"Depuis un moment déjà se pose la question de savoir si nous aurons une déflation dans la zone euro. Qu’en pensez-vous ?
La déflation correspond à une inflation négative durable qui affecte les biens et services mais aussi les salaires et s’accompagne d’anticipations d’une poursuite de la tendance baissière.
A ces éléments de base constitutifs peuvent s’ajouter une diminution des prix des actifs ou une récession économique.
En termes de probabilité, le risque de déflation commence à être significatif dans la zone euro. Les impacts pourraient s’avérer dévastateurs.
Ce risque est il plus important qu’à la fin de l’année dernière ?
Bien qu’il demeure faible, il n’a jamais été aussi élevé. Nous sommes clairement dans une situation de risque sans précédent depuis la création de la zone euro.

Hormis le faible niveau d’inflation qui est de 0,8%, quels sont les principaux facteurs qui vous conduisent à cette affirmation ?
Le niveau faible d’inflation est d’autant plus préoccupant que nous avons une reprise économique et que nous ne voyons pas de prévisions d’une remontée de l’inflation à court terme.

La zone euro est un conglomérat de pays différents et ne peut pas être appréhendé comme un tout à l’instar du Japon ou des Etats-Unis dans lesquels la question de la déflation s’est également pleinement posée...

La tendance baissière de l’inflation générale et de l’inflation sous jacent peut être observée dans tous les pays de la zone euro. Certains pays connaissent même d’ores et déjà une inflation négative, le premier d’entre eux étant la Grèce. Le pays connait une inflation négative depuis plus d’un an, depuis l’été 2012. Cinq autres pays ont une inflation quasi nulle, l’Irlande, le Portugal, la République slovaque, Chypre et l’Espagne.
Aucun pays n’a une inflation au dessus de l’objectif de la Banque centrale européenne qui est de 2%, même pas l’Allemagne.

Comment expliquez-vous le faible niveau d’inflation au sein de la première puissance de la zone euro ?
Essentiellement par les gains de productivité. Les outils de production étant utilisés à plein, des couts unitaires faibles sont permis dès lors qu’il est possible d’amortir le cout fixe sur des séries importantes. Pour le moment, l’Allemagne n’est pas du tout exposée au risque de déflation du fait de sa croissance robuste et son faible taux de chômage qui autorise une évolution haussière des salaires.
De même la France est également peu concernée par ce risque de déflation en raison de la rigidité salariale.

Quelle frontière faites-vous entre inflation négative et déflation ?
Une inflation négative peut être un phénomène transitoire. C’est ce que l’on a connu par exemple en 2009 avec une grande récession et un effondrement du prix du baril de pétrole.
Une déflation se caractérise par une certaine durabilité de l’inflation négative. Par ailleurs, cette inflation négative ne doit pas concerner un périmètre réduit de l’économie, mais une large partie des biens, des services et des salaires.
En cela, nous pouvons assurément avancer que la Grèce est en déflation.
Cette inflation négative pose des problèmes au niveau de l’endettement ?
Elle pousse à une dégradation du ratio d’endettement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, aujourd’hui nous ne voyons pas très bien comme la Grèce va pouvoir se sortir de l’ornière dans laquelle elle est enlisée.

Pensez-vous que la configuration inflationniste que nous connaissons pourrait faire resurgir le risque souverain au sein de la zone euro ?
Cela est peu probable mais n’est pas exclu. C’est pourquoi nous attendons une intervention ferme de la BCE sur cette question. La BCE ne peut pas se satisfaire d’une inflation sous contrôle pour l’ensemble de la zone euro, mais avec des divergences marquées entre les pays membres de la zone.

Les anticipations sont une mesure clé que suit la BCE...
Les anticipations sont importantes en ce qu’elles retardent les décisions de consommation des ménages et d’investissement des entreprises.
La BCE considère comme meilleur indicateur des anticipations inflationnistes, le point mort d’inflation à cinq ans dans cinq ans des obligations indexées. Traditionnellement ce point mort est supérieur à 2%. En 2011 et 2012, un effondrement de ce point mort est constaté du fait de la conjoncture économique et de la crise souveraine. Aujourd’hui, alors que nous ne sommes plus dans une situation de stress excessif et de récession économique, ce point mort s’éloigne progressivement du niveau de 2%.

