le projet pourra concilier ouverture aux investissements et protection de la souveraineté française en mettant en place une procédure lisible et graduée pour les investisseurs internationaux.

"Nous voulons être une nation attractive (...). Mais il est légitime que nous évitions que ces investissements conduisent à nous priver de technologies qui sont vitales pour notre indépendance et pour notre souveraineté", a réaffirmé Bruno Le Maire lors d'une conférence de presse, juste avant sa rencontre avec les acteurs de la French Tech.

Si le nombre de start-up a décollé dans l'Hexagone avec l'émergence des Criteo, Blablacar, Sigfox ou Devialet, beaucoup d'entre elles finissent par être rachetées par des acteurs américains ou asiatiques, à l'image de Zenly rachetée par Snapchat pour environ 300 millions de dollars.

Pour Jean-David Chamboredon, l'enjeu n'est pas tant de se protéger d'investisseurs internationaux que de faire émerger des solutions alternatives en France et en Europe.

LA FRANCE DÉPENDANTE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

Selon les données du cabinet EY, le montant des fonds levés a atteint un nouveau record l'an dernier à 2,56 milliards d'euros. Sur le seul premier semestre, les cinq plus importants investissements dans les start-up françaises ont été réalisés en co-investissement avec des fonds internationaux.

"Nous avons un énorme point faible en France, c'est que nous dépendons énormément des capitaux étrangers, que ce soit les investisseurs en termes de capital risque ou les acquéreurs", a-t-il expliqué.

"Il faut qu'on résolve la question comment on crée un capital français, long, capable d'accompagner les sociétés dans leur durée et éviter qu'elles aient comme seul destin d'être rachetées comme PME", a ajouté Jean-David Chamboredon, dont le fonds est le seul investisseur français au capital de Blablacar.

L'investisseur plaide pour une réorientation de l'épargne via le capital investissement à travers, notamment, une réforme d'ampleur de l'assurance vie pour donner à l'Hexagone les moyens de ses ambitions au moment où la compétition s'intensifie entre les capitales européennes pour tenter de profiter des conséquences du Brexit.

A l'issue de la réunion à Bercy, il a été convenu que les discussions se poursuivent "afin que la French Tech soit parfaitement associée à la révision du périmètre et de la méthode de contrôle des investissements étrangers en France", indique un communiqué diffusé par Bercy.

Le texte devrait être examiné en conseil des ministres le 18 avril.

(Edité par Jean-Michel Bélot)