"Quel regard portez-vous sur l’accélération de la tendance baissière du cours de l’or ces dernières semaines ?
Les soubresauts grecs ont provoqué un affaiblissement de l’euro et donc mécaniquement une remontée du dollar. Cette dernière s’est accompagnée d’une baisse du cours de l’or.
L’or exprimé en euro affiche un bien moindre repli que l’or exprimé en dollar.

Votre principal facteur d’explication réside donc dans l’appréciation du dollar ?

Absolument.

Quid de la déception liée à l’annonce faite par la Banque centrale de Chine sur l’état de ses réserves d’or ou encore des craintes liées au relèvement prochain des taux par la Réserve fédérale américaine ?
Il me semble que la hausse prochaine des taux par la Fed est largement anticipée par le marché depuis un moment.
Je ne pense pas que la révélation faite par la Banque centrale de Chine sur l’ampleur de sa détention d’or soit un facteur d’explication majeur dans l’accélération de la tendance baissière. Il est communément admis qu’il y a en Chine un problème de transparence. On ne sait pas véritablement ce que produisent les mines d’or chinoises. Il est fort probable que les réserves d’or dans le pays soient bien plus considérables que ce que qui a été officiellement avancé.

Quels commentaires vous inspirent les ventes massives sur le marché ces dernières semaines ? Le cours de l’or a décroché de plus de 4% lundi 20 juillet après une vente quasi simultanée de 24 tonnes d’or à New York suivi d’un record de 33 tonnes à Shanghai.
Il n’y a pas de fumée sans feu. La tendance baissière de l’or suppose de fait des positions short sur la matière première et des débouclements massifs de positions acheteuses.
La question fondamentale qui se pose est celle de savoir combien de temps les banques centrales vont pouvoir continuer à inonder le marché avec des prêts à des taux historiquement bas.
Cette nouvelle donne de mesures non conventionnelles des banques centrales d’abord aux Etats-Unis, puis au Japon et enfin en Europe a quelque peu bouleversé les vieux reflexes que nous pouvions avoir sur les marchés financiers.
La capitalisation des bénéfices futurs des entreprises se fait aujourd’hui sur des niveaux de taux considérablement amoindris. Il est généralement considéré dans les modèles d’analyse des bénéfices des entreprises un cout de capital d’environ 7%, ce qui est manifestement très faible et ce qui a pour conséquence de provoquer automatiquement une hausse du marché des actions.
Cette hausse du marché des actions a pour effet de ricochet un mouvement baissier sur l’or qui est un actif d’investissement anxiogène. De nombreux investisseurs se disant qu’il y a plus d’argent à gagner sur les actions que sur l’or.

Selon vous, il existe une limite fondamentale à la baisse du cours de l’or...

Autour du cours actuel, 1092 dollars l’once d’or, les trois quarts de l’industrie minière produisent à perte. Mécaniquement si le prix de l’or reste à ce niveau, voire persiste dans son repli, d’ici 10 ans la moitié des mines d’or fermeront leur porte. La disparition de la moitié de la production va indéniablement graduellement conduire à une remontée du cours de l’or.

Quel raisonnement vous pousse à une telle hypothèse ?

Entre 1980 et 2000, face à l’incessante diminution du cours de l’or, jusqu’à 400 dollars l’once, les compagnies minières ont drastiquement serré les couts et n’ont pas investi. Or entre le début de l’investissement et le début de la production, s’écoule une dizaine d’années. 2015 constitue ainsi un horizon où vont pouvoir être tout juste mis en production les investissements réalisés aux débuts des années 2000 qui se sont accélérés avec la remontée violente du prix de l’or à un pic de 1900 dollars en 2011.
Ce qui est foré aujourd’hui a un rendement de plus en plus faible. Nous étions il y a dix ans à 2 grammes la tonne. Nous sommes désormais à 1 gramme la tonne. Autrement dit, les sociétés minières doivent creuser deux fois plus pour trouver le même rendement qu’il y a dix ans.
Contrairement au marché du pétrole, il n’a pas été fait de réels progrès technologiques car il n’y a pas vraiment eu d’économies d’échelle. Le cout de production machine a même doublé.
Il n’y a pas véritablement de nouveaux gisements pour prendre le relai si ce n’est dans certains pays d’Amérique du sud qui ne sont pas très pro Etats-uniens et qui sont plutôt enclins à rendre plus difficile la tache des grands producteurs miniers américains. En témoigne ce qui s’est passé sur Pascua Lama.
Après que l’once d’or soit passé de 300 dollars à 1900 dollars de 2000 à 2011, quasiment dans tous les pays propriétaires du sol, les gouvernements ont en profité pour alourdir la charge fiscale des mines dans la mesure où elles sont devenues des sources de revenus très importantes. Malgré l’écroulement du cours de l’or de 1900 à 1100, le niveau des taux de taxation est resté inchangé. C’est ainsi que les mines se retrouvent d’autant plus dans une situation d’asphyxie.