Un autre paramètre dont la BCE tient compte est relatif aux conclusions des enquêtes qu’elle mène tous les trois mois auprès des économistes pour connaitre leurs prévisions d’inflation à un an, deux ans et cinq ans. L’estimation médiane pour l’inflation à deux est la plus basse depuis la mise en place de l’union monétaire. Par ailleurs, la proportion des économistes qui envisagent une inflation supérieure à 2% dans cinq ans diminue continuellement alors que la fraction des économistes qui s’attendent à une inflation inférieure à 1.5% s’amplifie.

La BCE n’a cessé de répéter jusque là que les anticipations étaient bien ancrées. C’est de moins en moins le cas.

Depuis quand l’ancrage de ces anticipations n’est plus aussi ferme ?
Depuis quatre mois, autrement dit depuis que l’Eurostat a publié la première statistique d’inflation en dessous de 1%, à 0,7%.

Croyez-vous que l’on va avoir une dégradation des anticipations ?

C’est ce que nous pensons, tant que la BCE n’aura pas décidé d’agir plus fortement.

Vous postulez donc que la BCE va finir par tenir compte de ce désancrage et intervenir ?

Nous espérions une mesure de la BCE en mars. Cela n’a pas été le cas. Nous sommes d’avis que cela n’est que partie remise.

Quelles décisions de la BCE escomptez-vous dans votre scénario central ?

L’institution monétaire devrait procéder à un nouvel abaissement du taux directeur de refinancement, de 0,10% ou 0,15%. Ce ne sera pas de nature à modifier les anticipations inflationnistes. Nous avons des doutes sur la poursuite de l’accélération de l’activité à moyen terme. Nous devrions assez rapidement arriver à un palier. La consommation est destinée à rester modeste, malgré le pouvoir d’achat additionnel procuré par la faible inflation, et en raison du chômage élevé et de la stagnation voir du recul des salaires. De plus, la forte parité de change euro dollar, à 1,38, devrait limiter l’expansion des exportations.

Que faudra-t-il faire pour que cela soit le cas ?
Lancer un programme de quantitative easing. Difficile de savoir sous quelle forme, quand et de quel montant.
Pour l’heure nous le voyons au troisième trimestre. Si la BCE veut être efficace, il faut qu’elle ne s’interdise rien. Il ne faut pas qu’elle se fixe un objectif chiffré. Il faut qu’elle laisse ouvert le champ des actifs qu’elle choisira, en fonction de la situation des marchés, au fur et à mesure de l’évolution de l’économie. Elle somme, il ne faut pas qu’elle restreigne sa marge de manœuvre par des règles contraignantes en termes de quantité ou de types d’instruments éligibles qui induiraient des distorsions de marché.

La BCE réussira-t-elle à convaincre l’Allemagne du bien fondé de ce quantitative easing ?
La BCE a déjà pris des décisions sans le consentement de l’Allemagne.

Pourrions-nous avoir une étape intermédiaire ?

Oui, avec l’arrêt de la stérilisation des titres de dette des Etats membres achetés dans le cadre du programme SMP ou la mise en place d’une nouvelle opération de refinancement des banques européennes, par exemple sur une maturité de deux ans.
L’arrêt de la stérilisation permettra de remettre de la liquidité dans le marché, conduire à une détente des taux courts, et constituer un signe de bonne volonté de la BCE. La stérilisation pourrait n’avoir qu’un très faible effet sur les taux et sur la relance du crédit interbancaire car les banques qui ont trop de liquidités ne voudront guère prendre plus de risques aujourd’hui en prêtant à des banques plus vulnérables.

N’êtes-vous pas d’avis que l’audit des actifs dans les bilans des banques et les stress tests renforceront la transparence et la visibilité du secteur bancaire et accentuera la confiance des banques entre elles, les incitant à davantage se prêter l’une à l’autre ?

C’est possible mais pas garanti. L’horizon serait quelque peu lointain, fin 2014, début 2015.

In fine, vous préjugez que le risque de déflation, même s’il est significatif, ne devrait pas se concrétiser pour l’ensemble de la zone euro ?

Effectivement. Pour autant, il est probable que le risque n’ait pas atteint un niveau paroxysmique. Le risque pourrait s’intensifier cet automne si la dynamique de l’économie n’est pas bonne et que la force de l’euro impacte sérieusement les exportations. Des déceptions pourraient découler de la publication des nouvelles statistiques économique à ce moment là. Les craintes d’une déflation pourraient se raviver.


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