"Quel regard portez-vous actuellement sur le segment du high yield américain ?
Nous restons très prudents sur le segment des obligations high yield américaines. Bien que le rendement ait beaucoup monté, autour de 10%, et semble en cela très attractif, les risques demeurent importants. L’exposition de ce segment au secteur énergétique, à hauteur de 15%, pose foncièrement problème. Les agences de notation, notamment Standard & Poor’s, estiment à partir de cette exposition un taux de défaut pour l’ensemble du compartiment autour de 5%. Les analystes tablent davantage sur un taux de défaut situé entre 6% (avec un baril entre 30 et 40 dollars) et 10% (avec un baril plus bas, autour de 20 dollars).
Nous sommes gênés par le fait que l’évolution du sort des acteurs énergétiques va rester très corrélée à la variation du cours du baril. Dès lors que l’on s’attend à ce que la volatilité perdure sur le prix du pétrole, on prévoit également que des fluctuations erratiques continueront à se faire sentir sur les émetteurs du secteur énergétique en premier lieu, avec des défauts en cascade, et sur l’ensemble du segment high yield américain par effet ricochet.
Intuitivement, nous pouvons supposer que le scénario optimiste serait celui d’une hausse du cours du baril qui aurait pour répercussion une baisse du taux de défaut anticipé. Cependant, nous sommes d’avis que dans le cas d’une remontée du prix du pétrole, les perspectives d’une augmentation de l’inflation risquent de gagner de l’ampleur, ce qui entrainerait un accroissement de la probabilité d’autres relèvements des taux directeurs de la Fed. Or, présentement le marché n’escompte plus du tout de nouvelle action de la Banque centrale américaine cette année. Un changement de cap, qui induirait un renchérissement du cout de financement des entreprises, ne serait pas propice pour le segment du high yield américain. Nous pourrions effectivement nous retrouver avec un accroissement du taux de défaut global pour l’univers, et ce faisant une réappréciation du rendement.

Historiquement, il y a un taux de corrélation de 1 entre le taux de défaut global sur le segment du high yield, tous secteurs confondus, et la remontée de 1% des taux directeurs de la Fed. De nombreuses entreprises sur le segment sont très leveragées et ont une notation très risquée, entre B et CCC, et sont donc très sensibles à une hausse de leur coût de financement.

Dans les deux scénarii, négatif comme positif, vous estimez donc que le rendement actuel n’est pas suffisant pour couvrir le risque encouru ?

Nous pressentons effectivement que le taux de défaut devrait être amené à se rehausser d’ici la fin de l’année et à entrainer une progression du rendement. Celui-ci pourrait s’établir vers 13%/14%.

Quelle est la configuration des flux sur le high yield américain ? ?

Il semble que les flux se soient stabilisés ces dernières semaines, suite au léger rebond du cours du baril. Il n’y a pas eu autant de sorties massives qu’en fin d’année dernière, notamment sur les ETF. Cependant, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle inflexion de tendance dans le cas où le prix du pétrole viendrait à fléchir de nouveau substantiellement.

La mise à mal du segment du high yield américain soulève des interrogations sur l’effet de contagion possible sur le segment de l’investment grade américain et celui du high yield européen ?

La contagion de la mise à mal du segment high yield américain vers l’investment grade américain se fera essentiellement via les banques à travers l’exposition de celles-ci aux acteurs énergétiques high yield qui viendraient à faire défaut. De ce que l’on perçoit, l’exposition des banques américaines à ces acteurs est limitée. Elle parait de ce fait largement gérable. Ainsi la contagion, sauf scénario catastrophe, devrait être contenue.
La contagion deviendrait plus sérieuse et nous ne serions pas à l’abri de mauvaises surprises sur l’exposition des banques dans le cas où le cours du baril chuterait autour de 15-20 dollars, ce qui pousserait à une élévation du taux de défaut. Même dans une telle configuration, les spreads des bancaires viendraient à s’écarter mais nous ne pressentons pas un stress à la hauteur de celui que l’on a vécu en 2008, ce d’autant plus que les grandes banques influentes sont globalement dans une meilleure posture qu’il y a huit ans. En particulier, les fonds propres ont été considérablement renforcés.

Qu’en est-il de ce ces spreads aujourd’hui ?
Pour l’instant les spreads des bancaires américaines se sont peu écartés.

Quelle appréciation faites vous du risque de contagion de la mise à mal du segment du high yield américain sur celui du high yield européen ?