Ne pourrions-nous pas voir arriver un soulagement au niveau de cette taxation ?

Assurément pas.

Quelles sont vos perspectives pour le cours de l’or pour les prochains mois ?

Il est difficile d’identifier où se trouvera la marée basse et de dire jusqu’où le cours de l’once pourrait descendre à court terme. Les fluctuations du prix de l’or ne dépendent plus uniquement des tenants et des aboutissants de la production de l’or physique. C’est l’influence du marché des contrats à terme qui a pris le dessus. Ceci étant, un cours de l’or de moins de 1000 dollars l’once me parait peu plausible.
Il y a clairement des forces de rappel très vives qui font que la tendance baissière ne devrait pas durer. La mise à mal assez rapide de l’industrie minière devrait permettre de réguler les prix.

L’accentuation du risque géopolitique est un autre facteur qui devrait porter le cours de la matière première ?

Tout à fait. Des renversements d’alliance semblent se dessiner entre les Etats-Unis et certains grands pays Moyen Orient, comme l’Iran et l’Arabie Saoudite qui tôt ou tard inquiéteront les marchés et stimuleront le cours de l’or.
Le train de vie des pays de la zone euro n’a pas évolué compte tenu du fait que la charge de la dette est moins élevée. Au-delà d’une nouvelle crise des dettes, il est très vraisemblable que le système va de nouveau être mis à rude épreuve. Dans un horizon de temps pas si lointain, une contribution de l’épargne des acteurs privés finira par être imposée. Un moyen d’atténuer cette ponction sera de se positionner sur l’or.

La Chine est-elle en mesure d’apporter un nouveau support à l’or malgré le fort ralentissement de sa croissance ?

La propension des ménages chinois à acheter de l’or n’est pas prête de disparaitre.

Quid du facteur lié à l’inflation ?
L’inflation va certainement repartir brutalement. Pour l’instant, les dés sont totalement pipés par les banques centrales.

La détention de l’or continue donc à s’imposer dans un fonds de portefeuille…

J’imagine mal aujourd’hui un portefeuille géré pour compte de tiers ne pas contenir au minimum 10% d’or compte tenu du déséquilibre offre-demande à venir et eu égard à l’existence de très sérieux risques géopolitiques. Ce d’autant plus que sur le long terme, l’or progresse en moyenne de 7% par an.
Les investisseurs reviendront aussi rapidement qu’ils sont partis. On reverra surement le cours de 1900 dollars l’once d’or dans moins de cinq ans. Pour rappel, en 2006, alors que l’once valait 600 dollars j’avais annoncé une remontée à 2000 dollars.

Avez-vous procédé à des ajustements dans votre allocation ?

J’ai certaines sociétés dans mon fonds qui sont liés à l’or mais qui ne sont pas des mines d’or. Ayant bien résisté face à la forte correction des cours des mines, j’ai du réduire mes positions sur ces sociétés car elles avaient atteint une trop forte pondération.

Quelles sont ces sociétés ?

Nous pouvons mentionner l’exemple de Kingold Jewelry, qui est une chaine de bijouterie qui en train de se monter en Chine ou encore celui de Tessi, une société française qui a notamment le monopole de la cotation des pièces Napoléon.

A quel type de mines êtes vous exposés ?
J’essaie d’être exposé aux mines les moins assujettis à des risques géopolitiques, ce qui n’est pas évident. Les grands producteurs mondiaux comme Barrick Gold, Newmont, Goldcorp ont 25 à 30 sites de production, et ont forcément une certaine présence dans des zones risquées.
Même des sociétés dans des pays objectivement non risqués peuvent connaitre des déroutes. Ainsi en a-t-il été de Newcrest Mining en Australie qui a perdu 75% de sa valeur en trois ans.

Que pensez-vous des sociétés de redevance ?

Même si Franco Nevada est une de mes principales lignes, je ne recherche pas particulièrement ce profil de sociétés car le levier sur ces sociétés est plus limité en cas de remontée du cours de l’or.

Détenez-vous des ETF dans votre portefeuille ?

La réglementation de l’AMF nous interdit de détenir des ETF investis dans l’or pour soit disant sécuriser le client. J’en avais auparavant dans mon fonds. J’ai été contraint de vendre mes positions, incontestablement à tort car l’exposition à l’or physique à travers les ETF permet d’atténuer la volatilité sous-jacente à la variation des cours de bourse des sociétés minières.

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