(Actualisé avec citations de Lagarde aux § 20 et 24-26)

par Jean-Baptiste Vey

PARIS, 28 juin (Reuters) - Christine Lagarde a été choisie mardi pour être la première femme à diriger le FMI, une institution ébranlée par l'inculpation pour tentative de viol de son précédent numéro un, Dominique Strauss-Kahn.

Avant elle, dix hommes, dont quatre Français, ont occupé le poste de directeur général depuis la création du Fonds monétaire international au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La ministre française de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, dont le mandat de cinq ans débutera officiellement le 5 juillet, a reçu un large soutien dans la course qui l'opposait au gouverneur de la Banque centrale de Mexique, Agustin Carstens.

Des Européens d'abord, qui ont voulu conserver une fois de plus un poste qui leur revient traditionnellement, des Etats-Unis, le premier pays actionnaire du FMI, et de puissances dites émergentes comme la Chine, la Russie ou le Brésil.

Agée de 55 ans, Christine Lagarde est devenue en 2007 la première femme ministre de l'Economie et des Finances d'un pays du G7.

Aidée par un anglais parfait, héritage d'une carrière au cabinet d'avocats Baker & McKenzie à Chicago, elle s'est imposée sur la scène internationale à mesure que la crise financière contraignait les grandes puissances à travailler de concert.

Elle a participé aux grandes négociations impliquant le FMI, sur la crise des dettes européennes ou la réduction des déséquilibres économiques et financiers mondiaux par exemple.

Lors du G20 Finances organisé à Paris sous présidence française, c'est elle qui aurait convaincu ses interlocuteurs chinois de ne pas faire obstacle aux propositions des autres grandes puissances.

Principal bémol à ce succès, la menace d'une enquête pour "abus d'autorité" demandée contre elle par le procureur général de la Cour de cassation dans l'affaire Bernard Tapie, un homme d'affaires français qui a touché 285 millions d'euros pour compenser un manque à gagner présumé sur la revente d'Adidas.

Christine Lagarde, qui a engagé l'arbitrage contesté ayant abouti à ce paiement, déclare avoir la "conscience parfaitement tranquille". Une décision sur l'éventuelle ouverture d'une enquête est attendue le 8 juillet.

LONGÉVITÉ RECORD

L'élégante avocate est rapidement devenue la responsable française favorite des médias internationaux, brillant sur la scène mondiale plus facilement qu'en France, où son apparence bourgeoise a été raillée dans les manifestations ou sur les bancs de l'Assemblée.

Outre la langue, Christine Lagarde partage avec les Américains un goût prononcé pour la libre entreprise, qui tranche avec le dirigisme français.

Le magazine américain Forbes l'a désignée 43e femme la plus puissante du monde, troisième Française derrière Anne Lauvergeon (24e), alors à la tête d'Areva, et l'épouse du chef de l'Etat, Carla Bruni-Sarkozy (35e).

Le quotidien britannique Financial Times l'a pour sa part sacrée meilleur ministre des Finances européen en 2009.

En France, son discours rassurant quand la crise a frappé a été critiqué, comme son antienne d'une France s'en sortant mieux que les autres. Ces paroles jugées lénifiantes ont fait répéter à ses dépens par les députés de gauche la chanson "Tout va très bien Madame la marquise".

A ces critiques, Christine Lagarde répond : "Entre un optimiste et un pessimiste, il n'y a pas de différence. Ils se trompent tous les deux, mais l'optimiste est plus heureux."

Peu portée sur la 'politique politicienne', elle a enchaîné quelques bourdes à ses débuts à Bercy, en promettant la "rigueur" aux Français, un mot tabou dans un pays qui accumule les déficits avec la régularité d'un métronome depuis 1975.

Face à la hausse de prix des carburants, elle conseille la bicyclette, entraînant une comparaison moqueuse avec la reine Marie-Antoinette préconisant la brioche quand le pain manque.

Malgré cela, Christine Lagarde a éclipsé à son ministère tous ses prédécesseurs sous la Ve République en terme de longévité, à l'exception du recordman Valéry Giscard d'Estaing.

"J'ai avalé beaucoup de couleuvres", a-t-elle déclaré mardi sur TF1 après sa désignation au FMI.

TESTOSTÉRONE

Ancienne championne de natation synchronisée, elle est capable d'enchaîner vols internationaux et réunions sans laisser paraître la fatigue et, lors de nombreuses rencontres avec des responsables politiques ou économiques, elle sait réveiller des auditoires presque 100% masculins par des paroles évocatrices.

Elle aime ainsi rappeler ses "longues nuits Dexia" entourée d'hommes "en tout bien tout honneur" pour sauver la banque.

Si Lehman Brothers s'était appelée Lehman Sisters, la banque n'aurait peut-être pas fait faillite, suggère souvent Christine Lagarde, qui apprécie que les femmes, dans les affaires, "injectent moins de libido et de testostérone" que les hommes.

Elle a estimé mardi que sa désignation était une victoire pour les femmes.

"L'entretien que j'ai passé au conseil du Fonds monétaire international rassemblait les 24 administrateurs. Il n'y avait pas une seule femme dans le groupe des 24", a-t-elle dit sur TF1.

"Et quand je me suis sentie ainsi interrogée pendant trois heures par 24 messieurs, je me suis dit que c'était bien que les choses changent un peu", a-t-elle ajouté.

Née le 1er janvier 1956 à Paris de parents enseignants, Christine Lagarde, mère de deux enfants, quitte Chicago pour entrer dans le gouvernement de Dominique de Villepin en 2005 comme ministre déléguée au Commerce extérieur.

Elle fait un bref passage au ministère de l'Agriculture après l'élection présidentielle de 2007 avant d'être nommée à Bercy en juin de la même année. Elle y côtoie le ministre du Budget Eric Woerth, remplacé en mars 2010 par François Baroin.

Elle est diplômée de l'Institut d'études politiques, titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) de droit social et d'une maîtrise d'anglais.

Elle est également diplômée de la Holton Arms School de Bethesda, dans l'Etat américain du Maryland, dont la devise "inveniam viam aut faciam" attribuée à Hannibal est parfois traduite par "je trouverai le chemin ou je le percerai".

(Edité par Sophie Louet)