"Cela fait cinq années consécutives que la gestion value notamment sur le marché des actions de la zone euro n’a pas performé. Quelle interprétation en faites-vous ?
Les investisseurs sur le marché des actions de la zone euro sont essentiellement des investisseurs étrangers, et plus encore des investisseurs américains. Ces derniers sont à la recherche de visibilité, de croissance et n’intègrent pas la gestion value dans leur approche de base.
De plus les sous jacents économiques de la région n’ont commencé à afficher une franche amélioration que récemment. Le degré de confiance dans la reprise n’est pas suffisamment élevé pour justifier un retour sur les valeurs cycliques. Au-delà, la gestion value a été desservie par la puissante intervention des grandes banques centrales sur les marchés. La massive liquidité injectée a eu pour effet un changement de perception chez les opérateurs de marché. L’accroissement de la volatilité a ensuite provoqué une perturbation de la lecture. C’est ainsi que la sélection des valeurs s’est surtout faite sur les titres les plus matures et que la distorsion entre la gestion « value » et la gestion « growth » s’est accentuée.

Le désaveu de la gestion value s’est prolongé cette année 2015 ?
Incontestablement. A la fin du premier semestre de cette année, 90 milliards de dollars de flux se sont orientés vers les actions européennes, dont 45 milliards de dollars vers les actions de la zone euro. Sur ce dernier montant, 16 milliards de dollars se sont dirigés vers un seul ETF couvert contre le risque de change, autrement dit un dollar sur trois. La composition de ce dernier fonds révélait que 65% des actifs nets étaient positionnés sur 23 valeurs, qui toutes étaient soit des valeurs de croissance, soit des valeurs défensives. Ne figurait qu’une seule valeur industrielle. Cela montre à quel point la gestion value a été désavouée également cette année, à l’instar de ce qui a pu être observé depuis 2008.

Y a-t-il un secteur considéré comme value qui a tout de même su tirer son épingle du jeu ?
Le seul secteur qui a su afficher une plus grande résilience que les autres depuis deux ans est celui des télécoms, principalement en raison des opérations de consolidation capitalistique qui ont été réalisées. En revanche, les deux autres secteurs traditionnellement considérés comme value : les utilities et les banques ont énormément souffert.

Croyez-vous à un retour en grâce de la gestion value en Europe l’année prochaine ?
A l’heure actuelle, la probabilité de voir la gestion véritablement reprendre des couleurs est plus importante aux Etats-Unis qu’en Europe en raison d’une reprise outre Atlantique bien plus affermie. Il n’y a a priori aucune raison de voir chez nous la gestion value plébiscitée au détriment de la gestion growth ou de la gestion défensive tant que la BCE maintiendra son programme de quantitative easing, donc théoriquement au moins jusqu’en mars 2017.
Ceci étant, même aux Etats-Unis, l’ascension des titres « value » sera limitée, en raison de l’appréciation du dollar qui impactera négativement les valeurs industrielles.

Qu’est ce qui pourrait précipiter une surperformance de la gestion value ?
Probablement, un évènement géopolitique qui entrainerait une brusque hausse du cours du baril de 35 dollars à 60 dollars. Egalement, dans le cas où la conjoncture économique aux Etats-Unis venait à se redresser plus vite que prévu, la Fed pourrait être amenée à accélérer son processus de hausse de taux. Les marges des entreprises américaines se situant à un niveau record, les investisseurs américains pourraient ne pas s’attendre à un accroissement significatif des profits et décider alors de se rabattre sur toutes les actions de la zone euro présentant un minimum d’intérêt, y compris les actions décotées, en désespoir de cause. Ces investisseurs opteraient pour des fonds de cuve avec à l’esprit un horizon de placement de 6 mois/ 1 an. Je ne crois pas tellement à cette hypothèse. Nous pensions que les mouvements de fin octobre correspondaient à un tel phénomène. Cependant, assez rapidement les valeurs décotées ont été revendues.

Il est admis que le rallye des valeurs « value », pourrait se faire violemment. Qu’en pensez-vous ?
Cela n’est pas à exclure. Nous avons pu remarquer dernièrement que lorsque les banques ont baissé par anticipation de la décision de la BCE de baisser davantage ses taux de rémunérations des dépôts elles avaient perdu en moyenne 1%. Lorsque la diminution de ces taux s’est avéré moindre qu’escompté, les banques ont récupéré 3%. Cela est sans doute dû à des rachats importants de positions vendeuses.

De quelle manière étiez vous positionnés sur la gestion value tout au long de cette année ?

Nous avons assez tôt dans l’année fait le choix de ne pas mettre l’accent sur la gestion value car nous avons au sein de notre processus de gestion un indicateur qui nous renseigne sur l’état de la tendance du style de gestion. Or cet indicateur avait émis des signaux négatifs une bonne partie de l’année.

De quand date cet indicateur ? Avez-vous été amené à le faire évoluer au cours du temps ?

Cet indicateur a commencé à faire entièrement partie de notre processus de gestion en 2012. Il est resté fidèle à sa conception d’origine. Seuls des ajustements ont été apportés compte tenu des mesures non conventionnelles prises par les banques centrales et des divers évènements exogènes qui ont eu lieu.

Peut on s’attendre à ce que la volatilité exacerbée qui caractérise actuellement les marchés et qui a vocation à persister pourrait amener des valeurs défensives ou de croissance à devenir des valeurs décotées ?

Je ne pense pas que la forte volatilité à laquelle nous assistons sera de nature à rendre des valeurs de croissance ou des valeurs défensives (comme Danone, Air Liquide ou L’Oréal) des valeurs value. L’engouement pour les valeurs de croissance et les valeurs défensives est alimenté par un effet d’entrainement. Les flux arrivent sur ces valeurs parce que justement elles sont performantes. Il est dores et déjà acté que beaucoup de ces valeurs sont surévaluées. Pour autant, elles continuent à avoir une part belle dans les allocations de portefeuille en raison de l’effet d’entraiment précédemment mentionné.

Dans le cas d’un déclenchement d’un mouvement haussier sur les valeurs décotées. Quelles seront celles qui renferment le potentiel le plus élevé de performance, selon vous ?

Les valeurs qui ont été mises à mal en raison de leur lien de proximité avec l’Etat alors qu’elles sont adossées à des fondamentaux solides.
"