"Vous avez choisi de faire du big data une thématique d’investissement à part entière. Pourquoi ?
En raison de la multiplication des données créées.
90% des données existantes aujourd’hui ont été générées au cours des deux dernières années et la production de ces données devrait exploser de 800% d’ici 5 ans selon les prévisions du cabinet Gartner. En l’espace d’un siècle la collecte d’informations s’est considérablement simplifiée.
Avec la multiplication des smartphones, l’essor de la connectivité, la baisse des prix des capteurs et l’augmentation de la puissance des calculs, il est devenu possible d’analyser cette quantité de données en un temps record.

De plus en plus de secteurs d’activité sont concernés à mesure que la technologie se diffuse car la vélocité avec laquelle l’innovation et les techniques d’analyse de données se transmettent d’un secteur à un autre est très importante. Pour autant certains secteurs sont particulièrement impactés. Lesquels ?
La santé, l’automobile, la finance.

Quelle société vous parait être en avance dans le secteur de la santé ?

Le secteur recouvre une diversité de domaines d’activité : les centres hospitaliers, la recherche médicale, le diagnostic…

Il est intéressant de relever que les conseils d’administration des sociétés américaines de santé se composent aujourd’hui à hauteur de 7% de personnes spécialisées dans la haute technologie ; cette proportion est retrouvée s’agissant des professionnels de la santé dans les conseils d’administration des sociétés technologiques américaines. 40% d’entre eux ont pris leurs fonctions en 2015 et 2016.
Cela tend à montrer que les sociétés technologiques s’intéressent bien plus au domaine de la santé que les sociétés de la santé ne s’intéressent à la technologie. En témoigne le partenariat entre Google et Sanofi sur le sujet du diabète.

Y a-t-il un sous-secteur plus porteur ?

Très probablement le domaine du diagnostic et de la prescription.
Si on part de l’hypothèse qu’entre 10% et 20% des diagnostics des médecins généralistes sont erronés et donnent lieu à de mauvaises prescriptions, l’amélioration de la qualité du diagnostic de 1% ou 2% devrait permettre d’améliorer l’efficacité des traitements et de réaliser des économies considérables pour les systèmes de santé.

L’opportunité est très intéressante en termes de chiffre d’affaires pour les fabricants en mesure de mettre en place des dispositifs experts pour aider au diagnostic.

Quelle vision avez-vous de la place qu’occupe cette thématique d’investissement dans le domaine de la finance ?

Le domaine de la finance est très complexe. La finance de marché a été précurseur dans l’adoption de nouvelles technologies avec plus ou moins de succès.
La raison étant liée au fait que le data mining, l’analyse des données à grande échelle a beaucoup de sens lorsqu’on est face à un système fermé dans lequel les relations et le cadre sont stables dans le temps. Or ce n’est pas le cas des marchés financiers. 50 années d’historique de données recoupent des périodes très différentes. Ainsi le prédictif atteint rapidement ses limites.

Les grandes banques sont mieux loties pour tirer avantage du big data que les Fintechs...

De toute évidence. Les Fintechs existent depuis peu de temps. Leur historique de données ne couvre pas en général un cycle économique. Les données sont peu qualitatives.
A l’inverse une banque comme JP Morgan aux Etats-Unis ou BNP Paribas en Europe possède des millions de données sur le crédit sur plusieurs cycles dans plusieurs secteurs et diverses zones géographiques.

S’ils ont l’agilité, la culture d’entreprise, l’investissement, les talents pour exploiter de manière judicieuse le trésor sur lequel elles sont assises dans le respect de la réglementation, les grandes institutions bancaires sont à même de créer beaucoup de valeur à partir du big data.
Ma conviction est que sur ce terrain un fossé va se creuser entre les acteurs du secteur bancaire.

Le secteur automobile n’est pas en reste. Dans votre analyse, vous rendez compte d’un positionnement exemplaire de BMW…

BMW est effectivement un exemple phare de société automobile qui a su avec pragmatisme prendre le tournant de la voiture connectée plus autonome et de l’électrisation. Cette prise de conscience qui le rend totalement légitime dans l’automobile de demain n’est pas valorisée dans le cours de bourse du constructeur.
A l’inverse d’autres acteurs qui communiquent davantage sur leur dimension novatrice sans être pour autant plus en pointe dans l’innovation sont en conséquence susceptibles de se retrouver en difficulté dans les cinq à dix prochaines années. Je mentionnerais l’exemple de Tesla.

