"Quel regard portez-vous sur les troubles observés sur le sous segment énergétique du marché HY américain ? Ce secteur représente pour l’heure 15% du segment dans son ensemble. Doit-on s’attendre à ce que cette part diminue compte tenu de la baisse des prix des obligations et de la multiplication des défauts des acteurs de ce secteur ?
Si l’on considère que le prix du pétrole restera durablement autour de 30 dollars, nous nous attendons à ce que le taux de défaut dans le secteur énergétique augmente à plus de 16%.
Malgré cela, nous ne tablons pas sur une diminution du poids de ce secteur dans l’univers car de nombreux fallen angels devraient intégrer ce sous segment de l’univers HY.

Vous estimez pour autant que le rendement moyen offert par ce segment de 10% couvre pleinement les risques sous jacents ?

Un aspect à ne pas négliger dans la balance est le fait que de nombreuses autres sociétés émettrices sur le marché profitent d’un prix du baril bas que ce soit dans le secteur de la consommation, des ventes au détail, de la santé, de l’automobile. Ainsi, le taux de défaut sur le marché, en excluant le vaste secteur des matières premières devrait rester largement en deçà de la moyenne historique, qui est de l’ordre de 4%.
Nous sommes d’avis que le taux de défaut pourrait s’élever entre 4 et 6% en incluant le secteur des commodities. Nous pensons en cela que nous sommes amplement rémunérés pour les risques existants.

Quid de l’hypothèse d’une remontée plus rapide qu’anticipée des taux directeurs de la Fed suite à un rebond notable du prix du baril qui impliquerait un renchérissement du cout de refinancement des sociétés high yield américaines ?

L’hypothèse d’une remontée violente du cours du baril qui viendrait contraindre la Fed à relever ses taux directeurs plus hâtivement me parait peu probable dans un horizon de 6 à 12 mois du fait du faible impact sur l’inflation. Reste la question de la répercussion d’une telle remontée du baril vis-à-vis de la croissance. Cet aspect aurait surement plus de poids dans le raisonnement de la FED.

De quelle manière l’intensification de l’aversion pour le risque aux Etats-Unis pourrait-elle se faire ressentir en Europe ?

Je parlerai davantage d’un effet de corrélation que d’un effet de contagion. Cette corrélation devrait être limitée dans son ampleur. Nous avons peu d’exposition sur le marché HY européen au secteur des matières premières. Le secteur énergétique ne représentait dans le passé qu’environ 1%. Depuis que Petrobras et Gazprom ont fait leur entrée dans le segment, cette proportion s’est élevée à 5%. Cela reste faible par rapport à la taille du marché.

Le secteur bancaire européen a été violemment chahuté en ce début d’année. Comment l’accentuation du risque bancaire pourrait affecter le compartiment du high yield européen ?
Il est vrai que le secteur bancaire a crée ces derniers temps beaucoup de bruit sur le marché HY européen. Cela s’explique par la part considérable qu’a pris le secteur dans l’univers depuis 2009.
Celle-ci est passée de quelques pourcents seulement à 30%. Alors que les opérateurs étaient essentiellement confrontés à des banques de pays de l’est, relativement obscures, et très risquées, ils doivent à présent faire face à de grandes institutions bancaires européennes d’envergure internationales.
Ceci étant, la plupart des gérants ont fait le choix de ne pas se positionner massivement sur ce secteur en raison de la grande incertitude qui régnait sur ce secteur en 2009 et d’une moins bonne maitrise des business modèles des banques. Ayant les capacités en interne d’analyser ce secteur nous avons fait le choix de nous positionner sur les banques tout en conservant une sous pondération vis-à-vis de notre univers.
Nous avons continué à avoir une approche très vigilante depuis lors, en demeurant en alerte sur les risques sous jacents. Pour l’heure nous restons sous pondérés sur le secteur et nous sommes surtout investis sur les titres les plus seniors, donc les plus surs.

Une poursuite des secousses pourrait-elle mettre à mal le segment du HY européen ?
Les perturbations que l’on a vécues en janvier et février, particulièrement palpables sur les titres de dette Tier 1, se sont surtout étendues à l’ensemble de la structure de dette des banques.
Il est difficile de défendre l’idée d’une contamination à l’ensemble du segment du HY européen bien que nous ne puissions pas nier un regain de volatilité.
L’argument principal à cela est que la plupart des gérants spécialisés sur la dette HY des entreprises européennes n’ont qu’une exposition marginale, si ce n’est nulle, à la dette HY des banques européennes.
Beaucoup de gérants qui investissent dans les additionnal tier 1 sont des investisseurs spécialisés sur la dette bancaire, ou des investisseurs IG à la recherche d’instruments davantage rémunérateurs en rendements et habilités à le faire.

La mise en souffrance additionnelle du secteur des matières premières pourrait donner lieu à la dégradation de la note d’un certain nombre de grandes entreprises jusqu’ici notées « investment grade » (IG). Après Anglo American, qui intègre les indices High Yield ce mois-ci, sont dans le collimateur Glencore, Repsol, Casino… Le downgrading de ces sociétés aura pour conséquence d’étoffer massivement l’offre dans l’univers du high yield. Entre 25 et 30 milliards d’euros pourrait venir s’ajouter aux 300 milliards d’euros comptabilisés dans le compartiment du high yield. Ce surplus d’encours de près de 10% doit être absorbé, ce qui ne sera pas évident… Qu’en pensez-vous ?

