par Nidal al-Mughrabi

GAZA, 2 novembre (Reuters) - Les Gazaouis pris au piège des bombardements et du "siège total" décrété par Israël sont quasiment privés d'eau potable et se trouvent dans une situation sanitaire dramatique, alors que les services publics ont été suspendus et des hôpitaux contraints de fermer ou endommagés par des frappes.

En réponse à l'attaque du Hamas qui a fait 1.400 morts le 7 octobre, Israël a renforcé le blocus de la bande de Gaza, coupant les livraisons d'électricité et de carburant, tout en menant une campagne de frappes aériennes sans précédent ayant tué plus de 9.000 personnes, selon le Hamas, et dévasté des quartiers entiers.

A Khan Younès, dans le sud de l'étroit territoire adossé à la mer, majoritairement urbain et densément peuplé, une fille de 9 ans dit ressentir douleurs à l'estomac et maux de tête après avoir dû boire de l'eau non potable.

"Il n'y a pas de gaz de cuisson, il n'y a pas d'eau, nous ne mangeons pas bien. Nous tombons malades", témoigne Rafif Abou Ziyada. "Il y a des déchets sur le sol et tout est pollué."

D'après les autorités sanitaires de la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, plus de 3.700 enfants font partie des victimes des frappes aériennes israéliennes menées depuis le 7 octobre. Plusieurs hôpitaux ont été mis hors-service par ces bombardements, alors que Tsahal a aussi commencé à multiplier les opérations terrestres dans l'enclave.

Les civils du nord de la bande de Gaza qui ont obtempéré à l'ordre donné par Israël de quitter la zone, en dépit de frappes visant aussi le sud du territoire, sont confrontés à des conditions de vie sinistres, comme jamais auparavant, même si des camions transportant de l'aide humanitaire ont commencé la semaine dernière à arriver en nombres restreints depuis l'Egypte.

L'EAU, UNE "ARME DE GUERRE"

"L'eau est utilisée comme arme de guerre. De nombreuses personnes recourent à des sources d'eau dangereuses (...) L'eau potable est soit indisponible, soit disponible en très, très petite quantité à Gaza", a déclaré Juliette Touma, porte-parole de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).

Israël, qui avait dans un premier temps coupé totalement les arrivées d'eau à Gaza en réponse à l'attaque du Hamas, a dit avoir depuis rétabli l'eau dans des zones du sud de l'enclave avec des canalisations à même de fournir 28,5 millions de litres par jour.

Des représentants de l'armée israélienne répètent qu'il y a suffisamment d'eau, ainsi que d'autres produits, pour l'ensemble des Gazaouis. Ils ont dit aussi être en contact avec toutes les agences de l'Onu pour suivre la situation humanitaire.

"Nous ne sommes pas en guerre avec les civils de Gaza. Nous faisons tout notre possible pour que davantage d'aide humanitaire arrive", a déclaré le colonel israélien Elad Goren, en charge des affaires humanitaires palestiniennes.

Cependant, les pompes chargées d'extraire l'eau souterraine et les usines de dessalement pour traiter les eaux sont hors-service, faute d'électricité. En l'absence de carburant, les camions-citernes ne peuvent pas non plus acheminer de l'eau par la route.

"L'eau est salée. En temps normal, vous n'en donneriez même pas à un âne. Mais désormais vous devez la boire et laisser vos enfants la boire", déplore Ibrahim al Jabalaoui, âgé de 60 ans.

"Il n'y a pas de médicaments pour les soigner s'ils tombent malades à cause de l'eau souillée", ajoute-t-il.

"INDESCRIPTIBLE"

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la crise à Gaza était "indescriptible". Indiquant que 23 hôpitaux étaient concernés par les ordres d'évacuation d'Israël pour le nord de l'enclave, Tedros Adhanom a prévenu que les vies de milliers de patients étaient menacées.

De nombreux hôpitaux, particulièrement dans le nord de la bande de Gaza où les bombardements et affrontements sont les plus intenses, ont été contraints de fermer par manque d'électricité, ont déclaré les autorités sanitaires locales. Israël assure que le Hamas dispose de suffisamment de carburant pour alimenter les générateurs des hôpitaux.

Le chef de l'armée israélienne a laissé entendre jeudi qu'il était disposé à assouplir l'embargo sur le carburant, dont l'objectif est selon lui d'empêcher le Hamas de s'en emparer, déclarant que les hôpitaux gazaouis pourraient si nécessaire être réalimentés en carburant sous supervision extérieure.

Les hôpitaux gazaouis encore ouverts fonctionnent en surcapacité et ne peuvent accueillir certains blessés et malades. Les pharmacies voient leurs stocks de médicaments arriver à néant.

Dans la rue, entre les décombres des bâtiments visés quotidiennement par des frappes israéliennes, les conditions sanitaires se sont encore détériorées, avec des piles de déchets qui s'entassent.

La population de Khan Younès, ville dans laquelle se trouve un camp de réfugiés datant de la guerre d'indépendance d'Israël ayant déplacé les Palestiniens en 1948, a gonflé avec l'arrivée de centaines de milliers de personnes contraintes de fuir le nord de la bande de Gaza du fait de l'offensive israélienne.

"NOUS DORMONS DANS LA POUSSIÈRE"

Des milliers de déplacés sont entassés dans des écoles de l'Onu et les allées des hôpitaux de Khan Younès, devenues des abris temporaires que la population espère mieux protégés face aux bombardements.

Les éboueurs ont peur d'écumer les rues ; il leur est de toute manière impossible de se rendre dans les principales décharges, situées près de la frontière avec Israël. Certaines personnes tentent de trouver de quoi faire du feu pour cuire du riz et des légumes, dont les réserves s'épuisent. Les toilettes deviennent chaque jour un peu plus sales, en l'absence d'eau pour les nettoyer.

Deux médecins ont déclaré à Reuters qu'il y avait un risque accru de maladies cutanées, comme la gale.

Ibrahim al Jabalaoui souligne que sa fille a déjà de douloureuses éruptions cutanées et démangeaisons. Un pharmacien lui a dit que les pommades appropriées arrivaient en rupture de stock.

"Elle se gratte toute la nuit et il n'y a aucun médicament (...) Que pouvons-nous faire ? Nous devons le supporter", soupire-t-il.

Devant une école de l'Onu utilisée désormais comme refuge à Khan Younès, Majeda Abou Rjaila dit ne plus arriver durant la journée à supporter la pollution et l'odeur des déchets. Elle préfère s'éloigner et faire passer le temps en s'asseyant au bord d'une route.

"Nous dormons dans la poussière. Nous nous couvrons avec ce que nous trouvons. Nous buvons ce que nous pouvons, mangeons ce que nous arrivons à trouver", raconte-t-elle, fatiguée et fataliste. (Reportahe Nidal al-Mughrabi, avec Gabrielle Tétrault-Farber à Genève; version française Jean Terzian, édité par Tangi Salaün)