En quoi consiste votre processus d’investissement ?

Notre processus d’investissement se base sur un faisceau d’indicateurs : les investissements dans des start-ups ou des acteurs stratégiques de l’innovation, le budget R&D, le budget IT, le budget transformation. Nous attachons également de l’importance aux profils des ouvertures de poste, à la composition du conseil d’administration, à l’impulsion donnée par le CEO, aux décisions phares qui sont prises par le management…
L’idée pour nous est de déterminer si la société comprend ce qui se passe autour d’elle dans son secteur et si elle fournit les efforts nécessaires pour déployer une véritable stratégie cohérente dans le digital, le big data pour se doter d’un avantage compétitif.

Nous ajoutons une analyse financière et une étude de la gouvernance.

Quel est votre horizon d’investissement ?

Nous avons une logique de long terme en sélectionnant les entreprises qui selon nous seront les leaders de demain. Il est possible que certaines initiatives prises aujourd’hui ne se reflètent positivement dans les résultats financiers que dans deux à trois ans.

A combien de valeurs estimez-vous votre univers ?

Nous estimons notre univers entre 250 et 300 valeurs. Il est en constante expansion grâce aux nombreuses introductions en bourse qui ont lieu et à l’incorporation de nouveaux secteurs d’activité.

De quelle manière se caractérise la concentration de votre portefeuille ?

Le portefeuille est très concentré. Il contient 60 valeurs. Les Etats-Unis représentent 60% de nos encours, l’Europe 25%, les pays émergents 15%.

Avez-vous des biais sectoriels ?

Le fonds a un biais sectoriel structurel. 50% des encours sont investis dans des sociétés technologiques. Actuellement nous avons également 15% de valeurs financières, 10% de valeurs de consommation discrétionnaire. Le reste des positions sont liées à la santé et à l’industrie.

Quels principaux risques sous-tend votre thématique d’investissement ?

Nous pouvons évoquer deux facteurs de risque principaux : la valorisation et la technologie.
Par ailleurs nous ne sommes pas à l’abri d’une remise en cause de l’architecture ouverte du web en raison d’une montée du protectionnisme.
Il y a également le risque du grand hack qui paralyserait des systèmes plusieurs jours ou plusieurs semaines.

Dans un horizon plus lointain, il n’est pas exclu que nous nous retrouvions dans une configuration pour les GAFA analogue à celle des opérateurs de chemins de fer au début du 20ème siècle.

Que voulez-vous dire ?

A force d’accumuler les talents et le capital, la concentration de l’innovation entre quelques mains pourrait pousser les autorités à imposer une certaine fragmentation afin de rétablir un climat de concurrence plus sain. Nous n’en sommes pas là.

Comment appréciez-vous la qualité d’une technologie embryonnaire ?

Nous nous appuyons sur les avis d’experts indépendants, de scientifiques, de chercheurs, de revendeurs neutres pour nous faire une idée sur la technologie ou sur le produit.

Pouvez-vous nous donner l’exemple d’une technologie qui paraissait de prime abord prometteuse mais qui s’est révélée finalement un échec ?

L’impression 3D. Peu de personnes ont effectué des études sérieuses pour jauger du caractère mature de la technologie. Peu ont été en mesure de distinguer les différents procédés existants et les divers marchés potentiels. Un immense amalgame a été fait en conséquence.
Des performances fulgurantes ont été observées en bourse par exemple sur Stratasys, ou 3D Systems. Le trend s’est rapidement inversé.

L’emballement a été trop rapide. Les débouchées n’ont pas été suffisants. La demande n’a pas suivi l’offre. S’est dessiné un gap évident entre ce que le consensus projetait et ce que les acteurs étaient capables d’offrir : des appareils trop lents, trop complexes, trop peu précis, trop onéreux.


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