"Que retenez-vous de l’intervention de la présidente de la Réserve fédérale américaine, Janet Yellen mercredi soir ?
L’opération communication de Janet Yellen a été réussie. La principale difficulté était de donner au marché la visibilité nécessaire sur la manière dont la Banque centrale allait sortir de son important programme d’assouplissement quantitatif lancé en 2012. Les investisseurs craignaient que la fin de l’argent facile conduise à un scénario similaire à celui de février 1994, autrement dit à une véritable hécatombe.
Janet Yellen a en cela parfaitement suivi le process mis en place par Ben Bernanke consistant à donner plus visibilité sur l’avenir afin d’éviter des mouvements très erratiques sur les marchés.
La fin du quantitative easing annoncé a eu d’autant moins d’effet défavorable qu’il était largement anticipé depuis décembre 2013 et qu’il ne suppose pas une rupture totale.

Que voulez-vous dire ?
S'il n’y aura plus d’injection nette, les revenus et remboursements des emprunts détenus par la Banque centrale continueront à être réinvestis sur le marché. Le robinet ne sera donc pas totalement fermé.

De quelle manière ces tombées seront réinvesties ?
La Fed se garde une marge de manœuvre pour aller où elle le souhaite.

D’aucuns spéculent sur l’éventualité d’un programme de quantative easing 4. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que la Fed n’a pas du tout envie de déployer un nouveau programme de quantitative easing. La politique de l’argent facile mise en place répondait à un besoin de l’économie qui a priori avait besoin d’un stimulus monétaire.
Concrètement, le QE a eu pour principal effet de faire monter le prix des actifs financiers, en particulier des actifs boursiers. La crainte de Madame Yellen est de continuer à nourrir des bulles qui finiront par exploser.

L’autre versant de la communication de Janet Yellen intéresse le relèvement des taux d’intérêt...

Effectivement. Janet Yellen a indiqué que sur le plan des taux d’intérêt, elle agirait de manière pragmatique en fonction de l’évolution économique aux Etats-Unis. A juste titre, la présidente de la Fed n’a pas voulu se lier à un indicateur particulier comme le niveau du taux chômage ou de l’inflation.

Qu’envisagez-vous dans votre scénario central ?

Je pense que les taux de la Fed monteront plus tôt que prévu, probablement en mars 2015. L’économie américaine est à présent quasiment auto suffisante. L’institution monétaire veut par ailleurs se recréer une marge de manœuvre pour pouvoir gérer une nouvelle crise à venir. Si la Fed conserve les taux bas, à 0,5%, elle ne pourra pas tellement agir.

A quel rythme voyez-vous les taux remonter ?
Les taux directeurs devraient remonter entre 3% et 4% d’ici 2017. Nous devrions constater une rythmicité similaire à celle qui a prévalu en juin 2005, autrement dit une ascension graduelle de 0,25 points de base tous les deux à trois mois.

De quelle manière êtes-vous positionnés sur les actifs américains ?

Nous considérons que les actions américaines ont parcouru largement leur chemin. Le S&P est passé de 400 points en 1995 à près 2000 points aujourd’hui. En 2007 nous étions trois fois plus bas. L’élastique est tiré à son maximum. Toutes les bonnes nouvelles ont été largement intégrées.
Nous sommes dorénavant confrontés à un risque important de correction.
Par conséquent, nous sommes plutôt vendeurs d’actions américaines aujourd’hui.

Quid des taux américains ?
Dans le sillage de la remontée des taux courts, les taux longs américains devraient se tendre mais dans une ampleur moindre qu’imaginé par le marché. Les investisseurs préféreront investir sur les taux longs américains que sur les taux longs allemands qui sont proches de 0 et qui devraient être impactés négativement par la dépréciation de l’euro. Sans compter le fait que la croissance en Allemagne connait un ralentissement.
Aussi nous sommes positionnés sur les taux longs américains mais dans une mesure limitée.
Nous nous sommes également placés sur du crédit américain très court car nous sommes d’avis que là aussi les spreads se sont énormément resserrés et n’offrent plus beaucoup de potentiel. Le HY américain a performé de 10% par an depuis six ans.

