"Quels commentaires vous inspire aujourd’hui le risque de Brexit, autrement dit d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ?
A mon sens il y a encore une probabilité de 70% que le scénario du Brexit ne se concrétise pas. La campagne basée sur la peur, mettant en évidence les risques pour l’économie du Royaume-Uni d’un Brexit devrait l’emporter comparativement à ce qui s’est produit en 2014 avec le référendum en Ecosse.
Néanmoins, nous pouvons être inquiets par le fait que les partisans du Brexit ont présentement le vent en poupe. On observe une hausse des personnes qui se prononcent en faveur de cette direction. En cela je dirai que doucement la probabilité que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne se matérialise converge vers les 50%.

Diriez-vous que l’accélération de la baisse de la livre sterling sur le marché des devises reflète cette convergence ?

Absolument. Face à cette hausse de la probabilité que le Brexit ait lieu, les opérateurs cherchent à sortir des actifs libellés en sterling pour se protéger.

La poursuite de la dépréciation du sterling peut-elle être déterminante quant à l’issue du référendum ? Dit autrement peut-on envisager qu’à partir d’un certain seuil atteint par la parité sterling-dollar, les dés sont jetés ?
Je ne le pense pas. Je suis d’avis qu’il sera difficile d’avoir une réponse tranchée avant que le référendum n’ait effectivement lieu. Cela devrait se jouer au coude à coude jusqu’au dernier moment.
S’agissant de la variation du sterling, on sait que le marché est souvent enclin à se positionner de manière technique. Le fait de voir la livre suivre un mouvement baissier incite d’autres opérateurs à prendre le train en marche et à initier ou renforcer des positions vendeuses sur la devise. Ainsi il ne parait pas faire sens de penser que parce que la parité sterling dollar aura atteint un certain seuil à la baisse, cela signifiera forcément que le résultat du référendum sera négatif. Un retournement peut très bien se faire rapidement consécutivement à un discours marquant au cours des derniers jours.

Les opinions sont divergentes sur les risques sous jacents à une sortie du Royaume-Uni de l’UE. Certains observateurs considèrent qu’un détachement pourrait être profitable au processus d’intégration du reste de l’Union, singulièrement au sein de la zone euro ?

Cet argument peut s’entendre. Mais je crains que ce ne soit pas celui qui prévaudra à court et moyen terme. La montée des pressions nationalistes dans divers pays européens militent dans le sens contraire. L’ouverture de la voie de la sortie de l’Union européenne par le Royaume-Uni devrait créer plus d’instabilité au sein de la zone euro.

Le lien qui unit le Royaume-Uni à l’UE n’est pas de même nature que celui qui lie un des Etats membres de la zone euro à l’union monétaire ?

La problématique n’est pas tant celle d’une sortie de la Grèce ou de l’Italie de la zone euro. Elle est plutôt le fait de la création de conditions favorables à l’essor d’un discours nationaliste. Le précédent que pourrait créer le Royaume-Uni donnera du grain à moudre aux nationalistes dès qu’une situation difficile apparaitra dans un pays donné. La capacité de blocage des réformes structurelles envisagées par les gouvernements pourrait s’en trouver renforcée ce qui sera de nature à alimenter un sentiment d’incertitude chez les opérateurs de marché. In fine, cela pourrait entrainer des couts significatifs qui se refléteraient notoirement par une appréciation des taux souverains.

C’est sans compter l’appui de la Banque centrale européenne qui a beaucoup entrepris et qui s’est engagée à intervenir davantage ?

La BCE rachète déjà tous les mois 60 milliards d’euros d’actifs. Elle pourrait augmenter sa force de frappe à 80 milliards d’euros mais la BCE n’a pas vocation à agir éternellement.
Ainsi nous pourrions avoir au même moment une BCE à bout de souffle, et des pressions de remise en cause de l’intégrité de la zone euro.

Quid de l’ampleur de la problématique du coté du Royaume-Uni ?

L’incidence d’une sortie me parait moins douloureuse du coté du Royaume-Uni. Il sera bien entendu affecté dans un premier temps par les craintes entourant le devenir du Royaume-Uni suite à cette sortie. Des entreprises voudront probablement se délocaliser. Cependant, dans un second temps, le gouvernement britannique s’empressera de négocier de nouveaux accords commerciaux qui lui permettront de vite se remettre à flot. La démarche opportuniste du Royaume-Uni pourrait s’avérer in fine productive compte tenu de la position stratégique du pays, et de son lien étroit avec les Etats-Unis.
Ce rapport de force en faveur du Royaume-Uni est clairement perceptible dans la manière dont on eu lieu les négociations avec ses autres homologues de l’Union européenne.

Le premier ministre britannique David Cameron, de même que le chef de l’UE ne cessent de marteler qu’ils n’ont pas préparé de plan B à mettre en œuvre si la sortie était actée. Pensez-vous que tel soit réellement le cas ?

Je n’imagine pas du tout qu’il n’existe pas de plan B. Ce serait une grave erreur politique.

Qu’est ce qui, selon vous, pourrait faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre ? Pensez-vous que certaines voix qui ne se sont pas encore fait entendre pourraient influencer la décision du peuple britannique ?

Il n’est pas évident dans un pays comme le Royaume-Uni qui est un pays d’ouverture, des personnalités importantes persistent à endosser la posture d’un repli sur soi. Ce faisant, j’ai le sentiment qu’une fois arrivée à la dernière ligne droite les partisans d’un maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE sauront se rendre plus audibles.
Au-delà des éminents protagonistes britanniques qui se sont quasiment tous exprimés, une voix qui pourrait avoir du poids dans la balance est la voix américaine. Le discours officiel de l’administration Obama consiste à dire qu’il faut que le Royaume-Uni reste au sein de l’UE. Les principaux candidats à la campagne présidentielle ne sont pas prononcés sur le sujet. Le cas échéant, si Hillary Clinton venait à prendre la parole sur la question, celle-ci pourrait être écoutée avec attention, ce d’autant plus si de manière surprenante elle encouragerait le peuple britannique à voter dans le sens d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE au profit d’un rapprochement de la péninsule britannique avec les Etats-Unis.

Dans le cas où le Brexit avait bel et bien lieu, à l’issue du référendum du mois de juin, quelles pourraient être les répercussions immédiates sur les marchés financiers ?

Les marchés ayant tendance à anticiper les évènements, l’essentiel des contrecoups sous jacents au Brexit devraient se faire sentir sur le marché avant la connaissance de l’issue du référendum.
Quand bien même l’option du Brexit était choisie, quasi instantanément nous aurons des discours rassurants de part et d’autre des parties prenantes ce qui aura pour effet d’apaiser quelque peu la nervosité des opérateurs sur les marchés. Nous aurions ainsi une logique « buy the rumor, sell the news ».

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