* Podemos et Ciudadanos ont brisé le bipartisme

* La mairie de Madrid, fief de la droite depuis 1991, pourrait basculer

* Le Parti populaire n'a plus de majorité absolue dans les huit régions qu'il gouvernait seul

* Incertitude accrue pour les législatives de cet automne (Actualisé, conférence de presse de Rajoy)

par Julien Toyer, Sonya Dowsett et Sarah White

MADRID, 25 mai (Reuters) - Les élections municipales et régionales dimanche en Espagne ont tourné au vote sanction contre le Parti populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement au pouvoir depuis 2011, et fait voler en éclats le bipartisme qui organisait la vie politique depuis la fin du franquisme.

En nombre de voix, le PP est arrivé en tête mais, payant le prix de quatre années de politique d'austérité et de scandales de corruption à répétition, il réalise son pire score depuis 1991 et est en passe de perdre la majorité dans la plupart des régions qu'il contrôlait. La mairie de Madrid, fief de la droite depuis les années 1990, est elle aussi menacée.

Lors d'une conférence de presse lundi à l'issue d'une réunion de la direction du PP, Mariano Rajoy a déclaré qu'il ne voyait pas la nécessité d'un remaniement ministériel ou d'un changement de stratégie. Prié de dire s'il pensait être le meilleur porte-parole du PP en vue des législatives de cet automne, il a répondu "Oui !"

"La victoire du Parti populaire est incontestable même si nous avons perdu un nombre notable de voix", a-t-il dit. Le PP a perdu environ 2,5 millions de voix par rapport aux dernières élections locales il y a quatre ans et près de 5 millions par rapport aux législatives de 2011.

Les percées de Podemos ("Nous pouvons"), la formation de gauche anti-austérité issue du mouvement des Indignés en 2011, et de Ciudadanos (les Citoyens), parti libéral centriste engagé contre la corruption, ont bien eu lieu.

Leur installation dans le paysage politique consacre la fragmentation de l'électorat espagnol et augure d'élections législatives compliquées cet automne.

Le PP est crédité au niveau national de 27% des suffrages exprimés, soit un recul de plus de dix points par rapport aux précédentes élections locales. Le PSOE, avec 25%, limite ses pertes (-3 points).

PODEMOS AUX PORTES DE LA MUNICIPALITÉ DE MADRID

A elles deux, les deux grandes forces politiques espagnoles ne pèsent plus que 52% des voix contre 65% aux régionales et municipales de 2011.

Ciudadanos arrive en troisième position avec 6,55% des suffrages; Podemos, qui avait opté pour des alliances avec des mouvements et collectifs citoyens, n'apparaît pas en tant que tel dans les résultats compilés par le ministère.

A Madrid, que le Parti populaire gouverne depuis 1991, la mairie pourrait basculer. La candidate du PP, Esperanza Aguirre, qui reprenait le flambeau de la maire sortante, Ana Botella, arrive en tête avec 34,5% des suffrages mais ne remporte que 21 des 57 sièges de conseillers municipaux, contre 31 lors des précédentes élections, en 2011.

La gauche radicale, dirigée par l'ex-magistrate Manuela Carmena et son mouvement "Ahora Madrid" (Maintenant Madrid), soutenue par Podemos, la talonne avec 31,87% des suffrages et 20 sièges. L'apport des neuf élus du Parti socialiste pourrait lui offrir la majorité absolue au conseil municipal de la capitale espagnole. En revanche, avec sept élus, Ciudadanos, même en cas d'accord, ne pourrait pas sauver la droite madrilène.

"Ce printemps du changement est irréversible", s'est félicité le chef de Podemos, Pablo Iglesias, dont la stratégie d'alliance a été validée dans les urnes.

A Barcelone, l'alternance est certaine: l'alliance de gauche formée autour d'Ada Colau, fondatrice de la Plate-forme des victimes d'hypothèques qui milite contre les expulsions immobilières, et soutenue par Podemos l'a emporté face aux partisans de l'indépendance de la Catalogne.

Dans les régions, le constat est similaire. Treize des dix-sept assemblées régionales étaient à renouveler dimanche. Le Parti populaire en contrôlait dix, dont huit à la majorité absolue.

TRANSFORMATION RADICALE

Au sortir du scrutin, il ne dispose plus d'aucune majorité absolue et va devoir tenter de former des pactes et des alliances de gouvernement dans la région de Madrid, en Castille-La Manche, en Cantabrie, dans la région de Valence, en Castille-et-Leon, dans la région de Murcie, aux Baléares et dans La Rioja, les huit régions qu'il gouvernait seul.

Il pourrait même y être poussé dans l'opposition par la constitution de coalitions de gauche, une situation qu'il n'a plus connu depuis 20 ans.

"C'est une débâcle électorale pour le PP. Le facteur 'peur' n'a pas joué et les électeurs ont voté pour Podemos et Ciudadanos", a commenté José Pablo Ferrandiz de l'institut de sondage Metroscopia.

La fragmentation du paysage politique risque d'entraîner des situations de blocage comparable à l'Andalousie, où les élections ont eu lieu au mois de mars. Au pouvoir depuis 32 ans dans cette province du sud de l'Espagne, le PSOE y est resté la première force politique mais avec 47 sièges sur les 109 que compte l'assemblée régionale il ne peut gouverneur seul. Et Susana Diaz, sa chef de file régionale, a indiqué qu'elle pourrait opter pour l'organisation d'un nouveau scrutin.

En concentrant pas loin du tiers des voix, les nouvelles forces politiques mettent de facto fin au bipartisme qui a organisé la vie politique espagnole depuis la fin du franquisme et le rétablissement de la démocratie il y a 40 ans.

Le chef de file de Ciudadanos, Albert Rivera, l'autre gagnant de la soirée, a salué ce qu'il considère comme la fin du bipartisme et estime que ces élections "montrent qu'il y a de la place pour une troisième voie en Espagne". (avec Inmaculada Sanz et Blanca Rodriguez; Tangi Salaün, Henri-Pierre André et Guy Kerivel pour le service français)