Le tribunal précise qu'il a accordé aux actionnaires du groupe GML un peu moins de la moitié des 114 milliards de dollars qu'ils réclamaient pour une expropriation des biens de la compagnie pétrolière jugée illégale.

Tim Osborne, directeur de GML, a jugé ce verdict "très favorable" et estimé que la compensation était sans précédent dans une procédure d'arbitrage.

Mais le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dit qu'il était probable que Moscou fasse appel, soulignant que les actionnaires, qui ont passé une dizaine d'années en procédures judiciaires, devraient encore se battre pour recouvrer leurs dommages et intérêts.

"La partie russe (...) usera sans doute de toutes les possibilités légales pour défendre sa position", a-t-il dit, lorsque les premières fuites sur le jugement ont filtré.

C'est le journal russe Kommersant qui le premier a fait mention du verdict, ce qui a fait baisser la Bourse de Moscou en ouverture. L'indice RTS en dollar cédait 1,9% en matinée et l'indice Micex 1,1%. L'action du pétrolier Rosneft perdait 1,4%.

Les avocats de GML ont dit que la décision de La Haye était exécutable sur le champ mais que Moscou disposait de 180 jours, jusqu'au 15 janvier, pour l'appliquer avant que les intérêts ne commencent à se cumuler.

Ce jugement aux lourdes implications financières tombe sur la Russie à un moment où le pays s'expose à des sanctions internationales pour son rôle dans la crise ukrainienne, compliquée par l'affaire du Boeing de Malaysia Airlines. La Russie doit en outre faire face à un ralentissement de sa croissance économique.

DÉCISION DE LA CEDH ATTENDUE JEUDI

A l'époque de son expropriation, Ioukos, alors première compagnie pétrolière russe, était contrôlée par l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski, naguère l'homme le plus riche de Russie avant d'être incarcéré.

Arrêté en octobre 2003 et condamné à dix ans de prison pour détournement de fonds et fraude, Mikhaïl Khodorkovski, qui avait nié les faits qui lui étaient reprochés, avait bénéficié en décembre dernier d'une libération anticipée, sortant de prison huit mois avant d'avoir purgé la totalité de sa peine.

Ioukos, qui pesait jadis 40 milliards de dollars, avait été démantelé et la majeure partie de ses avoirs avaient été transmis à Rosneft, compagnie pétrolière dirigée par Igor Setchine, un ancien collaborateur du président russe Vladimir Poutine.

Rosneft a réagi à la décision de La Haye en déclarant que toutes les opérations d'acquisition des actifs de Ioukos étaient légales et qu'aucune plainte ne pourrait être portée contre lui sur la base de ce jugement.

Le dédommagement de 50 milliards de dollars doit être versé à des filiales du groupe Menatep, holding basée à Gibraltar par l'intermédiaire de laquelle Khodorkovski contrôlait Ioukos. Celle-ci est devenue GML et l'homme d'affaires russe n'est plus actionnaire de GML ni de Ioukos.

Il semble que le principal bénéficiaire de ce dédommagement soit Léonid Nevzline, un associé qui a fui en Israël pour couper court aux poursuites et qui a une participation de l'ordre de 70%. Après avoir été emprisonné, Khodorkovski avait vendu le contrôle de Menatep, qui détenait 60% à 70% de Ioukos, à Nevzline.

Un porte-parole de Nevzline s'est refusé à tout commentaire.

Une porte-parole de Ioukos a déclaré par ailleurs lundi que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) devrait annoncer jeudi sa décision concernant une plainte déposée par l'ensemble des actionnaires du groupe pétrolier et distincte de celle de GML.

Un jugement provisoire de la cour de 2011 s'était prononcé en partie pour la Fédération de Russie mais avait invité Ioukos à poursuivre la procédure en vue de réclamer une "satisfaction équitable".

(Avec Anthony Deutsch et Tom Miles, Eric Faye et Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Marc Joanny)

par Megan Davies et Vladimir Soldatkin