Et il n'est pas le seul: lui et ses collègues du groupe CDU-CSU s'apprêtent à le dire clairement à Mario Draghi mercredi à l'occasion de l'une des rares visites du président de la BCE au Bundestag.

"Il est temps que la BCE change de cap", résume le député.

Au printemps dernier, déjà, les critiques allemandes s'étaient multipliées contre la banque centrale et sa politique d'"assouplissement quantitatif" (quantitative easing ou QE) consistant à consacrer chaque mois des dizaines de milliards d'euros à l'achat de titres sur les marchés pour faire baisser le coût du crédit.

Le ministre des Finances Wolfgang Schäuble lui-même avait reproché à cette stratégie de favoriser la montée du parti populiste europhobe et anti-immigration AfD (Alternative pour l'Allemagne).

Les attaques de Schäuble étaient alors exceptionnelles d'abord parce qu'elles émanaient d'Allemagne, pays où l'indépendance de la banque centrale est un principe bien établi, ensuite parce qu'elles étaient personnelles: le ministre ne visait pas seulement la politique menée par la BCE, mais bien Mario Draghi lui-même.

La tempête qui a suivi a contraint les deux hommes à s'asseoir à la même table pour un déjeuner à Washington fin avril, et à conclure une trêve. Celle-ci tient tant bien que mal depuis cinq mois mais elle semble aujourd'hui sur le point de se rompre.

MERKEL SUR LA DÉFENSIVE FACE AUX SUCCÈS DE L'AFD

Loin de changer de cap, la BCE devrait en effet annoncer d'ici la fin de l'année une extension du QE, censé pour l'instant s'achever en mars.

Dès sa prochaine réunion, le 20 octobre, elle pourrait annoncer des mesures facilitant ses achats de titres, et le changement le plus controversé pourrait être l'abandon de la "clé de répartition" qui limite la part des obligations d'un Etat de la zone euro dans le total des achats de la BCE au poids de cet Etat dans le capital de la banque centrale.

Le message risque d'être mal accueilli à Berlin: au-delà des craintes de voir le QE fausser le fonctionnement des marchés financiers et de l'impact des taux d'intérêt négatifs sur les épargnants et les banques, les milieux politiques allemands sont de plus en plus ouvertement hostiles à la BCE.

Les bons résultats de l'AfD dans les scrutins locaux de ces dernières semaines placent Angela Merkel et le camp conservateur sur la défensive à un an des élections législatives. Dans ce contexte, prendre la BCE pour cible permet de détourner le débat politique du seul thème de l'accueil des réfugiés.

"Je m'attends à ce que le débat allemand sur la politique de la BCE se tende de nouveau en cas d'extension du QE ou de modifications qui élargiraient le champ de ce que la BCE peut acheter", dit Thorsten Frei, un autre député CDU. "Il y a à l'évidence un risque que cela devienne l'un des thèmes de la campagne électorale de l'an prochain."

Jürgen Stark, un ancien membre du directoire de la BCE qui a démissionné en 2011 en raison de son désaccord avec la politique menée par l'institution, va plus loin: "Plus longtemps la BCE maintiendra son cap actuel, plus dure sera la réaction de l'opinion publique en Allemagne", a-t-il dit à Reuters.

LA CONFIANCE DES ALLEMANDS DANS LA BCE S'ÉRODE

Selon la dernière enquête Eurobaromètre de la Commission européenne, 30% seulement des Allemands disent avoir confiance dans la BCE, contre 34% en moyenne dans l'ensemble de l'Union européenne.

Visiblement consciente de la dégradation de son image, la BCE a tenté une opération reconquête : Benoît Coeuré, l'un des membres de son directoire, s'est rendu à Berlin en mai pour défendre le QE, et un mois plus tard, c'est François Villeroy de Galhau, le gouverneur - germanophone - de la Banque de France qui a fait le déplacement pour rencontrer des élus du Bundestag.

François Villeroy de Galhau était de nouveau à Berlin il y a quelques jours à l'occasion d'une réunion ministérielle franco-allemande et il a expliqué à cette occasion que si le débat public sur la politique monétaire était normal, la remise en cause de la légitimité de la BCE était nettement plus grave.

"Ce qui n'est pas toujours pris en compte, en Allemagne et ailleurs, c'est qu'il existe un risque grave de déflation dans la zone euro et que les décisions de la BCE ont fortement contribué à écarter ce risque", a-t-il dit à Reuters.

"Nous devons mieux expliquer nos politiques", a-t-il ajouté. "Mais des efforts doivent être faits d'un côté comme de l'autre."

Dans le camp allemand, pourtant, l'heure des concessions ne semble pas avoir sonné. Le quotidien Bild a rapporté samedi que Wolfgang Schäuble avait demandé aux députés de prendre Draghi pour cible mercredi.

Auparavant, le ministre des Finances avait fait rire un parterre de chefs d'entreprise en raillant les achats d'obligations de la BCE. "Je crois que cela s'appelle le QE. Je ne sais même pas ce que cela signifie", a-t-il dit.

(avec Reinhard Becker et Michael Nienaber; Marc Angrand pour le service français)

par Noah Barkin