* Une figure majeure de l'opposition assassinée à quelques mètres du Kremlin

* L'opposition appelle à une marche du souvenir dimanche à Moscou

* Vladimir Poutine promet de châtier les coupables

* Selon Kiev, Nemtsov s'apprêtait à divulguer les preuves de l'implication russe en Ukraine (Actualisé avec réactions)

par Alexander Winning et Timothy Heritage

MOSCOU, 28 février (Reuters) - Des milliers de Russes ont déposé samedi des bouquets de fleurs et allumé des bougies sur le pont de Moscou où l'opposant Boris Nemtsov, adversaire virulent de Vladimir Poutine et de l'implication de Moscou dans le conflit ukrainien, a été assassiné vendredi soir, à quelques mètres à peine du Kremlin.

Agé de 55 ans, l'ancien vice-Premier ministre de Boris Eltsine à la fin des années 1990 devenu l'une des figures de la contestation anti-Poutine de l'hiver 2011-2012 a été tué de quatre balles dans le dos alors qu'il marchait à pied sur un pont sur la Moskova.

Son assassin, qui a tiré depuis une voiture blanche, est parvenu à prendre la fuite, selon le ministère de l'Intérieur. Une Ukrainienne qui accompagnait Nemtsov n'a pas été blessée, a précisé un porte-parole de la police.

Boris Nemtsov, qui devait participer ce dimanche à une grande manifestation de l'opposition à Moscou, est l'opposant le plus en vue assassiné depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, il y a 15 ans.

Le président, qui s'est empressé de condamner ce meurtre, a annoncé qu'il superviserait lui-même l'enquête et a évoqué la piste d'un "contrat" ou d'une "provocation".

Dans son message de condoléances envoyé à la mère de Nemtsov, il promet samedi que "tout sera fait pour que les organisateurs et les exécuteurs de ce meurtre ignoble et cynique soient châtiés". Boris Nemtsov, ajoute-t-il dans son message à Dina Eydman, a laissé une marque dans l'histoire, la politique et la vie publique de la Russie.

POROCHENKO: "IL ALLAIT RÉVÉLER DES PREUVES CONVAINCANTES

DE L'IMPLICATION DES FORCES ARMÉES RUSSES EN UKRAINE"

A l'étranger, le président américain Barack Obama a dénoncé "un meurtre odieux" et a invité Moscou à mener "rapidement une enquête impartiale et transparente". François Hollande a salué pour sa part "un défenseur courageux et inlassable de la démocratie et un combattant acharné contre la corruption".

En Ukraine, le président Petro Porochenko a affirmé que Nemtsov avait été assassiné parce qu'il s'apprêtait à divulguer des preuves de l'implication de la Russie dans le conflit séparatiste en Ukraine.

"Il disait qu'il allait révéler des preuves convaincantes de l'implication des forces armées russes en Ukraine. Quelqu'un avait très peur de cela, ils l'ont tué", a dit le chef de l'Etat ukrainien, ajoutant à la télévision que Nemtsov lui avait confié il y a quelques semaines qu'il possédait la preuve du rôle joué par la Russie dans la crise.

Le Comité d'investigation russe, placé sous l'autorité directe du président, a dit suivre plusieurs pistes, dont la piste islamiste en insistant sur le fait que Nemtsov était juif et celle du conflit ukrainien. Mais il n'exclut pas non plus une possible tentative de déstabilisation du pouvoir par l'opposition elle-même afin de mobiliser pour la manifestation qui était prévue dimanche.

La police a bouclé pendant deux heures l'accès au pont, situé non loin des murs du Kremlin et de la Place rouge, puis a nettoyé la scène de crime, où des traces de sang étaient alors visibles, avant de laisser les Russes venir rendre hommage à Nemtsov en déposant des gerbes de fleurs ou des bougies sur les lieux de son assassinat.

"Nous sommes tous Nemtsov", pouvait-on lire sur une feuille blanche posée sur les bouquets de fleurs qui se sont amoncelés le long du parapet.

