* Sous la pression, l'exécutif de Hong Kong a suspendu son projet sur les extraditions vers la Chine

* Les manifestants exigent le retrait pur et simple du texte et le départ de Carrie Lam

* Pékin aurait désormais de sérieux doutes sur les capacités de la chef de l'exécutif régional (Actualisé avec excuses de Lam)

par Anne Marie Roantree et Alun John

HONG KONG, 16 juin (Reuters) - Au lendemain de la suspension du projet de loi contesté sur l'extradition, des centaines de milliers de personnes sont de nouveau descendues dimanche dans les rues à Hong Kong pour appeler au retrait définitif de ce texte et à la démission de la chef du gouvernement hongkongais, Carrie Lam.

Vêtus de noir, tenant pour certains des oeillets blancs à la main, ils ont applaudi avec force les appels à sa démission relayés par haut-parleur.

Le cortège a quitté en début d'après-midi Victoria Park, le lieu de rassemblement, en direction du siège du gouvernement. Les manifestants de tout âge ont formé une marée humaine qui a bloqué les rues, les passerelles et les stations de métro du centre financier de Hong Kong, exprimant leur colère contre Carrie Lam et contre les forces de l'ordre qui sont intervenues brutalement mercredi dernier.

Des secouristes ont pris en charge des manifestants pris de malaise sous l'effet de la chaleur régnant sur Hong Kong, où le mercure frôlait les 30°C.

S'efforçant d'apaiser les contestataires, Carrie Lam a présenté ses excuses "humbles et sincères" au lendemain de la suspension pour une durée indéterminée du projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine qui a soulevé une vague de contestation dans l'ancienne colonie britannique.

Le texte, qui aurait concerné les sept millions d'habitants de la "région administrative spéciale" mais également les ressortissants étrangers et chinois résidents ou de passage, était perçu par de nombreux Hongkongais comme une menace pour l'état de droit garanti dans le territoire en vertu du principe "un pays, deux systèmes" qui a présidé à la rétrocession du territoire à la Chine, en 1997.

Près d'un million de personnes s'étaient rassemblées dimanche dernier pour demander la suspension de ce texte, la plus grosse manifestation qu'ait connue Hong Kong depuis les rassemblements ayant dénoncé en 1989 la répression du mouvement pro-démocrate de la place Tiananmen.

Selon le décompte de la police, 240.000 personnes avaient pris part à ce rassemblement.

La protestation s'est poursuivie pendant toute la semaine, plongeant la ville dans une tourmente qui a culminé avec les violents affrontements de mercredi entre manifestants et forces de l'ordre.

APPELS À LA DÉMISSION

Plusieurs opposants au projet de loi ont dit que sa suspension n'était pas suffisante, appelant à la suppression du texte et à la démission de Carrie Lam.

"Si elle refuse de supprimer le projet de loi controversé dans son ensemble, on ne fera pas marche arrière. Elle reste, nous restons", a déclaré Claudia Mo, élue locale et membre du camp réclamant la démocratie.

Carrie Lam, qui n'était plus apparue en public et n'avait fait aucune déclaration depuis mercredi, n'a pas fixé samedi de délai à la suspension de la loi, interrompant de fait le processus législatif pour une durée indéterminée.

Interrogée à plusieurs reprises sur une éventuelle démission, la cheffe de gouvernement n'a pas répondu directement et a demandé qu'on lui "donne une seconde chance".

Elle a dit éprouver "une profonde peine et de profonds regrets que des dysfonctionnements et différents autres facteurs aient provoqué d'importantes controverses et contentieux dans la société".

Selon un bilan officiel, 72 blessés ont été hospitalisés à la suite des violences de mercredi et un homme est mort samedi après avoir chuté d'un échafaudage alors qu'il venait de dérouler une banderole dénonçant le projet de loi, rapportent des médias hongkongais.

CARRIE LAM FRAGILISÉE AUX YEUX DE PÉKIN

A Pékin, le Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, s'en prend dimanche "aux pions et aux laquais" des "forces anti-chinoises". "L'ensemble du peuple chinois, y compris la vaste majorité de nos compatriotes de Hong Kong, y sont résolument opposés", poursuit le journal.

De nombreux politiciens, diplomates et analystes ne s'attendaient pas à la suspension du projet de loi contesté, pensant au contraire que Pékin ne permettrait pas un tel recul.

L'emprise exercée par le pouvoir central sur la "région administrative spéciale" de Hong Kong s'est intensifiée depuis que le président chinois Xi Jinping a accédé au pouvoir, en 2012, et à la suite de la "révolution des parapluies" du mouvement démocrate deux ans plus tard.

Mais selon une source à Pékin entretenant des relations régulières avec le pouvoir central, l'exécutif de Hong Kong a mal géré cette saga et les violences de la semaine passée ont forcé la main du pouvoir central.

Pékin, ajoute cette source, aurait désormais de sérieux doutes sur les capacités de Carrie Lam.

Pour le politologue Steve Tsang, basé à Londres, la dirigeante hongkongaise a provoqué une "gêne majeure" pour Xi Jinping à un moment particulièrement délicat, en plein conflit commercial avec les Etats-Unis et à l'approche d'un possible entretien bilatéral avec Donald Trump en marge du sommet du G20 à la fin du mois au Japon.

"Xi n'est pas un dirigeant qui tolère les échecs de la part d'officiels", ajoute-t-il. "Je pense que les jours de Carrie Lam (à la tête de l'exécutif) son comptés. Pékin ne peut pas se permettre de la limoger immédiatement, ce serait une preuve de faiblesse. Il leur faudra laisser passer un interlude décent." (avec Clare Jim, James Pomfret et Greg Torode à Hong Kong et Ben Blanchard à Pékin Jean Terzian et Henri-Pierre André pour le service français)