"Quel regard portez-vous sur la dernière réunion académique de Jackson Hole. Le sujet technique sur lequel les banquiers centraux et les universitaires ont eu à débattre cette année à Kansas City a porté sur les nouvelles dynamiques sur le marché du travail. Comprenez-vous ce sujet ?
Ce sujet est très lié à l’actualité de la politique monétaire. Depuis plusieurs mois les communiqués ou les minutes de la Fed (Réserve fédérale américaine) ou de la BoE (Banque centrale d’Angleterre), et dans une moindre mesure de la BCE (Banque centrale européenne), évoquent la question de savoir quelle est la marge de manœuvre disponible sur le marché du travail de manière à déterminer le moment opportun auquel il y a lieu de commencer à remonter les taux directeurs.
Initialement aussi bien la Fed que la BoE avaient conditionné l’enclenchement du processus de hausse des taux à un certain niveau de taux de chômage.
Cependant ce taux ayant été atteint plus rapidement que prévu, cette référence a ensuite été abandonnée.

Comment expliquer le lien qui existe d’une part entre rétablissement du marché de l’emploi et hausse des taux directeurs ?
Aux Etats-Unis, la mission de la Fed est d’assurer à la fois la stabilité des prix et le plein emploi. La motivation est donc directe pour la Banque centrale américaine.
Pour la BoE et la BCE, la motivation est plus indirecte. Un marché du travail trop tendu peut conduire à une accélération de la revalorisation des salaires et à un surplus d’inflation. A l’inverse, un marché de travail trop dégradée pourrait favoriser un phénomène de déflation.

Que doit-on entendre par plein emploi ?
Cela ne correspond pas à un taux de chômage de 0%. Il est considéré que même dans une période d’euphorie économique, il y a toujours un taux de chômage frictionnel, qui englobe entre autres les personnes qui ont nouvellement déménagé, les étudiants fraichement diplômés, les personnes qui viennent d’être licenciées…
Ce taux de chômage frictionnel se situerait entre 5% et 6% aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le taux de chômage avéré est à peine au dessus de 6%. Aussi, se rapprochant de la mesure du plein emploi, la Fed réfléchit sérieusement à entamer sa hausse de taux.

Que retenez-vous des propos émis par la présidente de la Fed Janet Yellen à l’occasion de cet évènement ?
Janet Yellen n’a pas indiqué d’éléments spécialement surprenants dans son discours. Il est d’ailleurs assez rare que la réunion de Jackson Hole apporte des éclairages inédits sur la politique monétaire destinée à être conduite dans les trimestres à venir. Cela a notamment été le cas en 2010 avec l’annonce de Ben Bernanke de la deuxième vague d’assouplissement quantitatif.

En substance, Janet Yellen s’est attardée à expliquer les raisons pour lesquelles elle pense qu’il reste des capacités sous utilisées sur le marché du travail américain. La présidente de la Fed a rappelé que le taux de chômage n’était pas le seul critère pertinent pour juger de la bonne santé de la situation de l’emploi dans le pays. Un indicateur synthétique a d’ailleurs été bâti à partir de 19 indicateurs partiels : le taux de participation, le taux d’emploi, le pourcentage de temps partiel subi, le nombre de personnes qui quittent volontairement leur poste...
Janet Yellen a également indiqué que même si le plein emploi était atteint avec une inflation revenue à 2%, les taux directeurs ne seront pas remontés immédiatement. Enfin elle a insisté sur le fait que le processus de remontée des taux serait graduel et modéré.

Celle-ci n’a donc pas livré d’informations additionnelles plus précises qui aideraient à donner une plus grande visibilité sur ce que pourrait faire l’institution monétaire.
Non.

Le discours n’a donc pas modifié votre scénario de base ?
Nous continuons à tabler sur une probabilité de 50% de voir une remontée des taux en juin de l’année prochaine, à un ou deux mois près. Les chiffres macroéconomiques sont plutôt meilleurs qu’attendu. Un redressement se poursuit à la fois sur le marché de l’emploi et sur le marché de l’immobilier. L’inflation est un peu plus forte.
Nous évaluons les chances que la remontée se fasse plus tôt à 30% et qu’elle se fasse plus tard à 20%.

De quelle amplitude pourrait être cette première remontée ?
De 0,25%. Ensuite la Fed remonterait ce taux d’un quart de point par trimestre. La tradition est en principe de bouger le taux de 0,50% tous les trois mois. Cependant Ben Bernanke et Janet Yellen ont répété à plusieurs reprises que cette fois ci le processus sera moins rapide que d’habitude.

A quel niveau pourrait s’arrêter la Banque centrale ?
Vers 3%, alors que le niveau normal serait plutôt de 4-4,5%.

De quelle manière est calculé ce niveau normal de taux ?
Usuellement on avance que le niveau normal correspond au taux de croissance du PIB nominal, la croissance potentielle donc, multipliée par le taux d’inflation objectif. Or, la croissance potentielle est de 2-2,5% et l’objectif d’inflation de 2%.

Quels effets escomptez-vous de ce premier relèvement de la Fed ?

Les effets devraient être limités sur l’économie réelle.
Sur les marchés financiers, le premier effet sera une augmentation des taux longs. L’importance de la hausse des taux longs dépendra largement du succès de la politique de communication de la Fed. Si celle-ci parvient à convaincre que le processus a sa raison d’être sur le plan économique, qu’il sera bien graduel et modéré, et qu’elle réussit à livrer une ligne directrice pertinente, le mouvement sera endigué.

A l'inverse, si elle n'y parvient pas, ce mouvement pourrait se révéler bien plus violent. Au printemps 2013, le simple signal donné par Ben Bernanke que la Fed envisageait le ralentissement progressif de son programme d’achat sur le marché a entrainé une poussée brutale du taux à dix ans américain. Les investisseurs avaient alors associé au ralentissement de ce programme l’enclenchement prochain du processus de remontée des taux. Il a fallu que plusieurs responsables de l’institution monétaire montent au créneau pour préciser que ces deux composantes de la politique monétaire devaient être dissociées.

Pensez-vous que la Fed sera en mesure de préparer le terrain suffisamment convenablement pour éviter qu’une telle chose se répète ?
On ne peut que l’espérer. Les répercussions observées au printemps 2013 à la fois sur le marché obligataire et sur le marché des actions, en particulier sur le marché des actions émergentes devraient avoir servi de leçon.
Au-delà de la communication de la Fed, d’autres facteurs pourraient interférer. Les taux sont proches de 0 depuis environ 6 ans, un épisode sans précédent. La Fed ne sera plus en capacité de racheter des titres sur le marché. La taille du segment s’est drastiquement réduite. Il y a alors besoin de moins de moins d’opérateurs pour provoquer une forte impulsion.

La difficulté à présager des effets de la remontée des taux sur le marché obligataire est d’autant plus importante s’agissant du marché actions ?

Une partie du soutien du marché actions vient de la faiblesse des taux courts. Le taux d’actualisation étant faible, les PE sont élevés. Pour des bénéfices donnés, les prix sont plus chers.
Si les taux remontent les PE devraient baisser pour des bénéfices donnés.
Toutefois les investisseurs pourraient se dire que la remontée de taux coïncident avec une meilleure santé de l’économie et suppose une amélioration des bénéfices.
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