Historiquement une corrélation relativement étroite existe entre les deux segments. Les troubles perçus sur le premier segment se font d’une manière ou d’une autre ressentir sur le second.
Ceci étant nous sommes dans un contexte caractérisé par la conduite d’une politique monétaire diamétralement divergente par la Fed et la BCE. Alors que la Fed s’inscrit dans un processus de normalisation de sa politique, la BCE a vocation à assouplir davantage sa politique déjà très accommodante.
Ce contexte milite pour une moindre corrélation entre les deux segments d’obligations high yield avec deux bémols cependant : la défiance que semble développer le marché à l’égard de l’aptitude de la BCE à intensifier son intervention et, le ralentissement que semble afficher la Fed vis-à-vis du rythme de hausse de ses taux directeurs.
Il n’est pas exclu si le rendement du high yield américain dépasse les 10%, que celui du high yield européen remonte à 7/7,5% contre 6% actuellement. L’écartement des spreads devrait in fine s’avérer moitié moindre que celui observé sur le high yield américain. Une variable importante dans cette corrélation sera relative à la force du dollar. Nous sommes sur une hypothèse d’une parité euro dollar qui devrait s’amoindrir dans les semaines à venir.

Une autre menace pour le high yield européen semble résider dans les tensions auxquels est sujet le secteur bancaire européen… ?

Le repricing sur le secteur européen devrait davantage être observé sur le segment de la dette investment grade : en effet, des exemples comme Novo Banco ou les banques régionales italiennes pourraient amener à une réestimation du risque sous jacent à la dette senior, notamment pour les banques de plus petite taille.
La partie de la dette des banques européennes la plus inquiétante vis-à-vis du segment high yield européen a trait à la dette subordonnée, tier 2 par sa présence dans les indices et surtout Additionnal Tier 1 (« Coco ») par sa présence dans beaucoup de fonds High Yield. Ce sont des titres appelés à contribution dans le cas de difficultés sérieuses rencontrées par une institution. Les spreads sont déjà larges et nous n’avons pas sur cette classe d’actifs un scénario d’alerte. Cependant, les instruments « Coco », encore récents et dont l’ensemble des modalités ne sont pas totalement appréhendés par les investisseurs, devraient selon nous rester très volatiles dans les mois à venir. In fine, la BCE aura à cœur de continuer à jouer pleinement son rôle de backup en cas de problème aigu au niveau de la liquidité : le risque de défaillance d’un établissement majeur, d’importance systémique, en Europe reste selon nous minime.


Pensez-vous que la concrétisation d’un Brexit pourrait être une source déstabilisante pour le high yield européen ?

Je pense en effet qu’une sortie du Royaume Uni de l’Union européenne pourrait avoir une incidence sur les spreads des titres de dette des entreprises britanniques notées high yield et sur certains titres de dette subordonnée tier 2 de certaines banques britanniques.

Voyez-vous un autre risque significatif pour le segment du high yield européen cette année ?
Le risque d’un essoufflement plus prononcé de la dynamique économique en Chine. La mise en souffrance additionnelle du secteur des matières premières qui en découlerait, considérant que le secteur de la construction représente 22% du PIB chinois, aurait pour résultat la probable dégradation de la note d’un certain nombre de grandes entreprises jusqu’ici investment grade. Après Anglo American, qui intègre les indices High Yield ce mois ci, sont dans le collimateur Glencore, Repsol, Casino…
Le downgrading de ces sociétés aura pour conséquence d’étoffer massivement l’offre dans l’univers du high yield. Entre 25 et 30 milliards d’euros pourrait venir s’ajouter aux 300 milliards d’euros comptabilisés dans le compartiment du high yield. Ce surplus d’encours de près de 10% doit être absorbé, ce qui ne sera pas évident.

Au-delà de l’aspect déséquilibre offre demande, un tel risque pourrait-il impacter négativement le taux de défaut dans le segment ?

Cet impact se ferait davantage ressentir en 2017-2018. Il concernerait à la fois les sociétés liées aux matières premières, mais aussi d’autres secteurs très orientés sur la consommation chinoise comme le secteur automobile, et autres secteurs étroitement liés comme les équipementiers.

De ces quatre risques, lequel vous parait le plus inquiétant de part sa probabilité de concrétisation ? ?

Un repli plus fort du prix du pétrole en raison de la situation géopolitique. Suivrait ensuite un retournement plus prononcé de la conjoncture en Chine.
Le risque bancaire et le risque de Brexit même s’ils ne sont pas à évacuer paraissent moins vraisemblables.

Finalement que prévoyez-vous en termes de performance pour le high yield européen cette année ?
Nous admettons que le rendement pourrait aller en fin d’année à 7%. Cela donnerait lieu à une performance entre 3% et 3,5% sur l’année. Le taux de défaut devrait être en ligne avec ce que prédisent les agences autour de 3%.
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