"Peut-on dire que le dividende est devenu un critère plus important aujourd’hui dans une stratégie d’investissement sur le marché des actions ?
De fait, la faiblesse des taux amène les investisseurs à s’intéresser de plus en plus aux actions à dividende. Depuis un an et demi le dividende des actions rapporte davantage que le taux d’intérêt à dix ans. La dernière fois que nous avons eu une telle configuration, c’était à la fin des années 1950, au début des années 1960.

Ceci étant, le dividende est rarement à lui seul un bon critère d’entrée ?
Sur une période longue (25 ans), la performance des indices avec dividende représente le double de la performance d’un indice sans dividende. Le dividende est en cela un critère important à considérer. Mais il ne doit pas être le seul.
Dans le cas où une société est en mesure de servir un dividende régulier, le dividende sera important dans l’évaluation mais le cours de bourse sera grandement influencé par le niveau du taux d’intérêt. C’est typiquement le cas des sociétés immobilières.
Par ailleurs, le dividende est loin d’être garanti. C’est pourquoi souvent le versement d’un important dividende s’accompagne d’un cours de bourse relativement affaibli car les investisseurs doutent de la pérennité de ce dividende. Cela a longtemps le cas d’Orange.

En plus de ne pas être le seul, le dividende doit être un critère de deuxième niveau ?
Absolument. Il ne doit pas être la priorité. Ce qui importe c’est de déterminer avant tout si la société considérée se trouve sur le bon marché, est bien gérée, est capable de prospérer dans les années à venir. Dans le cas où le cash flow de cette société est suffisant pour lui permettre de verser un dividende, ceci constitue un plus non négligeable.
Toutefois, le réemploi du cash pour assurer le développement de la société, peut s’avérer plus fructueux. Miser sur la plus value générée par l’appréciation du cours de bourse d’une société qui s’inscrit dans un trend de croissance soutenu mais qui ne verse pas de dividende est plus intéressant que miser sur un dividende élevé versé par une société en difficulté qui voit son cours de bourse se déprécier.
La meilleure combinaison est une société qui croit et qui en plus verse un dividende relativement soutenu. Tel est le cas d’Air Liquide, de L’Oréal, de Pernod Ricard, de Sanofi en France ou encore Procter & Gamble, Cola Cola aux Etats-Unis. Le dividende distribué par ces sociétés est compris entre 2% et 3%.

Quatre secteurs distribuent traditionnellement un dividende élevé, le secteur bancaire, le secteur des télécoms, le secteur des utilities et le secteur des foncières. De quelle manière êtes vous positionnés sur ces secteurs ?
Les cours de bourse des foncières ont considérablement progressé ces dernières années. Du fait du fort repli des taux d’intérêt, le rendement de leur dividende situé entre 3% et 4,5% reste attrayant.

Au sein du secteur des utilities, la lecture n’est pas uniforme. Nous plébiscitons les sociétés qui exploitent un réseau (d’électricité, de distribution de gaz)- activité très réglementée assise sur un modèle d’activité relativement stable- qui se caractérisent par un versement régulier du dividende et qui jouissent en cela d’une certaine confiance du marché. Nous détenons des valeurs comme Terna, Stam en Italie, Red Electrica, Enagas en Espagne, National Grid au Royaume-Uni. Nous aimons aussi les opérateurs de satellite comme Eutelsat ou SES en raison des fortes barrières à l’entrée dans cette activité et des longs contrats dans lesquels elles sont engagées qui leur garantissent une certaine constance dans la rentabilité.

Votre engouement est bien moins prononcé pour les producteurs d’électricité ou de gaz comme GDF Suez ou EDF ?
Effectivement. La fluctuation des cours des matières premières, associée à la variabilité de la réglementation et au risque de modification des modes de production et aux accidents qui peuvent survenir, nous poussent à douter de la capacité de ces sociétés à maintenir leur dividende. C’est ce qui explique d’ailleurs le mauvais comportement de ces titres en bourse.
La même problématique vaut pour les valeurs pétrolières. Une vive incertitude porte sur leur aptitude à conserver intact leur dividende.
Nous sommes pour notre part peu investi sur ces différents segments d’activité.

Quid du secteur des télécoms et du secteur bancaire ?

Le secteur des télécoms verse beaucoup moins de dividende que par le passé. En cela le rendement dans sa globalité n’est plus autant éloigné du rendement du marché dans son ensemble. Ce qui compte à présent pour les valeurs télécoms c’est la manière dont l’environnement réglementaire et concurrentiel va peser sur leur rentabilité. Eu égard à cette considération, nous sommes très exposé à ce secteur. Nous détenons Orange, Vodafone, British Telecom, Teliasonera, Deutsche Telecom, Telefonica.
S’agissant du secteur bancaire, le versement du dividende est totalement aléatoire. En apparence le dividende est élevé mais la capacité à le verser réellement est très douteuse. Nous n’avons peu de valeurs bancaires en portefeuille.

En dehors de ces secteurs, d’autres sociétés distribuent en apparence des dividendes élevés comme TF1 et M6 ou encore Neopost ? Qu’en pensez-vous ?

La montée en puissance d’Internet, le questionnement autour des droits d’achat des évènements sportifs ou des films alimentent un certain scepticisme sur l’évolution de la santé de M6 et de TF1. Aussi le dividende élevé ne porte pas le cours de bourse.
Cela fait plusieurs années que le dividende de Neopost est élevé sans que l’on constate un décollage du cours de bourse. Avec Internet, beaucoup d’investisseurs s’attendent à ce que l’activité de courrier soit très affectée. La direction s’efforce d’expliquer que la société peut redéployer ses activités sur d’autres pôles plus rentables. Cependant les déclarations ne convainquent pas.
Est-ce à dire qu’il y a lieu de se méfier systématiquement des dividendes élevés ?
Cette méfiance est fondée la plupart du temps.

Quel regard portez-vous sur la surchauffe observée sur le segment des valeurs à haut dividende aux Etats-Unis. Pensez vous que nous puissions connaitre le même phénomène en Europe du fait du quantitative easing de la BCE qui suppose un affaiblissement durable des taux d’intérêt et une abondante injection de liquidité ?
C’est clairement l’interrogation posée aujourd’hui. Comme j’ai pu l’indiquer en amont de notre conversation, le niveau très bas des taux d’intérêt pousse les investisseurs à rechercher des valeurs de rendement, et notamment des actions à dividende élevé. Nous pourrions craindre qu’une hausse des taux d’intérêt n’amène ces mêmes investisseurs à opérer le chemin inverse de manière précipitée, autrement dit à sortir de ces actions à dividende pour se rabattre sur la sphère obligataire.
Ceci étant ces taux d’intérêt sont destinés à rester bas encore longtemps. Les perturbations sur les marchés ne devraient pas se sentir avant quelques temps. Les tensions devraient, par ailleurs, être le moins perceptibles sur les actifs les plus stables et les plus résilients.

Peut-on admettre que la multiplication des ETF conçus sur les actions à haut dividende tendra à exacerber ces tensions ?
Il est indéniable que ces instruments peuvent entraîner des distorsions sur les marchés en facilitant des stratégies parfois très spéculatives. Nous faisons en sorte de ne pas nous laisser emporter par le mouvement et de diversifier suffisamment les portefeuilles pour ne pas se retrouver sur un segment étriqué ou une thématique éphémère.

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