"Quels commentaires vous inspirent la forte correction du marché boursier local chinois ces dernières semaines ?
Bien que nous soyons essentiellement sur une stratégie de stock picking basée sur l’analyse approfondie des fondamentaux des entreprises avec un horizon de long terme, nous ne pouvons nous empêcher d’avoir une vision du marché dans son ensemble. Ce qui se passe ces dernières semaines ne nous inquiète pas outre mesure. Nous restons plutôt sereins.
Il y a lieu de garder à l’esprit qu’avant de connaitre une forte chute, l’indice composite de Shanghai avait enregistré une performance de 150% en l’espace d’un an.
Je ne pense pas que le vif mouvement baissier s’explique par une intensification de l’inquiétude concernant l’évolution de la croissance économique chinoise. Le ralentissement de la dynamique de la Chine n’est pas nouveau. Il est par ailleurs voulu par les autorités dans la mesure où celles-ci cherchent à doter la Chine d’un nouveau modèle de développement plus équilibré, moins axé sur les exportations et l’investissement et davantage concentré sur la consommation domestique. Nous accueillons favorablement ce ralentissement qui dénote d’une priorité donnée à la qualité de la croissance sur la quantité de la croissance.

Comment expliquez-vous alors cette tendance baissière ?
Par une plus grande ouverture du marché boursier chinois. Progressivement ont été introduites la possibilité de pratiquer des ventes à découvert, d’acheter des contrats à terme, de faire des achats de titres avec levier, autrement dit de se lancer dans des opérations d’acquisition d’actions par de l’endettement. C’est ce qui a amené le marché a fortement bondir en l’espace de neuf mois.
Le régulateur des marchés financiers est intervenu pour limiter la capacité de levier. S’en sont suivis d’abondants débouclements de positions vendeuses de la part de particuliers non avertis et des ventes forces suite aux appels de marge.

A-t-on raison de parler d’un krach boursier aujourd’hui en Chine ?
Encore faut-il déterminer quelle définition doit-on donner à un krach boursier… La compréhension de ce terme est assez différente d’un observateur à un autre.

Peut-on parler d’un krach pour un marché qui a gagné 150% mais qui a perdu seulement 40% ?

Ce qui nous importe, c’est que nous continuons à avoir une vision constructive sur le marché. Nous saluons la poursuite des efforts du gouvernement pour réformer l’économie.

Quel regard portez-vous sur les réponses apportées par les autorités face aux brusques mouvements de ce marché boursier ?

Des interventions face à une hausse extrême de la volatilité sur le marché ne sont pas propres aux autorités chinoises. Je rappellerai à ce sujet, que les autorités européennes n’ont pas hésité à interdire les ventes à découvert face aux secousses qui se sont matérialisées à la suite du déclenchement de la crise de 2008.
L’interventionnisme des autorités chinoises se justifie d’autant plus par le fait que le marché boursier n’est pas dominé par des investisseurs institutionnels mais par des investisseurs particuliers. Au demeurant cet interventionnisme, qui prend la forme de suspension de négociation de certains titres ou encore de l’interdiction imposés à certains actionnaires de la revente de leurs titres sur le marché ne signifie pas que le processus de réforme de la Chine de son marché financier avec la convertibilité du yuan à terme, un assainissement des grandes entreprises étatiques, une lutte contre la corruption est remis en question même si ce processus peut être ralenti.
Parallèlement aux difficultés que rencontre le marché boursier chinois, il est important de mettre en évidence les progrès effectués dans la cotation, la négociation sur ce marché. Ainsi les couts de transaction, par exemple, ont énormément diminué récemment. La liquidité s’est beaucoup améliorée en comparaison avec le vieux système de quota (QFII).

Lorsque l’on voit que l’indice composite de Shanghai continue à décliner violemment (-8% lundi 27 juillet, -6% ce mardi 18 aout) malgré les mesures de soutien adoptées par les autorités, ne peut-on pas se questionner sur la perte de contrôle de la part des autorités de ce qui se passe sur ce marché ?

La volatilité à court terme ne préfigure pas de la performance de l’investissement sur le marché à plus long terme. Tout dépend du choix d’investissement éclairé effectué. Malgré la correction qui s’est dessinée ces dernières semaines, nos fonds enregistrent encore des performances notables.
On dénombre environ 70 millions de comptes boursiers ouverts en Chine sur une population de 1,4 milliard. Nous ne pensons pas qu’un risque systémique puisse émaner du comportement de ces investisseurs.

Vos performances ont été possibles par l’évitement des titres qui se sont retrouvés en surchauffe ?

Absolument. C’est essentiellement sur les petites et moyennes valeurs que s’est faite la spéculation. Ce n’est pas dans cet univers que nous allons principalement chercher nos idées.
Nous sommes davantage exposés aux grandes capitalisations, des franchises très solides, qui se traitent parfois avec une décote significative par rapport aux autres marchés internationaux et qui peuvent générer une croissance bénéficiaire de 10% à 20% par an.

Le marché chinois doit impérativement être appréhendé sur le long terme…

De notre point de vue il y a encore des multiples leviers de croissance et des belles franchises, qui comportent du potentiel sur le long terme.
Par exemple, le niveau de pénétration du marché automobile en Chine se situe au niveau de celui des Etats-Unis en 1920, de celui du Japon en 1970 et de la Corée en 1990 avec en parallèle une croissance des salaires en moyenne de 5% à 10% par an et avec des habitants ruraux qui ne cessent de se déplacer vers les agglomérations urbaines avec en perspective un gain de pouvoir d’achat. Ce n’est pas parce qu’une diminution de ventes des véhicules est relevée entre mai 2015 et juillet 2015, que cela signifie nécessairement que l’évolution du niveau de pénétration du marché automobile est arrêtée.

Est-ce à dire que les derniers mouvements sur le marché ne vous ont pas conduits à des ajustements ?

Nous avons graduellement accru notre exposition aux actions locales chinoises depuis 2013 et suite à l’ouverture du marché par la création de Hong Kong Shanghai Connect. La baisse des titres sur lesquels nous nous sommes positionnés ont connu une correction limitée. Ainsi par exemple nous nous sommes placés sur le plus grand spiritueux chinois qui se cotait 11 fois ses bénéfices par action. Le multiple est monté à 16 avant de redescendre à 14. Nous n’avons donc pas procédé à d’importants ajustements du fait des mouvements qu’a connu le marché.

Au regard de tout ce qui se dit sur la Chine ces derniers temps, l’inquiétude des investisseurs des fonds que vous gérez a-t-elle pris de l’ampleur ? Avez-vous subi des sorties massives ?

Une large partie de notre clientèle se compose d’investisseurs institutionnels ou d’investisseurs privés avertis qui connaissent très bien notre philosophie d’investissement. Nous communiquons régulièrement auprès de nos clients sur notre vue et nos changements de positions. De ce fait, nous n’avons pas observé de sorties massives malgré les récentes perturbations.
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