"Les gens ont peur de soutenir notre mouvement. Les militants de l'opposition reçoivent des menaces tous les jours, et Boris ne faisait pas exception. Mais ils ne nous stopperont pas", a déclaré l'opposant Mark Galperin.

KASSIANOV: "IL A ÉTÉ TUÉ POUR AVOIR DIT LA VÉRITÉ"

Aucune revendication n'a été formulée et Mikhaïl Gorbatchev, ancien président de l'Union soviétique, a mis en garde contre les conclusions hâtives. "Certaines forces vont tenter de tirer profit de ce meurtre. Elles se demandent comment se débarrasser de Poutine", a-t-il souligné.

Reste que l'assassinat de Nemtsov, qui ressemble à l'exécution d'un contrat sur sa tête, est une réminiscence du chaos des années 1990 consécutif à l'effondrement de l'Union soviétique et soulève de nouvelles questions sur la capacité de l'opposition à émerger face à Poutine dans ce contexte de danger.

Le Kremlin s'est employé à repousser les accusations sur une implication du pouvoir. Mais sa mort braque les projecteurs sur le traitement réservé aux opposants de Poutine depuis le début de son troisième mandat au Kremlin. Le blogueur Alexeï Navalni purge une peine de quinze jours de prison qui le tiendra à l'écart de la manifestation prévue dimanche, Garry Kasparov vit aux Etats-Unis et Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos libéré fin 2013 après dix années passées en prison, s'est exilé en Suisse.

"Qu'un dirigeant de l'opposition puisse être abattu à côté des murs du Kremlin dépasse l'imagination. Il n'y a qu'une seule explication possible: il a été tué pour avoir dit la vérité", s'est indigné Mikhaïl Kassianov, ancien Premier ministre de Vladimir Poutine passé dans l'opposition.

UN CLIMAT DE HAINE

Selon la presse, Boris Nemtsov craignait pour sa sécurité en raison de son opposition à l'implication russe en Ukraine, objet de la manifestation de dimanche, qu'il préparait depuis des semaines. Les organisateurs envisagent désormais d'en faire une cérémonie à sa mémoire.

Comme Petro Porochenko, Ksenia Sobtchak, autre figure de l'opposition, a rapporté que Boris Nemtsov travaillait à un rapport sur la présence de forces russes en Ukraine, que le Kremlin nie avec acharnement.

Impliqué également dans la lutte contre la corruption, l'opposant avait également dénoncé le coût pharaonique des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi et dressé la liste de nombreux bâtiments publics, hélicoptères et avions mis à la disposition de Vladimir Poutine.

Anatoli Tchoubaïs, qui fut comme Nemtsov un des membres de l'équipe Eltsine dans les années 1990, a établi pour sa part un lien avec la manifestation pro-Poutine qui s'est tenue la semaine dernière, illustration selon lui d'un climat de haine et de colère.

"Il y a quelques jours à peine, ici, dans cette ville, des gens ont manifesté sous une affiche appelant à tuer la cinquième colonne et aujourd'hui, Boris Nemtsov est assassiné. Arrêtons-nous un moment pour réfléchir à ce qui se passera demain. Nous devons tous arrêter", a-t-il dit.

"Ce n'est pas simplement un coup porté à l'opposition, c'est un coup porté à la société russe tout entière. C'est un coup porté à la Russie. Si des opinions politiques sont sanctionnées de la sorte, alors notre pays n'a plus d'avenir", a commenté un autre opposant, Sergueï Mitrokhine.

Les organisateurs de la manifestation prévue dimanche à Moscou ont abandonné leur projet, qui sera remplacé par un rassemblement à la mémoire de Nemtsov. (avec Katya Golubkova, Vladimir Soldatkin et Denis Dyomkin; Nicolas Delame, Benoît Van Overstraeten, Jean-Philippe Lefief et Henri-Pierre André pour le service français)