L’arrivée des fallen angels avait posé un réel problème au moment de l’éclatement de la bulle Internet. Très soudainement, 60% du segment HY européen étaient composés de fallen angels. Depuis lors, la part de ces fallen angels dans le segment n’a cessé de baisser, à environ 35% aujourd’hui.
A mon sens, il n’y a pas de crainte à avoir sur la capacité d’absorption des fallen angels à venir car nous avons aussi bénéficié jusqu'à maintenant d’une forte croissance du marché.

L’arrivée en masse de ces fallen angels sur un marché où il n’y a pas beaucoup d’émetteurs nouveaux n’est elle pas inquiétante au regard de la détérioration de la qualité du marché ?

Pour l’instant, l’inquiétude est injustifiée. Une problématique pourrait se poser si nous avions un marché primaire inerte durablement avec en parallèle un processus de downgrading toujours soutenu. Pour l’instant on estime le volume de titres IG qui pourrait tomber dans le segment HY entre 15 et 20 milliards d’euros, ce qui est relativement limité.

Pensez-vous que la concrétisation d’un Brexit pourrait être une source déstabilisante pour le high yield européen ?

Le Brexit est un risque que l’on prend en compte sérieusement et que l’on gère de manière proactive depuis plusieurs mois.
Quelque soit l’issue du référendum, une vive incertitude devrait se faire sentir jusqu’en juin. Par la suite, dans le cas où le Royaume Uni décidait de sortir de l’Union européenne, même si nous supposons qu’à moyen terme les perspectives économiques seront les mêmes pour l’Europe, des secousses devraient se matérialiser à court terme sur les marchés.

De quelle manière tentez-vous de faire face à la problématique de liquidité qui sévit sur le segment du HY ?

Le risque de liquidité sur le marché dans lequel nous évoluons a toujours été très important dans notre stratégie d’investissement. Le marché du HY européen est naturellement moins mature que le marché du HY américain, et donc moins profond. Les émetteurs et les investisseurs ont des profils divers. Certains opérateurs sont initiés et investissent sur le marché dans la durée, alors que d’autres le sont beaucoup moins et ont davantage un comportement de va et vient.
A présent, il y a lieu de relever que si la liquidité sur le marché de l’IG européen s’est notablement détériorée du fait des méandres qui ont concerné de grands noms comme Volkswagen, Renault, Glencore… tel n’a pas été le cas sur le marché du HY.

Diverses mesures sont envisageables pour faire face à la contrainte de la liquidité le cas échéant. Il est possible d’avoir plus de cash mais il y a un seuil réglementaire de 10% des encours à respecter et cela peut couter de l’argent dans le cas où on a recours à des instruments souverains.
Il est également possible de faire appel à des plateformes d’exécution indépendantes, comme nous le faisons. Celles-ci mettent en relation vendeurs et acheteurs en dehors de toute intermédiation bancaire. L’utilisation de ces plateformes n’est pas systématique car la base de clients est encore insuffisamment étoffée et le besoin n’est pas encore poignant mais elles pourraientt le devenir.
Qui plus est, une bonne partie de nos fonds s’accompagnent d’une politique de swing price depuis longtemps.
Enfin, sur notre fond à échéance récemment lancé dont la stratégie se rapproche du « buy and hold », des frais sont prélevés dans le cas où les investisseurs veulent sortir, afin de ne pas pénaliser le reste des investisseurs.

Finalement que prévoyez-vous en termes de performance pour le high yield européen cette année ?
Nous pouvons tabler sur une performance entre 4 et 5%. Les entreprises HY européennes sont plutôt en bonne santé financière. Elles ont tiré la leçon de la crise des subprimes. Leur gestion du cash est plus prudente. Elles ont été actives dans le refinancement de leur dette. Nous n’avons pas à faire face à des sujets de « maturity wall » ou de « leverage ». Les résultats affichés sont globalement positifs. Le programme de quantitative easing de la BCE tendant à assurer le maintien de taux d’intérêt bas, la quête des investisseurs du rendement devrait persister. Les niveaux de spreads et de yield étant attractifs, l’attrait pour la classe d’actifs devrait rester significatif.

Un dernier mot ?
Le repricing que l’on a connu en ce début d’année, et qui n’est aucunement un signale de détresse, a donné lieu à des points d’entrée plus intéressants.
Indépendamment des facteurs macro qui ont leur importance, le risque principal qui pèse sur le segment du HY, quelque soit sa nationalité, est le risque de crédit, autrement dit le risque de défaut sur des noms spécifiques. C’est ce risque idiosyncratique que l’on s’efforce de gérer au quotidien.
Dans un contexte de marché très volatile, l’obligation d’une société qui annonce une mauvaise nouvelle sur son activité ou qui est downgradée peut rapidement perdre 10, 20 points.

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