* D'après Moscou, les forces pro-Assad contrôlent 93% de la ville

* Réunis à Paris, les pays opposés à Assad semblent résignés

* Kerry en appelle à la "bonté" des Russes et du président syrien

par Laila Bassam

ALEP, Syrie, 10 décembre (Reuters) - Les forces pro-gouvernementales syriennes et l'aviation russe ont continué de bombarder samedi des quartiers encore tenus par les rebelles à Alep, la grande ville du nord du pays, sans pour autant reprendre leur progression.

Réunis à Paris, les ministres des Affaires étrangères du groupe des pays "affinitaires", soutenant l'opposition modérée syrienne, ont semblé se résigner à la chute du dernier centre urbain tenu par les insurgés.

John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, a exhorté la Russie à faire "preuve de bonté" tandis que son homologue français, Jean-Marc Ayrault, s'interrogeait: "Quelle paix veulent-ils ? La paix des cimetières ?"

Des négociations sont en cours à Genève entre des délégués russes et américains pour tenter de trouver une issue et sauver des vies mais ces discussions semblent vouées à l'échec comme les précédentes tentatives entre les deux puissances qui soutiennent des parties opposées dans le conflit syrien.

D'après la Russie, dont l'intervention armée en soutien au régime du président syrien Bachar al Assad a changé radicalement l'équilibre des forces en présence, les forces pro-gouvernementales contrôlent désormais 93% de la ville d'Alep, divisée depuis l'été 2012.

L'estimation n'a pu être vérifiée de source indépendante, mais les forces d'Assad et leurs alliés, miliciens chiites iraniens ou libanais notamment, progressent rapidement dans la partie orientale de la ville depuis la fin novembre et les insurgés sont aujourd'hui retranchés dans une poignée de secteurs, situés pour la plupart au sud de la Vieille Ville.

En l'espace de deux semaines à peine, ils ont perdu près des trois quarts des territoires qu'ils contrôlaient dans Alep-Est.

Tard vendredi soir, le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a déclaré que la "victoire promise" à Alep était imminente.

SELON MOSCOU, PLUS DE 20.000 CIVILS ONT FUI SAMEDI

Les combats se sont poursuivis samedi. Selon des journalistes de Reuters présents dans la ville, l'aviation russe et l'artillerie syrienne ont bombardé les secteurs insurgés et ces derniers ont répliqué par des tirs contre les quartiers sous contrôle gouvernemental, faisant plusieurs morts d'après l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

Les lignes de front, selon Zakaria Malahifji, du groupe rebelle Fastakim, n'ont pas bougé au cours des dernières heures. "Il n'y a eu aucune avancée du régime. Les rebelles les ont stoppés à plusieurs reprises", a-t-il dit, contacté en Turquie par Reuters. Le quartier d'Izaa notamment a vu les insurgés repousser les forces gouvernementales, a-t-il précisé.

Les combats ont fait des centaines de morts ces dernières semaines, selon des observateurs, et ravagé la ville. Plusieurs sites de la Vieille Ville, inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco, sont désormais en ruines.

L'exode des populations s'est parallèlement poursuivi.

Selon le ministère russe de la Défense, cité par l'agence Interfax, plus de 20.000 civils ont quitté Alep-Est dans la seule journée de samedi tandis que, de même source, on ajoute que 1.200 rebelles ont déposé les armes. L'OSDH a démenti ces redditions.

"Les habitants quittent en flot continu (les quartiers insurgés) grâce aux couloirs humanitaires pour se rendre dans la partie de la ville contrôlée par le gouvernement", avait déclaré un peu plus tôt le porte-parole du ministère, Igor Konachenkov.

Certains civils ont gagné des secteurs contrôlés par les forces pro-gouvernementales; d'autres, redoutant des représailles, se sont réfugiés dans des zones toujours tenues par les insurgés, hors de la ville d'Alep.

KERRY: "CELA DÉPENDRA DE CHOIX IMPORTANTS,

MAGNANIMES DE LA RUSSIE"

S'exprimant à Paris après la réunion des pays "affinitaires", le secrétaire d'Etat américain John Kerry n'a guère fait preuve d'optimisme sur l'issue des discussions russo-américaines à Genève.

"Nos équipes se rencontrent aujourd'hui à Genève afin de préciser les détails d'une manière possible d'essayer des sauve des vies. La Russie et Assad sont pour le moment dans une position dominante qui leur permet de faire preuve d'un peu de bonté. Je crois qu'il pourrait y avoir un moyen de progresser mais cela dépendra de choix importants, magnanimes de la Russie et de l'insistance russe auprès du régime Assad", a-t-il dit devant la presse.

Jean-Marc Ayrault, qui affirmait en septembre lors de l'Assemblée générale des Nations unies qu'"Alep ne peut pas être le Guernica du XXIe siècle", a dit de son côté que la ville syrienne vivait "des heures sombres".

"Malgré son cortège de massacres et de réfugiés, malgré les condamnations, malgré l'emploi d'armes chimiques, la logique de guerre continue de prévaloir", a-t-il déploré.

Mais au-delà de l'urgence humanitaire, les pays "affinitaires", dont les Etats-Unis, la France, la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar, continuent de prôner une solution politique dans le cadre fixé par l'Onu, qui appelle à une transition.

Moscou et Damas doivent comprendre, a insisté Ayrault, que la chute d'Alep ne mettra pas un terme à la guerre en Syrie. "Les négociations doivent reprendre (...) L'opposition est prête à reprendre les négociations sans préconditions." (avec John Davison à Beyrouth, Alexander Winning à Moscou et John Irish à Paris; Henri-Pierre André pour le service français)