"Quel regard portez-vous sur la nouvelle hausse du taux directeur de la Fed la semaine dernière ?
Cette hausse était largement anticipée par le marché. Ce dernier a d’ailleurs bien réagi, car la communication de la Banque centrale américaine avait finalement été plus conciliante que prévu.

Pour quelle raison ?

La présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, a indiqué que le relèvement du mois de mars était à considérer comme faisant partie des trois relèvements envisagés cette année.

De quelle manière s’est traduit le bon accueil du marché ?

Les actifs risqués se sont revalorisés concomitamment à une dépréciation de la valeur du dollar et une appréciation du cours de certaines devises émergentes.
En quoi consiste votre scénario de base pour le taux directeur de la Fed ?
A l’instar de la Fed, nous escomptons trois hausses au total, de 0,25% chacune en 2017 et trois hausses supplémentaires en 2018. Cela amènerait le taux à 2,25% fin décembre 2018.
Nous ne tablons pas sur une accélération incontrôlée de l’inflation, en particulier grâce à l’action de la Fed et du fait du fléchissement du prix du baril WTI. L’inflation core devrait rester relativement stable autour de 2,2% grâce à une stabilisation de la croissance du prix des loyers (37% de l’indice core) et en l’absence d’une forte augmentation des salaires aux Etats-Unis.

Vous écartez l’hypothèse que les éventuelles mesures budgétaires prises par l’administration Trump puissent entrainer une vive croissance économique qui tendrait davantage le marché du travail et inciterait les entreprises à réévaluer les rémunérations de leurs effectifs ?

Nous sommes d’avis que la Fed a pris en compte dans son action la probabilité d’une accélération de la croissance économique. Entre les deux hausses précédentes, il s’était écoulé un an. Cette fois-ci elle n’a attendu que trois mois.
A présent, il n’est pas acquis que des mesures d’envergure pour stimuler la dynamique du pays seront bien adoptées. Quand bien même cela serait le cas, celles-ci seraient mises en oeuvre tout au long de l’année et mettraient du temps avant de déployer leurs effets.
Cette analyse semble partagée par le marché qui n’a pas fait monter les taux longs américains de manière significative. Le taux à 10 ans se situant toujours autour de 2,50%.

Que voyez-vous du côté de la gestion du bilan de la Fed ?

Janet Yellen a signalé que les membres du comité de pilotage de la politique monétaire avaient commencé à en discuter. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour la Fed de penser dès cette année à réduire son bilan.
Par ailleurs, je conçois difficilement que celle-ci s’orientera vers une diminution drastique de la taille de son bilan en retirant de la liquidité du système. D’une part, ce qui importe c’est la taille de ce bilan en proportion du PIB des Etats-Unis. Or, ce dernier progressant en nominal de 4% par an, le poids relatif du bilan de la Fed s’amoindrit mécaniquement.
Qui plus est, une intervention marquée de la Fed sur son bilan pourrait provoquer une hausse brutale des taux longs, qui ne serait pas souhaitable eu égard à l’ampleur de la dette fédérale des Etats-Unis, environ 20 000 milliards de dollars.

Vous êtes donc partisan de l’idée que la gestion du bilan sera passive et que la Fed se contentera de ne pas réinvestir le coupon des obligations arrivées à maturité ?

C’est mon sentiment et ce d’autant plus que la vitesse de circulation de la monnaie ne s’accélère pas dans le pays.
A quel niveau voyez-vous le taux dix ans américain monter cette année ?
A environ 3%, peut-être 3,25%. Il y a encore beaucoup de liquidités, injectées dans le système par d’autres grandes banques centrales, qui cherchent à être investies. En outre, le positionnement des investisseurs spéculatifs est déjà très vendeur sur le marché des taux américains.
Ces deux éléments réunis poussent à penser que le potentiel de hausse des taux longs est limité.