Il est difficile de détacher la lecture de la politique monétaire de la Fed de celle de la BCE. Le Conseil des gouverneurs doit se réunir jeudi 6 novembre. Mario Draghi devrait prendre la parole dans la foulée. Qu’en attendez-vous ?
Je n’attends rien. Je pense que nous sommes entrés avec la BCE dans une nouvelle phase qui est celle du bluff.
Le 4 septembre, le président de la BCE, Mario Draghi a fait état du lancement d’un programme d’achat axé sur les ABS et les obligations sécurisées. Or, le marché des ABS représente aujourd’hui 100 milliards d’euros, ce qui n’est pas important en relatif. Le processus de mise place du programme de la BCE sur ces titres sera très long. L’impact favorable devrait donc mettre du temps à se faire ressentir. La même logique vaut pour les obligations sécurisées.

Ce qu’il y a lieu de prendre en considération c’est que les Etats-Unis fonctionnent sur l’effet richesse alors que l’Europe fonctionne sur l’effet crédit. La désintermédiation est bien plus vive de l’autre coté de l’Atlantique que de ce coté-ci. De ce fait, l’intervention sur les marchés de la Fed a plus d’influence que celle de la BCE.

Plusieurs mesures ont adoptées par la BCE-baisse des taux directeurs, TLTRO, rachat d’ABS et d’obligations sécurisées-pour faire redémarrage le moteur du crédit dans la zone euro ?
Je ne table pas sur ce redémarrage.

La volonté est affichée par la BCE de donner plus de liquidité aux banques pour accroitre leur capacité d’agir. Cependant il y a déjà trop de liquidité dans le système à travers le monde y compris dans les zones émergentes. Booster l’offre de crédit au sein de la zone euro n’est pas la solution clé dès lors que la demande n’est pas au rendez vous. Les entreprises rechignent à investir car les carnets de commandes ne sont garnis. Le taux d’utilisation des capacités de production est bas. Les consommateurs craignent quant à eux de dépenser soit parce qu’ils sont très endettés comme aux Pays-Bas soit parce qu’ils n’ont pas confiance en l’avenir à l’instar de ce qui se déroule en France. Il n’est pas anodin de relever que le taux d’épargne des Français a augmenté de 13,7% à 15,8%.

Pourtant certains estiment que la deuxième opération TLTRO de décembre devrait être couronnée par plus de succès que celle du mois de septembre ?
Le montant du TLTRO de septembre de 82 milliards d’euros dont la moitié servait à refinancer des anciens prêts a été la conséquence des AQR et des stress tests qui ont empêché les banques d’y participer abondamment. Il est fort possible que le montant des prêts souscrits à l’occasion de la deuxième opération début décembre soit bien plus conséquent. Cependant dans l’absolu les banques n’ont pas besoin d’un financement excessif car il manque des débouchés.

Vous ne jouez donc pas la thématique des actifs européens contre actifs américains en raison du différentiel de politique monétaire ?
Non. Nous avons bien trop de soucis en Europe de nature économique, politique, et sociale.

La baisse de l’euro ne pourrait pas constituer une aide pour les entreprises européennes ?
L’élasticité de l’euro sur le chiffre d’affaires des entreprises européennes est quasi nul, de 0,2%.
Même si l’on arrive à une parité euro dollar de 1,20, cela n’aura pas grand effet sur les fondamentaux des sociétés.

Est-ce à dire que vous n’êtes pas du tout positionnés sur les actifs européens ?
Légèrement, à hauteur de 10% de nos encours. Nous sommes essentiellement sur une démarche tactique
Nous avons, par ailleurs, des taux courts.
Nous ne sommes en revanche pas sur les taux longs, y compris ceux des pays de la périphérie qui sont anormalement bas. Le niveau des taux à dix italiens est le plus bas depuis le 13ème siècle.

Quelle thématique aimez-vous sur les actions ?
Nous avons un moment été fortement présents sur le secteur bancaire que nous jugions à certains égards injustement chahuté spécialement s’agissant de certains établissements ayant des solides structures bilancielles. Nous avons encore quelques titres pour lesquels nous tablons sur des perspectives positives, comme Natixis en France ou d’autres groupes en Italie ou en Espagne.
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