"Le Bitcoin, monnaie électronique apparue en 2008 pour faciliter les transactions sur internet, a vu son cours doubler en 2016. Un Bitcoin vaut aujourd'hui près de 1000 dollars et se rapproche du cours de l'once d'or. Comment expliquez-vous l'engouement des investisseurs pour ce produit ?
L'intérêt pour le Bitcoin augmente à chaque épisode de forte incertitude pour les épargnants. La première fois c'était lors de l'instauration d'un contrôle des capitaux et d’une taxe arbitraire à Chypre, en 2013. La dévaluation du yuan et le renforcement du contrôle des capitaux en Chine, mi-2015, a déclenché une nouvelle phase de hausse qui s'est poursuivie en 2016 avec le Brexit et l'élection de Donald Trump. Aujourd'hui un grand nombre d'épargnants dans le monde considèrent que leur argent n'est plus en sûreté, en raison des fluctuations de leur monnaie ou des mesures restrictives prises par les gouvernements. Ils voient le Bitcoin comme une valeur refuge car c'est une "monnaie sans Etat" qui n'est gouvernée par aucune banque centrale.

Le Bitcoin a-t-il été conçu pour jouer ce rôle de valeur refuge ?
Je ne le pense pas. Le Bitcoin a été conçu comme un système de cash électronique. C'est l'équivalent d'une transaction en liquide sur internet, un transfert de valeur de "pair à pair" qui ne passe pas par un tiers. Je ne suis pas sûr que son concepteur ait imaginé qu'il vaudrait un jour 1000 dollars. Cependant le fait qu'on ne puisse pas fabriquer une quantité illimitée de Bitcoin - il n'y a pas de "quantitative easing" possible avec le Bitcoin - en fait une valeur refuge, tout comme l'or.

Quel rôle joue la Chine dans la hausse du Bitcoin ?

La Chine est au cœur de l'économie du Bitcoin. Le "minage" (vérification des transactions par un ensemble d'ordinateurs connectés au réseau, ndlr) est une activité très largement dominée par les Chinois, tout comme les échanges de Bitcoin. Plus de 90% des volumes d'échange se font sur des plateformes chinoises. On peut s'en inquiéter ou se dire que nous utilisons tous les jours de nombreux services, y compris financiers, basés à l'étranger et nommément aux USA. Pour les Chinois le Bitcoin est devenu une réserve de valeur face à la baisse du yuan, et un moyen de contourner le contrôle des capitaux instauré par le gouvernement.

Le Bitcoin a souvent été décrié comme la monnaie du "dark web" et des trafics en tous genre sur internet. Qu'en pensez-vous ?
L'anonymat des transactions en Bitcoin en fait un outil pratique pour un certain nombre d'activités pour lesquelles la discrétion est recherchée. Les jeux en ligne représentent encore une part importante des transactions. Mais il y a longtemps que le Bitcoin est sorti de son "ghetto". Ses usages se diffusent aujourd'hui auprès de tous les acteurs économiques. En Suisse, le cabinet d'audit Ernst&Young permet à ses clients de payer leurs prestations de conseils en Bitcoins. Les collaborateurs ont également reçu un "wallet" (portefeuille électronique) en Bitcoins. On trouve dans les gares suisses des distributeurs de Bitcoins, et un certain nombre d'établissements de gestion de fortune s'interrogent aujourd'hui sur la façon dont ils peuvent conserver la monnaie électronique aussi sûrement que des lingots d'or. Autre exemple, à Paris, dans le quartier Montorgueil, les boutiques du passage du Grand Cerf acceptent le Bitcoin.

Conseilleriez-vous d'investir aujourd'hui dans le Bitcoin ?

Il y a un véritable développement de l'économie du Bitcoin, indépendamment des fluctuations des autres monnaies. En théorie la valeur du Bitcoin pourrait augmenter au fil du temps, car la puissance de calcul nécessaire pour produire de nouveaux Bitcoins est plus importante et parce que la sécurité du système augmente avec le temps. C'est aussi une valeur refuge en cas de crise politique. Il doit cependant rester un investissement marginal dans le cadre de la gestion d'un portefeuille d'actifs. Le conseil classique dans l'industrie de la gestion de fortune est d'avoir 5% d'or au sein d'un portefeuille. L'investissement en Bitcoin a vocation à rester inférieur à ce seuil.
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