"Quelle lecture avez-vous fait de la publication des dernières statistiques décevantes sur les commandes et la production industrielles, ainsi que sur les exportations en Allemagne ?
Ces baisses sont à relativiser. Si l’on considère l’état des commandes. Au mois d’août 2013, nous observions également une forte décrue par rapport au mois précédent. L’ampleur du repli cette année est cependant un peu plus importante.
La variation ne concerne pas tous les secteurs de l’économie, mais essentiellement les biens d’équipements à l’exportation vers la zone euro. Les biens de consommation, en revanche, affichent une bonne résistance. Le mouvement sur la production industrielle qui a également avant tout concerné les biens d’équipement a été influencé par le déséquilibre existant dans la répartition des jours de vacances entre juillet et août. Aussi si l’on opère une correction au niveau des variations saisonnières, la baisse de la production industrielle devient moindre.
Enfin, s’agissant des exportations, ceux-ci apparaissent en recul de 1% par rapport à août 2013 essentiellement du fait des pays hors Union européenne.

Les indicateurs avancés mettent en évidence une poursuite du ralentissement ?
Ces indicateurs étaient mal orientés depuis le début de l’année 2014. Il n’est pas étonnant de voir les entreprises allemandes afficher une moindre confiance à l’égard du climat actuel des affaires et des perspectives. Un certain nombre d’éléments ont contribué à éroder cette confiance : le conflit entre la Russie et l’Ukraine, les troubles dans les pays du Moyen Orient.
Les enquêtes menées auprès des consommateurs ont également affiché une dégradation de sentiment. Cependant la tendance défavorable semble s’être arrêtée.

Faut-il s’inquiéter de ces statistiques décevantes et de ces indicateurs avancés ?
Je ne le pense pas. Les aspects psychologiques sont très significatifs dans les sondages conduits en vue de la réalisation des indicateurs avancés.
Il y a lieu de s’attarder davantage sur les chiffres qui devraient paraitre d’ici la fin de l’année afin de se faire une opinion plus fondée. Les indicateurs de septembre, sortis tout récemment, sont déjà mieux orientés. Selon la Banque centrale allemande, la production industrielle aurait déjà repris en septembre. A ce stade, il me parait donc prématuré d’avancer un diagnostic définitif.

La probabilité de voir une récession technique se dessiner dans le pays vous semble-t-elle élevée ?
Non, même si la probabilité n’est pas nulle. Ceci étant, comme vous l’indiquez, il s’agirait très vraisemblablement d’une récession purement technique qui n’aurait donc pas vocation à s’installer.

Quel est votre scénario central sur l’évolution de la macroéconomie en Allemagne ?
Nous prévoyons une croissance modérée à la fois pour cette année et la suivante. Toutefois, avec une population qui diminue, même avec une dynamique ralentie, le revenu par habitant augmente.
Par ailleurs, les fondamentaux restent globalement bons. Le marché immobilier est sain, car n’ayant pas connu de bulle. Le coût du chômage est relativement faible. Les comptes publics et extérieurs sont bons.

Quel sera le principal moteur de la croissance ?
L’investissement et les exportations ne seront pas très dynamiques en raison de la croissance mondiale décevante, des risques géopolitiques existants, des incertitudes pesant sur l’économie des grands pays émergents.
La dépréciation du cours de l’euro ne devrait pas avoir grand effet compte tenu du positionnement plutôt haut de gamme des exportations.
In fine, la consommation devrait encore être le principal soutien à la croissance. Le niveau de chômage a beaucoup baissé. La fiscalité n’est pas très sévère. La mise en œuvre du salaire minimum devrait donner plus de pouvoir d’achat à certains ménages. De même en sera-t-il avec l’augmentation des retraites pour les mères de famille.

Quelle suite des évènements envisagez-vous pour la production manufacturière ?

La tendance à très court terme devrait rester modérée. Mais au-delà, l’appareil productif allemand dispose d’atouts comme son tissu solide de PME, une présence géographique étendue et de nombreux produits de niche à forte valeur ajoutée.

Anticipez-vous un plan d’investissement public massif ?
Je pense qu’à ce stade un vaste plan d’investissement public est loin d’être décidé. Des divergences sont apparentes entre les partis de la coalition à ce sujet.
Nous pourrions voir un tel plan être déployé si l’Allemagne venait à connaitre une chute de son activité. Dans un tel cas, avec un déficit quasi nul et une dette fortement réduite, le gouvernement aurait les moyens budgétaires d’accroitre ses dépenses notamment dans les infrastructures, dans l’innovation. Cependant les munitions disponibles ne seront utilisées, le cas échéant, que si Berlin l’estime utile pour obtenir un surcroît de croissance pour l’avenir.

Je ne pense pas que la décision de ce plan sera conditionnée par des discussions avec des pays tiers comme la France. Même si ce plan devait avoir lieu, il n’aurait pas de grandes retombées sur les pays voisins.

Le ralentissement actuel de la croissance en Allemagne est-il de nature à alarmer sur le plan microéconomique ?
Nous ne tablons pas sur une aggravation du ralentissement en Allemagne. Nous voyons au pire une stabilisation, au mieux un regain d’activité.
Nous ne devrions pas ressentir d’effets négatifs au niveau des entreprises. Entre janvier et juillet 2014, nous avons eu une décrue de 10% du nombre de défaillances d’entreprises allemandes-soit 14 143- sur une base annuelle- avec, toutefois, parallèlement, une hausse des passifs.
Les entreprises industrielles allemandes ne rencontrent pas, globalement, de problème de liquidité. Elles disposent de capacités de financement qui leur sont propres. C’est la raison pour laquelle elles ne sollicitent pas beaucoup le crédit alors que les conditions proposées par les banques restent avantageuses.
Nous pouvons donc estimer qu’elles sont en mesure de faire face au trou d’air actuel. La baisse des défaillances des entreprises allemandes pourrait ralentir et au pire cesser.

Le secteur bancaire constitue-t-il une préoccupation du fait de la mise sous tutelle de l’Etat de nombreuses landesbanken ?
Je ne le crois pas. Selon la Banque publique de développement, les critères d’octroi des prêts dans le pays n’ont pas été durcis. L’offre est plus que disponible.

Le risque de dérapage de l’économie allemande est donc pour vous très faible ?
Ce dérapage s’est déjà manifesté. Je ne vois pas trop ce qui pourrait empirer la situation si ce n’est une aggravation de la crise en Ukraine ou dans le proche Orient.

Quid des répercussions d’une mise à mal plus aigüe des principaux partenaires de l’Allemagne au sein de la zone euro que sont la France et l’Italie ou au sein de grands pays émergents comme la Chine ?

Cette éventuelle détérioration aurait bien entendu une incidence sur les exportations allemandes et sur la croissance allemande in fine. Pour le moment, les chiffres du commerce extérieur des huit premiers mois de l’année rendent compte d’un excédent extrêmement confortable de 137 milliards, en hausse par rapport à 2013 de 10 milliards d’euros.
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