"Vous avez rédigé avec l'économiste Dany Lang une note sévère sur le programme d'Emmanuel Macron, que vous qualifiez de "rétrograde" et dangereux pour le modèle social français. Quels sont vos principaux reproches ?
Emmanuel Macron fait miroiter une société dynamique, libérée, favorisant l'initiative individuelle et l’enrichissement personnel, en s’appuyant sur les classes montantes d’entrepreneurs ou d’actifs indépendants. Mais au fond son programme est proche de celui du Medef. Il consiste à baisser la taxation des revenus du capital dans le but de faire revenir les riches afin qu'ils créent de l'emploi en France  Le problème, c'est qu'une grande partie des start-up aujourd'hui n'ont aucune utilité sociale. Elles n'apportent pas de solution au chômage de masse. Or ce sont les chômeurs et les retraités qui vont faire les frais du programme d'Emmanuel Macron, au travers de la baisse des dépenses publiques et de la hausse de la CSG destinées à compenser les baisses d'impôt et de charges sur les entreprises. Il y a dans ce programme une remise en cause du modèle social français reposant sur la solidarité entre les générations et sur la concertation entre les partenaires sociaux, à l'image de la réforme de l'assurance chômage et des retraites proposée.

Le système d'assurance chômage date de 1958, une époque où le travail salarié était la norme. Ne doit-on pas aujourd'hui trouver un système plus adapté aux nouvelles formes de travail (indépendant, précaires) ?
Le système de l'Unedic est régulièrement renégocié entre les partenaires sociaux depuis 1958 pour s'adapter aux évolutions du travail. Il repose également sur une forme de solidarité. En effet les cadres cotisent plus qu'ils ne touchent. Ils sont moins souvent au chômage et ont des taux de remplacement plus faibles. Dans le nouveau système de M. Macron, non seulement les partenaires sociaux n'auront plus leur mot à dire mais le lien entre salaires, cotisations et prestations sera rompu. Les prestations ne dépendront plus des salaires mais seront fixées par l'Etat probablement à un niveau relativement faible pour tout le monde. J'ajoute que l'objectif d'Emmanuel Macron est de faire 10 milliards d'économies sur l'assurance chômage, notamment grâce à un contrôle plus rigoureux des chômeurs. C'est bien sûr une fausse solution. Il manque aujourd'hui environ 4 millions d'emplois en France. Il n'y a pas dans un coin des millions d'emplois que les chômeurs pourraient prendre s'ils étaient mieux formés ou s'ils avaient plus de volonté de travailler. Nous allons vers un système à l'anglaise où l'on demande aux chômeurs des tas de preuves de leurs démarches sous peine d'être radiés.

Jean-Pisany Ferry, conseiller d'Emmanuel Macron sur les questions économiques, revendique plutôt le modèle scandinave de "flexi-sécurité"…

L'un des éléments clés du modèle scandinave est que les travailleurs sont associés aux décisions des entreprises. En outre la hiérarchie des salaires est plus faible qu'en France. Ce n'est pas en affaiblissant les organismes de représentation des salariés, comme le souhaite Emmanuel Macron, que l'on se dirige vers le modèle scandinave.

Que pensez-vous du projet d'augmentation du budget européen ?
M. Macron veut d'abord poursuivre la politique d'austérité et de réduction des dépenses publiques qui ont conduit la zone euro à la situation difficile dans laquelle est se trouve. Je rappelle que le taux de chômage en 2007 en France était de 7%. La stratégie de M. Macron consiste à dire que la France va faire les réformes structurelles et les politiques d'austérité qu'attendent nos partenaires européens pour ensuite pouvoir plaider pour une politique de relance européenne. Le risque c'est qu'on ne voit jamais cette politique de relance! Outre leur effet récessif, les politiques d'austérité posent de véritables problèmes de société : on manque aujourd'hui de policiers, de juges, de gardiens de prison. C'est pourquoi elles sont aujourd'hui très contestées dans l'ensemble de la zone euro.
"