* Alep est un objectif primordial pour Damas et ses alliés

* La défense civile ciblée à plusieurs reprises

* Les rebelles parlent de bombardements sans précédent

* Plus de 90 morts selon le directeur d'un hôpital

* L'armée syrienne prépare une opération au sol

* Ayrault: "Alep ne peut pas être le Guernica du XXIe siècle" (Actualisé nouveau bilan § 5)

par Ellen Francis et Tom Perry

BEYROUTH, 23 septembre (Reuters) - D'intenses bombardements aériens ont à nouveau visé les quartiers rebelles d'Alep vendredi, faisant plusieurs dizaines de morts quelques heures après l'annonce par l'armée syrienne d'une offensive pour reprendre la plus grande ville de Syrie, ont annoncé les services de secours de la ville et l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

L'armée de Bachar al Assad, appuyée par la Russie, a appelé jeudi soir les civils à évacuer les quartiers Est d'Alep, où vivraient encore quelque 250.000 habitants et qui avaient déjà été la cible jeudi des plus violents bombardements depuis des mois.

Selon Ammar al Selmo, qui dirige les "casques blancs" de la Défense civile syrienne à Alep, les bombardements aériens sur les quartiers de la ville tenus par les rebelles ont fait plus de 70 morts depuis vendredi matin et détruit une quarantaine de bâtiments. Selmo a précisé qu'il s'agissait d'un bilan provisoire.

D'autres frappes ont été menées dans la nuit précédente.

Hamza al Khatib, qui dirige un hôpital dans les secteurs sous contrôle rebelle, a parlé lui de 91 morts.

Selmo a précisé que trois des quatre centres de son organisation de secours avaient été directement visés par des bombardements, reflétant la volonté du pouvoir et de ses alliés de priver la population de toute aide possible et de la contraindre à quitter la zone.

L'Observatoire syrien des droits de l'homme, qui s'appuie sur un réseau d'informateurs, a pour sa part avancé un bilan de 27 morts.

LA DIPLOMATIE À L'ARRÊT

Les raids de vendredi font suite à l'échec dans la nuit d'une réunion du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS) à New York, où les Etats-Unis et la Russie n'ont pas réussi à s'entendre sur une réinstauration de la trêve qu'ils avaient négociée au début du mois.

Les contacts diplomatiques se sont poursuivis vendredi en marge de l'Assemblée générale annuelle des Nations unies, mais le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, cité par l'agence Interfax, a prévenu qu'il ne fallait pas en attendre de décision, encore moins d'accord.

Bassma Kodmani, représentante de l'opposition syrienne elle aussi présente à New York, a jugé pour sa part que rien n'indiquait que la Russie, qui soutient militairement le régime de Bachar al Assad depuis un an, a intérêt à la mise en oeuvre d'un nouveau cessez-le-feu en Syrie.

Rencontrant la presse à l'Onu, le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, a dit redouter qu'"avec le bombardement d'Alep des dernières heures, le régime joue la carte d'une partition de la Syrie". "Et ses soutiens la laissent faire", a-t-il poursuivi.

Il a de nouveau appelé à élargir le cercle des pays impliqués dans la recherche d'une solution diplomatique pour sortir du face-à-face entre la Russie et les Etats-Unis dont, a-t-il dit, "les discussions se prolongent mais semblent interminables".

"ANÉANTISSEMENT"

A Alep, divisée depuis l'été 2012, les témoignages évoquent des bombardements sans précédent.

"Ce qui se déroule actuellement, c'est une véritable opération d'anéantissement, dans tous les sens du terme", a déclaré Ammar al Selmo, dont l'organisation de volontaires a reçu jeudi le "prix Nobel alternatif" en Suède.

Des rebelles et l'OSDH affirment que les raids aériens ont été menés par des avions aux technologies de pointe ne pouvant appartenir qu'à la Russie. Des habitants ont également évoqué la présence d'hélicoptères larguant des barils d'explosifs, une tactique habituellement utilisée par le régime de Damas.

"Les entendez-vous ? Le quartier est visé en ce moment par des missiles. On entend les avions en ce moment", a déclaré à Reuters Mohammed Abou Radjab, un radiologue. "Les avions, hélicoptères, bombardiers ne quittent pas le ciel."

Dans un communiqué publié jeudi soir, l'armée syrienne avait annoncé "le lancement d'une opération sur les quartiers-Est d'Alep" et demandé à la population de se tenir éloignée des "quartiers-généraux et positions des bandes terroristes".

L'état-major ne donnait pas de précisions sur l'opération, notamment si elle comprendrait une composante terrestre, mais une source militaire syrienne a déclaré vendredi à Reuters qu'il y aurait des forces au sol engagées une fois le terrain préparé par l'artillerie et l'aviation. "Comme toute opération militaire, cela débute avec des barrages d'artillerie et des raids aériens, puis les troupes au sol agissent en fonction des résultats des frappes et de leur impact", a-t-on dit.

Le régime de Damas et ses alliés russe et iranien ont fait de la reconquête d'Alep, la plus grande ville de Syrie et capitale économique du pays avant le début du conflit, leur priorité absolue. Reprendre le contrôle de cette ville qu'ils encerclent totalement depuis cet été serait pour Assad et ses alliés leur plus importante victoire à ce jour depuis la début de la guerre civile.

Mais les Occidentaux redoutent un bain de sang. "La seule manière de reprendre Alep-Est passe par une atrocité si monstrueuse que cela résonnerait pendant des générations", a dit un diplomate occidental.

"Alep ne peut pas être le Guernica du XXIe siècle", a martelé Jean-Marc Ayrault, en faisant allusion au bombardement de cette ville basque en 1937 pendant la guerre civile espagnole qui a marqué les esprits par le nombre de victimes.

Le ministre français des Affaires étrangères a toutefois estimé que "la situation peut être légitimement qualifiée de désespérée". (Avec John Irish et Yara Bayoumi à New York; Tangi Salaün, Nicolas Delame et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Danielle Rouquié)