"La création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis ne peut-elle pas aider les entreprises européennes à l’heure où la récession frappe le Vieux-continent ?
Les entreprises transnationales ont évidemment intérêt à développer le libre-échange. Ce sont elles qui poussent à la conclusion d’un nouvel accord. Mais du point de vue des populations, le bénéfice est beaucoup moins évident. Le risque réside autant dans le contenu de l'accord que dans le mécanisme d'arbitrage qui sera mis en place pour le faire respecter. Ce mécanisme permettra aux entreprises de porter plainte contre toute réglementation qu’elles jugeront anticoncurrentielles, y compris lorsque celles-ci touchent au bien-être des populations. Les accords vont ainsi raboter la capacité des Etats à instaurer des réglementations protectrices.

Le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, a pourtant affirmé qu’un accord créerait des «centaines de milliers» d’emplois en Europe. Qu’en pensez-vous ?
Ce discours du « plan Marshall par le libre-échange », nous l’entendons depuis trente ans ! Les chiffres avancés par la Commission européenne sont réalisés au doigt mouillé. Par ailleurs, l’idée que l’on sortira de la crise en allant tailler des croupières à nos partenaires commerciaux est erronée. Nos partenaires commerciaux sont aussi nos clients, c’est pourquoi nous devons sortir de la logique de compétition qui sous-tend ces accords.

Quelles sont les « lignes jaunes » à ne pas franchir, selon vous, dans ces négociations ?

D’après les déclarations du commissaire européen Karel De Gucht, tout est sur la table, rien n’est exclu a priori. Même s’il existe aujourd’hui des divergences importantes sur certains dossiers, comme les OGM ou le bœuf aux hormones, je pense que l’Union européenne est prête sacrifier un certain nombre de ses exigences au nom du bénéfice attendu de cet accord. Elle l’a déjà fait dans le cadre de l’accord de libre-échange avec le Canada qui doit être adopté prochainement, notamment sur les questions environnementales.
Mon sentiment est qu’il n’y a pas de vraie ligne jaune pour l’UE. Ce que l’Union veut, elle l’a exprimé dans un document stratégique sur sa politique commerciale. Celle-ci est axée sur quatre priorités : l’accès aux matières premières, la protection des investissements, le droit de la propriété intellectuelle, et l’ouverture des marchés publics.

La France a-t-elle une position différente de celle de ses partenaires européens (Allemagne, Royaume-Uni…) qui misent beaucoup sur cet accord ?

La France n’a absolument pas pris la main dans ce dossier. Pour l’instant, elle se contente de suivre à l’aveugle les décisions prises par la Direction générale du commerce, à Bruxelles. Cependant, elle peut se fixer au moins un objectif dans ces négociations : la défense des indications géographiquement protégées (IGP) qui sont nombreuses dans notre pays (sur les vins, les fromages, etc) et ailleurs en Europe. Pour le reste, elle doit clarifier sa position.
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