Même si le niveau d’équilibre qui prévalait avant la crise de 2008 était de 4,5% (2,5% de croissance et 2% d’inflation), il faudrait une grande restriction de liquidité pour que les taux aillent au-delà de 3,50%. Les investisseurs pourraient également réclamer une rémunération plus attractive si les Etats-Unis étaient contraints de relever substantiellement le plafond de leur dette dans la perspective de la mise en œuvre de la politique du nouveau président en place.

Quels risques principaux pourraient remettre en cause le scénario de base de la Fed et la pousser soit à réduire la voilure ou au contraire à l’activer ?

Un retournement du cycle économique américain que certains entrevoient en 2018. Cela pourrait survenir si les mesures de Trump ne sont finalement qu’un feu de paille. La Fed pourrait alors si ce n’est rétropédaler, du moins interrompre son processus de hausse des taux.
A l’inverse, un rebond de l’inflation en raison de la mise en place du protectionnisme économique tant promis par Trump, qui se traduirait par la mise en place de barrières douanières, de taxes à l’importation très importantes, pourrait forcer la Fed à se montrer plus agressive.
Face à ces deux situations, la Fed saura faire preuve de pragmatisme.
L’un de ces deux risques vous parait-il plus plausible ?
En termes de timing, le rebond de l’inflation pourrait apparaitre avant le retournement économique.
Aujourd’hui cependant ces deux risques sont limités.

Que prévoit votre scénario de base 2017 s’agissant de la Banque centrale européenne ?

Notre scénario de base prévoit une stabilité des taux et une poursuite des rachats d’actifs à raison de 60 milliards d’euros tous les mois à compter du 1er avril.
Nous n’écartons pas l’option de voir la BCE remonter son taux de dépôt, aujourd’hui négatif, d’ici la fin de l’année. Ce taux se situe à -0,40% et porte préjudice à l’équilibre financier des banques. L’éloignement du risque déflationniste laisse penser qu’une augmentation progressive de ce taux à 0% fait sens.
Ce processus de relèvement pourrait intervenir en parallèle d’un maintien du programme de rachat d’actifs. Il permettrait au taux 2 ans allemand de se rehausser quelque peu et à l’euro de regagner en vigueur.

Ceci étant, l’inflation core, mesure clé dont tient compte la BCE, même si son objectif statutaire est l’inflation totale, est encore relativement faible, à 0,9%. Le consensus table sur une remontée à 1,1% en fin d’année mais cela reste bien en dessous de la cible de 2% de la Banque centrale.
Cette hausse des taux n’est donc pas acquise à l’heure qu’il est.

Quel impact la hausse des taux de la BCE pourrait-elle avoir sur l’euro ?

Difficile de le dire. Ce qui est avéré, c’est que le jour où la BCE a diminué son taux de dépôt en dessous de 0, l’euro valait autour de 1,40 dollar. Aujourd’hui, l’euro vaut 1,08 dollar.
Ainsi l’établissement du taux en territoire négatif a eu un effet massif sur l’euro malgré l’existence d’un excédent courant record.
De fait, la remontée du taux de dépôt pourrait entrainer un net renforcement de l’euro si, par ailleurs, la Fed n’accélère pas sa cadence.

Eu égard aux fondamentaux actuels, notre scénario central envisage pour l’heure une fourchette de fluctuation comprise entre 1,05 et 1,10.

Pensez-vous que la BCE touchera à son programme de quantitative easing cette année ?
Tout dépend de l’issue des élections présidentielles françaises. Si cette issue s’avère positive pour la zone euro, la BCE sera tentée de réduire le volume de ses achats sur fond d’un resserrement des spreads souverains. Si en revanche, le résultat est de nature à porter préjudice à la zone euro, la BCE n’hésitera pas à accroitre la quantité d’actifs achetés sur le marché.

De toute évidence la BCE s’efforcera de préparer le marché à sa décision d’ajustement.

Comment voyez-vous les taux longs évoluer dans la zone euro ?

Nous tablons sur un Bund 10 ans à 0,60% en fin d’année à partir de l’hypothèse d’un taux de dépôt de -0,40%. Si ce dernier venait à monter, assurément le Bund à 10 ans dépasserait les 0,60%. Il pourrait toucher les 0,75%.
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