"Quel regard portez-vous sur le secteur bancaire européen à ce stade de l’année ?
Nous sommes neutres à négatifs sur le secteur. Celui-ci a très bien performé en 2013. L’Eurostoxx Banques a grimpé de 26%. Le marché nous semble à présent bien valorisé à près d’1 fois l’actif net pour une rentabilité espérée de 9% l’année prochaine.

Plusieurs zones d’ombre sont identifiées. Les dernières publications ont conduit à une révision de 2% à la baisse des estimations des bénéfices pour 2014 alors que le segment de marché est en hausse de près de 9%, si l’on considère l’Eurostoxx Banques. Une réévaluation négative a aussi été entreprise pour 2015.

L’audit de la qualité des actifs contenus dans le bilan des banques envisagé par la Banque centrale européenne risque de peser en termes de provisions dans les publications à venir. Nous avons récemment pu voir la banque italienne Unicredit essuyer une perte de 15 milliards sur le trimestre en raison d’une mise en provisions additionnelle. La banque a notamment augmenté le stock de créances non performantes et le niveau de couverture de ces créances de 45% à 52% pour mieux passer l’exercice de la BCE.
Peu de banques sont au niveau de taux de couverture d’Unicredit, de plus de 50%. Seules Crédit Agricole et Santander affichent un taux supérieur. Si toutes les banques européennes devaient appliquer un taux de couverture de 52%, cela supposerait 80 milliards d’euros de provisions supplémentaires à mettre sur la table pour le secteur.
La BCE n’a pas encore précisé quel taux de couverture elle souhaiterait voir être mis en œuvre.

Le risque juridique reste important pour le secteur : nous avons déjà connu en 2013 la manipulation du taux Libor, les transactions frauduleuses sur le marché des devises, les relations commerciales entretenues avec des clients de pays interdits aux Etats-Unis...

Un risque émergent est à garder à l’esprit pour les banques espagnoles exposées à l’Amérique latine, pour HSBC et Standard Chartered grandement positionnés en Asie, et pour Société Générale, Unicredit et KBC qui ont une activité non négligeable en Europe de l’est.

Le modèle des banques d’investissement est compliqué à comprendre. Les résultats sont en baisse.

Il y a une incertitude sur le niveau optimal de fonds propres pour les banques ?

La mise en conformité avec le ratio core tier 1 selon les normes de Bâle III est satisfaisante pour presque toutes les banques. L’audit devrait obliger les banques les plus fragiles à procéder à des augmentations de capital. Depuis le début de l’année, nous avons eu quatre opérations : Banco Sabadell en Espagne, Banco Popolare en Italie, Raiffeisen en Autriche, et Piraeus Bank en Grèce. Il est également possible que s’ajoute à la liste Bank of Ireland durant le premier semestre.

Les contraintes réglementaires ne sont pas selon vous stabilisées ?
Les banques pensaient avoir terminé le travail en ayant atteint un niveau de capital satisfaisait. Il leur a également été demandé de respecter un ratio de levier de 3%. Ce ratio a été allégé dans la mesure où le champ des titres éligibles a été élargi. En plus du monétaire et des actions, il est possible d’avoir recours à des obligations de qualité pour répondre à cette exigence de ratio.
Ce ratio limite la capacité d’octroi des crédits des banques. Une hausse trop forte du volume de crédits ayant pour conséquence une dégradation du ratio.

La Fed a voté le mois dernier une loi qui élève le ratio de levier de 3% à 5% pour les banques étrangères qui opèrent aux Etats-Unis, dont le total du bilan dépasse 50 milliards de dollars. Cela va essentiellement concerner Deutsche Bank et Barclays. L’application est demandée à partir de 2016. Les institutions auront jusqu’en 2018 pour se mettre à niveau.

Les banques françaises sont elles concernées ?
Non.

Les taux courts sont une contrainte importante…
Les banques les plus en difficulté ont la possibilité de se refinancer à moindre coût. Cependant, les banques les plus solides ne sont que faiblement rémunérées de part les dépôts de la liquidité excédentaire qu’elles font. La situation est particulièrement pénalisante pour l’Italie où il y a beaucoup de dépôts.

Peut-on considérer que le secteur bancaire devient de plus en plus un secteur où le rendement est un déterminant phare comme les utilities et les télécoms ?

Absolument, en raison de la mise sous contrainte du secteur par les gouvernements, qui ont eu très peur après la déroute de Lehman Brothers, et ne veulent plus avoir à renflouer une quelconque institution. Les divers ratios de solvabilité, de liquidité, de levier, limitent fortement le potentiel de croissance des banques. Ainsi, la rémunération des actionnaires devient-elle un sujet majeur pour maintenir un cours de bourse qui fasse sens.

Quel est le principal risque que vous surveillez  pour cette année ?
Le marché est pricé avec beaucoup d’espoir sur le plan économique dans les pays du sud et en France. Le rallye s’est surtout fait par une expansion des multiples. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, nous pourrions avoir une correction significative.
Les provisionnements liés à l’audit des actifs sont vraisemblablement sous estimés. Ils pourraient manquer quelques dizaines de milliards d’euros ce qui ferait des profits en moins. Le PE à 12, pourrait monter à 13 ou 14, ce qui serait intenable.

A moyen terme, début 2015, vous êtes plus positifs sur les banques ?
La crise des émergents devrait être derrière au second semestre.

L’audit et les stress tests vont apporter aux investisseurs une meilleure visibilité sur les bilans. Les banques vont être poussées à avoir un niveau de provisions plus élevé.

La mise en place dès cet été d’un superviseur bancaire unique, la BCE, le fondement d’une union bancaire, sera favorable pour le secteur. Les ministres des finances ont jusqu’en avril, avant les élections du Parlement européen, pour se mettre d’accord à propos du mécanisme de résolution bancaire. Nous sommes d’avis qu’ils y parviendront.

Les coûts de refinancement devraient s’harmoniser. Les règles de provisions devraient s’uniformiser. Aujourd’hui il y a des difficultés à comparer les niveaux de provisions dans la mesure où les pays n’utilisent pas le même calcul de pondération des risques. Les pays les plus durs, comme la Suède qui a vécu un krach immobilier, appliquent un ratio de fonds propres de 15% pour couvrir le risque immobilier, contre 5% en France parce qu’il y a une garantie sur les biens. Cette différence est constatée dans d’autres dimensions de l’activité bancaire. L’Espagne prévoit des provisions génériques pendant les bonnes années, dans le cas où il y aurait une crise économique mais pas les autres Etats membres. Les actifs fiscaux différés ont une durée de vie illimitée en Italie et en France, alors qu’ils ont une durée de vie limitée en Espagne.

Ces différences d’approche devraient être mises à plat par l’union bancaire.

Ne craignez-vous pas de mauvaises surprises liées aux stress tests ?
Non. Nous pensons que tous les grands établissements réussiront l’exercice car ils auront du temps pour s’ajuster.

D’aucuns pensent que nous pourrions avons des défauts pour montrer une certaine exemplarité et apporter plus de crédibilité ?

Un défaut d’une banque peut sous entendre le rachat par une autre. En Italie Ubi Banca, la meilleure des banques populaires, et Intesa sont deux importants prédateurs attendus dans le jeu de la consolidation du secteur, à l’instar de ce qui s’est déroulé en Espagne. Les rapprochements seront favorables à une remontée des marges. Moins d’acteurs signifiant une moindre concurrence et une hausse des parts de marché.

A lire également la seconde partie de l'interview :

"Crédit Agricole, Société Générale, Natixis : nous avons une préférence pour le secteur bancaire français"


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