Tokyo (awp/afp) - La Banque du Japon (BoJ) a repoussé une énième fois jeudi le délai pour atteindre son objectif de 2% d'inflation, désormais attendu au mieux en 2019/20, un aveu d'impuissance qui éloigne la perspective d'un resserrement monétaire.

Dans son dernier rapport trimestriel, elle anticipe désormais une hausse des prix à la consommation de seulement 1,1% sur l'exercice d'avril 2017 à mars 2018, puis de 1,5% l'année suivante.

La cible de 2%, que le gouverneur Haruhiko Kuroda espérait initialement atteindre en 2015, ne sera donc pas concrétisé avant 2019/20, au plus tôt.

Depuis les précédentes estimations, formulées en avril, "l'inflation s'est accélérée, portée par les prix de l'énergie. Mais si l'on exclut ces effets, les récents développements ont été plutôt faibles", souligne la BoJ. Elle invoque "la prudence" des entreprises, réticentes à augmenter les salaires, et des ménages, après plus de deux décennies de déflation.

Il y a matière à espoir cependant, note la banque centrale, car l'économie se porte mieux, ce qui l'a incitée à légèrement augmenter ses projections de croissance (+1,8% en 2017/18, puis +1,4%).

- Statu quo monétaire -

L'archipel a montré ces derniers mois des signes positifs: de solides exportations, des entrepreneurs plus confiants, une consommation des ménages qui a stoppé sa chute et des investissements publics, en particulier dans la construction, dopés par la perspective des jeux Olympiques de Tokyo en 2020.

"Si la Banque du Japon est davantage optimiste sur l'économie, la décision d'abaisser encore ses prévisions d'inflation souligne qu'elle ne procèdera pas de si tôt à un tour de vis monétaire", a commenté Capital Economics dans une note.

La BoJ a en effet promis de ne pas relâcher la pression avant de parvenir à une hausse des prix de 2%.

Elle a ainsi reconduit jeudi, à l'issue d'une réunion de deux jours, son massif programme de rachat d'actifs (actuellement de 80.000 milliards de yens par an, soit 615 milliards d'euros), en le modulant pour que le taux des obligations d'Etat à 10 ans se situe autour de zéro.

Ce dispositif, qui vise à inonder les circuits de liquidités pour faire repartir le crédit, les prix, et la croissance, est complété par des taux négatifs, maintenus à -0,1%.

Aucun des 43 analystes interrogés par l'agence financière Bloomberg n'avait pronostiqué de changement, et quasiment aucun n'en envisage avant la fin du mandat du gouverneur Kuroda en avril 2018.

- L'inconnue Abe -

Ce nouveau délai n'est pas une surprise. "La BoJ a déjà repoussé l'échéance plusieurs fois", a rappelé Masaaki Kanno, économiste chez Sony Financial Holdings et ancien membre de la BoJ, interrogé sur Bloomberg TV. Depuis le lancement de son offensive, "quatre années ont passé et il n'y a aucun signe de frémissement de l'inflation".

La banque centrale risque d'assécher le marché des obligations d'Etat avant même d'apercevoir sa cible, a-t-il averti. Au fil des ans, son portefeuille d'actifs a tellement gonflé qu'il avoisine aujourd'hui la taille du produit intérieur brut (PIB) japonais.

La Banque du Japon est à la traîne de ses homologues dans la sortie des politiques peu orthodoxes mises en place pour revigorer une économie restée atone après la crise financière de 2008-2009. La Réserve fédérale américaine (Fed) est déjà bien engagée dans la voie du resserrement monétaire, tandis que la BCE a commencé à préparer les marchés à une inflexion. Son président Mario Draghi doit s'exprimer dans la journée, après un conseil des gouverneurs réuni à Francfort (Allemagne).

Au Japon, des évolutions monétaires pourraient cependant intervenir dans les prochains mois si le chef du gouvernement Shinzo Abe, dont la cote de popularité est au plus bas, devait quitter son poste.

"Si l'exécutif mené par Abe continuait à perdre ses soutiens, conduisant à un changement de Premier ministre, nous pensons que cela pourrait avoir une influence sur l'assouplissement monétaire non conventionnel qui se trouve au coeur des abenomics", stratégie de relance lancée fin 2012 par M. Abe, relève Tetsufumi Yamakawa, analyste de Barclays.

Même si la banque centrale est statutairement indépendante, ses membres ne peuvent ignorer totalement les contingences politiques ni les décisions budgétaires.

afp/al